Выбрать главу

Dix jours auparavant, S.S. se trouvait à Cascais chez le prophète. Il avait quelque chose à lui demander mais ne savait trop comment s’y prendre, craignant que son « conseiller astral » ne le jugeât ridicule.

Il était là, hésitant, et l’autre sentait bien que ce qu’il avait à lui dire résidait précisément dans ce silence qui se prolongeait. Finalement, le Grec se décida avec gaucherie :

« Et le cœur, vous ne me parlez jamais du cœur.

— Je croyais qu’il ne battait que pour vos affaires ?

— Les femmes et les affaires vont souvent de pair.

— Que voudriez-vous savoir ?

— Je voudrais que vous me parliez d’une femme.

— Dites… Non, plutôt, ne dites rien, je vais regarder. »

Kalwozyak étala ses tarots…

« Elle est jeune…

— Évidemment.

— Elle est très protégée. Je la vois entourée de murs, de barrières… »

Satrapoulos eut une expression résignée :

« Ça !…

— Mais ces murs, ce n’est pas elle qui les dresse entre vous… Elle est entourée d’une foule de gens… Elle s’ennuie. Son nom est-il de notoriété publique ?

— Oh ! oui.

— Actrice ?

— Non. Bien qu’en un sens…

— S’agit-il de la femme avec qui vous vivez ?

— Pas du tout, non. Une autre.

— Elle joue un rôle… Ou on lui fait jouer un rôle… Qu’est-ce que c’est ?

— Politique…

— Eh bien, je peux vous affirmer qu’elle ne tient pas le coup. Elle craque !

— C’est impossible.

— Seigneur, que de menaces ! La mort… »

Le Grec s’accrocha à son fauteuil :

« Pour elle ?

— Non, non… La mort partout… Mais elle est protégée… Elle est mariée ?

— Oui.

— Quel est votre problème ?

— J’aimerais savoir… J’ai l’impression qu’elle me trouve… sympathique. Elle m’envoie des cartes, comme une gosse… Demain, peut-être, elle aura tout un pays à ses pieds…

— Vous la voyez souvent ?

— Non. Une fois, elle est venue en croisière sur mon bateau. Elle m’a dit que, si elle en avait le choix, c’est l’endroit où elle préférerait vivre.

— Qu’est-ce qui vous tracasse ?

— Elle m’intimide.

— Vous êtes amoureux ?

— Je ne sais pas. Je vous parais idiot, hein ?

— Pas plus que n’importe quel amoureux… », dit pensivement le Prophète.

Il lança un regard perçant à Socrate :

« Tout à l’heure, nous regarderons votre carte du ciel. Je vous indiquerai s’il y a lieu de vous rapprocher de cette femme, et quand. Pour l’instant, j’ai quelque chose à vous dire. Kallenberg est venu me voir il y a trois jours. »

Le Grec se durcit :

« Quand cessera-t-il de m’emmerder, celui-là ? Je croyais qu’après mon divorce et les raclées que je lui ai déjà infligées, il allait se tenir tranquille. Pourquoi me cherche-t-il des crosses ?

— Vous lui gâchez la vie.

— Je ne fais que me défendre !

— Vous n’y êtes pas. Vous lui gâchez la vie parce que vous le prenez toujours de vitesse. Vous contraignez à jouer les seconds rôles un type qui est malade quand il n’est pas le premier. »

Satrapoulos eut un sourire enfantin et carnassier :

« Qu’y puis-je ?

— Dans votre dos, il est en train de rafler à n’importe quel prix les actions de vos sociétés.

— Qu’est-ce que vous voulez que ça me fasse ? Même s’il les rachetait toutes, c’est quand même moi qui suis majoritaire. J’ai 52 pour 100.

— Vous tout seul ?

— Pratiquement, oui. Pour la forme, mes enfants ont 2 pour 100, et Lena, 3 pour 100.

— Supposez qu’il s’approprie ces 5 pour 100 ?

— Vous rigolez ? Achille et Maria ont douze ans !

— Eux, oui, mais Lena ? »

Bon dieu, il avait raison ! Si l’envie lui en prenait, Lena pouvait le mettre réellement en difficulté. Ce fut à cet instant précis que l’idée germa. À vrai dire, ce ne fut pas une germination à proprement parler, mais une espèce de clairvoyance foudroyante, tout un déroulement de temps en raccourci, causes, effets, exécution, avantages. Il y avait belle lurette qu’il désirait virer par-dessus bord ceux dont il avait eu besoin pour établir sa puissance : il venait de trouver le moyen de les larguer :

« Je crois que je vais tomber gravement malade. Je crois même que je vais mourir. »

Le Prophète fit la moue :

« Hum… Si cela était, je le saurais. »

Le Grec lui saisit les mains et débita des phrases à une cadence de mitrailleuse :

« Écoutez-moi !… Supposez que je meure… supposez que mon entourage cherche à garder la nouvelle secrète, mais qu’il y ait des fuites… une seule fuite… Je meurs, d’accord, mais la Bourse est malade. Vous me suivez ?… Moi mort, mes affaires ne valent pas cher, tout mon avoir est investi dans les pétroliers en chantier, mes super-géants. Qui veut reprendre mon passif ?… Personne ! Ceux qui ont des actions vont avoir la trouille de les voir baisser ! Conséquence : ils vendent. Et qui rachète un peu plus tard ?…

— Vous avez choisi votre genre de mort ?

— C’est un soin que je vous laisse. »

Le Prophète eut un rire rentré :

« C’est une idée superbe ! Mais ne nous énervons pas !… Attendez… On va voir à quelle période le deuil siéra le mieux à votre entourage… »

Mortimer était fasciné par les mains de Fast. Elles étaient longues, immenses, maigres et fortes à la fois. Les ongles, noirs de crasse, étaient cassés en plusieurs endroits. Mortimer avait une envie folle de les emprisonner. Ces doigts doués d’une vie qui leur était propre appelaient irrésistiblement ses doigts à lui. Il fallait qu’il touche. Même en peinture, pour « voir » vraiment un tableau, il était nécessaire qu’il en caresse la surface du bout de la main. Un jour, au collège — il devait avoir douze ans — le professeur s’était arrêté devant sa table, lui tournant le dos et expliquant son cours à la classe. Il avait les mains croisées juste sous le nez de Mortimer, des mains courtes et grasses, boudinées, qui se crispaient, s’étreignaient, se lâchaient, se reprenaient, couleuvres tronquées, parcourues de frémissements. Mortimer n’entendait plus rien depuis longtemps, possédé par le désir irrépressible de les saisir. Sans qu’il l’eût décidé, cela était arrivé, malgré lui. Le professeur, croyant qu’il faisait le pitre à ses dépens lui avait administré une énorme gifle. La classe avait éclaté de rire et Mortimer était sorti de sa transe, la joue en feu, douloureuse. Aujourd’hui encore, l’idée de ce contact était liée à l’idée de la gifle, de punition immédiate. À tel point que, lorsqu’on lui serrait la main, il la retirait très vite, craignant d’être châtié pour un contact prolongé.