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On entendit la voix mélodieuse de la Menelas :

« Aurélien !… »

La livrée se précipita, sans un regard pour les deux hommes. Mimi ricana :

« Vous ne pensez tout de même pas qu’elle va vous suivre ! »

Le Grec resta de marbre.

« Vous êtes un aventurier, monsieur ! Même pas, vous êtes un salaud ! Et ma femme pense la même chose de vous ! »

Aurélien fit un second passage. Il portait sous le bras deux grosses valises. Mimi s’étrangla :

« Aurélien ! Où allez-vous ?…

— C’est Madame, monsieur… répondit-il avec un air lugubre et fataliste.

— Ah ! c’est trop fort !… C’est trop fort ! »

En effet, cela devait l’être : Mimi abandonna le champ de bataille et entra dans son bureau dont il claqua violemment la porte. La Menelas apparut en haut de l’escalier. Elle en descendit lentement les marches, caressant de la main, comme pour un adieu définitif, la rampe d’acajou poli. Arrivée devant le Grec, elle le regarda longuement, droit dans les yeux, sans ciller.

« Je suis prête.

— Voulez-vous le revoir ? »

Elle secoua la tête :

« Je suis prête. »

Socrate lui prit la main, l’étreignit en silence et l’entraîna sur le perron. Au bout de l’allée, la Bentley, les routes, la mer, le ciel et les nuages.

L’orchestre jouait en sourdine sur le Pégase ancré à deux milles au large de la baie de Tahiti. Les mets avaient défilé sur la table sans que Socrate ou Olympe n’y touchent. Ils ne parlaient pas, ne bougeaient pas, ne se touchaient pas. Seulement, par-dessus la lueur tremblotante des chandelles, leurs yeux s’interrogeaient. Pour une fois, le Grec n’était pas pressé de posséder ce qu’il était en droit de considérer comme sien. Il avait le temps… Il avait installé la Menelas dans sa cabine dont il avait fait sortir ses propres affaires. L’après-midi et le crépuscule s’étaient écoulés doucement, sans fièvre…

« Votre piano restera toujours dans votre appartement. Vous n’avez rien mangé… Voulez-vous boire ?

— Non. Vous avez bu pour moi.

— C’est vrai. Je bois depuis quarante-huit heures. Quand je ne dors pas, je bois.

— Pas couché du tout ?

— Non…

— Fatigué ?

— Non. Je flotte. Une sensation merveilleuse. Et vous ?

— Je flotte aussi. C’est bon.

— J’aimerais vous emmener marcher sur le sable. Voulez-vous ?

— Oui. »

Une minute plus tard, le moteur du hors-bord ronflait. À l’avant, une bâche recouvrait quelque chose de volumineux. Quand le canot s’échoua sur la plage, le Grec chuchota une phrase à l’oreille de Stavenos. Il aida la Menelas à descendre. Elle quitta ses chaussures et fit quelques pas. S.S. la rattrapa. Le canot repartit vers le large, rendant la nuit à son silence. Très loin devant eux, il y avait des lumières semblant clignoter sous l’effet de la distance. Socrate leva la tête et regarda le ciel :

« Vous connaissez le nom des étoiles ?

— Oui.

— C’est quoi, ça, là-haut, à gauche ?

— Celle-là, au bout ? Arcturus. Au-dessus de vous, Cassiopée. Vous l’apercevez ?… À droite de la Grande Ourse. Encore plus loin à droite, la nébuleuse d’Andromède.

— C’est quoi, les nébuleuses ?

— De la poussière d’étoiles. Vous ne savez pas ça ?

— Il y a tellement de choses que j’ignore… »

Elle lui prit la main.

« Savez-vous combien il y a d’étoiles dans le ciel ?

— Ma foi…

— Imaginez la surface entière de la Terre. Imaginez maintenant qu’elle corresponde à la surface du ciel. Eh bien, pour chaque centimètre carré, il y a environ quinze cents étoiles.

— C’est vrai ?

— Oui, c’est vrai. Et chacune de ces étoiles naît, grandit et meurt.

— Comment meurent-elles ?

