Выбрать главу

— Ton idée est complètement idiote… dit Trendy. Tout ce que tu fais, c’est faire basculer notre électorat d’un camp dans un autre. Si un gauchiste avait la peau de Scott, on arracherait peut-être quelques voix à l’autre bord, mais on en perdrait tant sur la gauche que l’opération ne servirait à rien.

— Si !… ironisa Bosteld, le psychiatre du groupe chargé de l’étude des motivations collectives inconscientes… Dès que Scott serait mort, on pourrait dissoudre son brain-trust, et, par la même occasion, aller nous coucher ! »

Pust secoua la tête d’un air navré :

« Vous n’y avez rien compris ! En ce qui concerne les gens prêts à nous donner leur voix, les jeux sont déjà faits. Je vous dis que cette élection va se jouer sur des différences infimes, qu’on la gagne ou qu’on la perde. Vous oubliez aussi que le public aime les victimes, les héros et les martyrs. Si, quelques jours avant l’heure H on arrive à faire porter une auréole à Scott, c’est dans la poche ! Ce qu’il leur faut, c’est le grand frisson !

— Effectivement… », hésita Bosteld.

Il était l’un des rares conseillers politiques à ne plus se gargariser d’abstractions telles que « gauche » ou « droite » sans en avoir compris le sens profond. En début de campagne, il avait patiemment expliqué à ses compagnons que « politique » ou « police » avaient la même racine grecque, polis, la ville. La politique était donc l’art de gérer et d’administrer, avec l’aide de la police, une ville, un État, un pays. On l’avait toisé avec écœurement : comment osait-il leur débiter des évidences pareilles ? Sans se troubler, Bosteld avait continué sa démonstration :

« Si je commence par le commencement, c’est pour être certain que vous comprendrez la suite !

— On n’a pas engagé un psychiatre pour nous faire la leçon dans un domaine qu’on connaît mieux que lui ! Contente-toi de savoir ce qui fait changer les masses d’avis, et laisse-nous faire le reste !… avait protesté Trendy.

D’un sourire, Bosteld l’avait stoppé :

« Justement, j’y arrive… Puisque tu es si malin, explique-moi la différence entre gauche et droite ? »

Trendy avait pris ses amis à témoin, comme si un arriéré lui avait posé une question infantile…

« Non, Trendy, non, je suis très sérieux. Réponds-moi !

— Tout le monde sait que la gauche, c’est le système socialiste ou communiste, par opposition à un système capitaliste, réactionnaire ou fasciste. Enfin, en gros…

— Je ne t’ai pas demandé en quoi consistaient ces systèmes, ce dont tout le monde se moque puisque, dans les faits, ils ne changent pas grand-chose à la façon de gouverner, d’exploiter ou de faire la police. Je t’ai demandé pourquoi, pour les définir, employait-on les mots « gauche » et « droite » ?

— Ça change quoi ?… s’emporta Trendy.

— Tout ! répondit Bosteld avec douceur… Tu m’as bien demandé ce qui faisait changer les masses d’avis ? »

Ce jour-là, Scott arbitrait le débat. Il connaissait trop Bosteld pour croire qu’il leur faisait perdre leur temps. Il attendit la suite avec curiosité, pas fâché que Trendy, le vieux renard, pût se faire emboîter par une tête d’œuf qui aurait pu être son fils. D’un air amusé, il avait lancé au psychiatre :

« Accouche !

— On a le tort de croire qu’en politique ce sont des systèmes de pouvoir qui s’affrontent. Or, il ne s’agit pas d’idéologie. En surface, peut-être, et en apparence. En profondeur, non ! Il s’agit d’affects.

— Parle clairement ! », s’énerva Trendy.

Bosteld le considéra avec malice :

« Trendy, qui préfères-tu, ton père ou ta mère ?