— La plupart du temps, elles explosent. »

Le Grec eut un rire silencieux :

« Dans mon genre, je dois être une espèce d’étoile.

— Vous avez envie d’exploser ?

— Si j’avais le choix, oui. Disons en tout cas que je n’ai pas envie de m’éteindre. »

Elle lui fit face. La nuit était si noire qu’il ne voyait pas ses yeux. Il sentait son souffle, tout contre son visage. Elle murmura :

« Moi non plus. Plus maintenant. »

Il perçut le frôlement de ses cheveux contre sa joue. Avec une douceur à couper le souffle, il referma ses bras autour d’elle… Elle tremblait.

« Venez. Il faut que je vous montre quelque chose. »

Il l’entraîna dans la direction d’où ils arrivaient. Là où avait accosté le bateau, il y avait trois masses sombres posées sur le sable, deux grandes et une petite.

« Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-elle.

— Vos bagages. Savez-vous ce qu’il y a dedans ?

— Des robes, des bijoux, des fourrures. Ce que j’ai de précieux. Pourquoi ?

— Je vais les brûler. »

On lui avait tellement vanté les colères de la « panthère » qu’il fut stupéfait de sa réaction. Elle laissa simplement tomber :

« Ah !… Pourquoi ?

— Parce que, ce soir, pour nous, tout commence. Je veux que rien ne reste du passé. Je vous veux nue, comme si vous veniez de naître. »

Il déboucha le jerrican d’essence et en arrosa les trois lourdes valises. Quand il eut terminé, il lui posa une dernière question :

« Olympe, pas de regrets ? »

En guise de réponse, elle lui pressa la main. Il craqua une allumette. Il y eut une grande flamme qui éteignit les étoiles et illumina le sable blanc, et la frange d’écume déposée sur le rivage par les vagues. Un tout petit feu sur une aussi grande plage, mais qui valait dix mille soleils. Ils s’éloignèrent vers la terre. Quand ils eurent franchi le talus, ils firent encore quelques mètres et le Grec s’assit. Il voulut la tirer vers lui. Elle résista à sa pression. Sa silhouette se découpait sur le halo rougeâtre des flammes mourantes qui se consumaient en contrebas. Lentement, elle fit passer sa robe au-dessus de sa tête. Elle se laissa glisser auprès de lui.

« Tiens… lui dit-elle… Tu as oublié ça. »

Dans sa main, il sentit les perles d’un collier.

« Jette-le !… », dit-il.

Elle le lança au loin, dans les broussailles. Elle lui prit le visage entre ses mains et s’allongea contre lui, jusqu’à ce que leurs lèvres se touchent…

« Et maintenant… souffla-t-elle… Suis-je assez nue ? »

Kallenberg froissa les journaux avec irritation. Depuis trois mois, l’enlèvement de la Menelas par Satrapoulos prenait le pas sur les plus graves nouvelles internationales. On signalait le couple simultanément dans plusieurs points du monde. Ils avaient déjeuné dans un bistrot d’Acapulco, acheté de l’or à Beyrouth, donné une fête en Floride, rencontré un ténor de la politique à Berlin-Ouest. Tout cela le même jour. Foutaises !… Pourquoi l’insignifiante personne du Grec passionnait-elle la presse ? Combien payait-il pour qu’on parle de lui ? Si le public avait su que son héros de pacotille s’était fait rouler de plusieurs millions de dollars !…

Seulement, lui, Kallenberg, préférait rester dans l’ombre et tirer les ficelles. C’était peut-être moins glorieux — bien que l’injuste silence entourant ses succès le rendît parfois amer — mais infiniment plus efficace.

« Ça va Greta… Je vous appelle tout à l’heure. »

Il prit un fugace plaisir à ne pas ôter la main qu’il gardait coincée entre ses cuisses, sous la jupe. Elle virevolta en souriant et se dégagea. Quand elle fut sortie, Barbe-Bleue opéra diverses combinaisons sur les cadrans de son coffre-fort. La porte s’ouvrit. Il s’empara d’un dossier portant simplement la mention « Baran ». À voix haute, il ricana :