— Ces deux charognes ?… Qu’elles restent au diable ! »

Tout le monde rit. Bosteld, sans se vexer, fit chorus. Il reprit :

« Et toi, Scott ? Papa ou maman ? »

Scott ne voulut pas faire les frais de la démonstration, il biaisa adroitement :

« Je ne parlerai qu’en présence de mon avocat. Demande plutôt à John…

— John, alors ?…

— Mon père était un salaud d’ivrogne. Je préfère mille fois ma mère !

— J’en déduis que tu es un type de gauche.

— Ah ! oui… Pourquoi ?

— Parce qu’en psychanalyse il existe une symbolique de base dont découlent la plupart de nos options futures. La gauche, c’est la femme, la mère. La droite, l’homme, le père.

— Et alors, quel rapport ?

— Si tu préfères ta mère, tu te révoltes contre ton père, c’est-à-dire contre l’ordre établi, la loi, la règle que t’impose la force du mâle. La gauche est constituée de gens qui ont voulu baiser maman et faire la peau à papa.

— Qu’est-ce que tu vas chercher !

— Et la droite, c’est le contraire. Parce qu’on préfère papa, probablement parce qu’on a peur de lui, on chausse ses godasses, on opte pour l’ordre et on subit sa loi.

— C’est pas si con… », avait murmuré Scott d’un air rêveur. Trendy avait haussé les épaules.

« Si tu crois que tes trucs à la gomme nous font avancer !… »

Mais depuis ce jour, le vieux n’osait plus tellement s’y frotter. Aussi, prit-il soin de ne pas couper la parole à Bosteld qui avait l’air d’approuver Belidjan. Le psychiatre enchaîna :

« Pust, comment vois-tu les choses ?

— Simple ! On simule un attentat, le bon peuple crie d’horreur et, indigné, nous offre ses bonnes petites voix qu’il serait allé porter ailleurs.

— Et Scott, on le met au parfum ?

— Vous êtes fous ! Il ne marcherait jamais ! Non, pour son propre bien, il faut faire ça dans son dos.

— Tu as l’homme qu’il faut pour l’opération ?

— Peut-être, mais pas si vite ! Avant d’aller plus loin, je veux être certain que nous marcherons tous comme un seul homme. Avant tout, je veux que vous juriez que quoi qu’il arrive, jamais personne au monde ne saura ce que nous avons décidé aujourd’hui même dans cette pièce. Pas un mot !

— Plus tard… Scott ?… Peut-être ?

— Surtout pas lui !… Nous sept, c’est tout ! Oui ou merde, et je rigole pas ! »

Ils avaient hésité pendant plusieurs minutes pour se ranger finalement à l’avis de Belidjan. La fin veut les moyens. Mieux, elle les détermine. Ils avaient juré solennellement. Après quoi, Pust leur avait fourni des noms et, ensemble, ils avaient réglé l’opération dans le détail. Ils n’avaient plus qu’une dizaine de jours pour la mettre sur pied. De la réussite dépendait que Baltimore Junior soit élu. Pendant ce temps, la future pseudo-victime dormait d’un sommeil sans rêves dans la pièce à côté.

Peggy raccrocha le combiné avec colère. Malgré une demi-heure d’efforts, elle n’avait pas réussi à avoir en ligne l’hôtel du Missouri où Scott était supposé être descendu. Non pas qu’elle eut éprouvé un besoin urgent de lui parler, mais elle voulait s’assurer qu’il était bien là où il devait être. Dans une heure, elle avait rendez-vous avec le dernier en date de ses amants, un jeune attaché d’ambassade français. Il avait vingt-huit ans, se prénommait Pierre et, quand il souriait, on avait l’impression que ses dents étaient fausses tant elles étaient parfaites. Ils s’étaient rencontrés à une réception où Peggy ne s’était rendue que dans le but de faire admirer une robe reçue le matin même de Paris. En passant près du groupe d’hommes dans lequel se trouvait Pierre, la jeune femme avait entendu les mots French kiss et n’avait pu s’empêcher d’en paraître amusée. Avec insolence, Pierre s’était planté devant elle :