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Sur l’écran, on la voyait mordre d’un air gourmand dans une grappe de raisins. Soudain, il y eut un instant de flottement… Sans fondu enchaîné se substitua au visage épanoui de la Menelas un cul qui ne l’était pas moins, un cul, rien qu’un cul, occupant toute la surface de l’écran, se tortillant, se cambrant, prenant la pose et faisant, si l’on peut dire, des mines. Le chirurgien éclata de rire, se rendit compte que c’était une réaction incongrue et tenta de corriger le tir simulant un violent accès de toux. Sa femme, qui était dame d’œuvres de la meilleure société athénienne, le pinça avec force, détourna son regard et feignit de ne pas voir les images qui continuaient à défiler dans la consternation générale. Achille observa la Menelas qui s’était crispée sur les bras de son fauteuil. Maria avait du mal à retenir un fou rire. Maintenant, les fesses avaient disparu pour laisser la place à deux mignons petits seins, arrogants, tendus, plantés haut. Le Grec était si abasourdi qu’il ne songeait même pas à arrêter l’appareil. Bouquet final, gros plan de face sur le visage pamé de la jeune fille accourant bras ouverts vers le porteur de la caméra. Le visage de la Menelas fut à nouveau sur l’écran. Mais déjà, elle se levait, lançant sèchement à Socrate :

« Si c’est un affront public que vous avez voulu me faire, bravo ! C’est réussi ! »

Le ministre des Transports se leva et se lança à sa poursuite :

« Chère amie !… »

Consterné, l’agent de change ralluma la lumière. Achille et Maria n’avaient toujours pas bronché. Le Grec se dirigea vers son fils :

« C’est bête et méchant. Quand je pense que je te croyais devenu un homme ! »

Achille écarquilla des yeux innocents :

« Vraiment… Je ne vois pas ce que tu veux dire.

— Tu le verras demain ! Maintenant, je te prie d’aller faire des excuses pour cette pauvre plaisanterie.

— À qui ?… s’étonna Achille.

— Fous le camp ! »

Pour qu’Olympe lui pardonne l’insulte subie sous son toit, le Grec lui offrit le lendemain une merveilleuse parure de diamants à laquelle tintinnabulaient de minuscules cœurs de saphir. Néanmoins, elle bouda pendant deux jours. Quant à Achille, il s’était trouvé un voyage urgent à Boston où résidait l’un de ses amis. Évidemment, sa blague n’empêcherait pas la connerie d’être faite, mais la tête de la Menelas découvrant la fille à poil lui avait valu une bien douce compensation : au lieu de son visage, elle avait vu un cul !

Après tout, pensait Achille, il fallait ne pas la connaître pour y voir une différence.

LA DIGNITÉ DE VOTRE CONDUITE EST LA FIERTÉ DU PAYS. RESTEZ À NOS COTÉS DANS LA BATAILLE QUI S’ENGAGE. NOUS AVONS BESOIN DE VOUS.

Le télégramme, adressé à Mme veuve Scott Baltimore, était signé par le plus grand ponte des Novateurs, homme de paille que Peter et Stephan utilisaient comme une marionnette avant de le larguer pour prendre sa place. Peggy ricana… Dans le libellé de l’adresse, on lui avait même supprimé son prénom ! Elle n’était plus que « Veuve Scott » ! Les salauds ne pensaient qu’à leurs foutues élections. Qu’est-ce que ça pouvait faire que Peggy soit une jeune femme et qu’elle étouffe ?

Elle ne pouvait plus supporter la politique. L’image de Scott, la tête ensanglantée, la poursuivait nuit et jour. Elle voulait oublier, oublier… Quant à l’Amérique, le « cher et vieux pays », elle s’en moquait comme de son premier soutien-gorge. Sa seule certitude était un refus définitif d’être réduite à l’état d’objet à des fins de propagande électorale. Les vestales éplorées, les inconsolables gardiennes du souvenir, les robes de deuil, les moues compatissantes et hypocrites de vieillards rusés, fini ! Elle en avait sa claque !

Depuis qu’elle avait prononcé le nom du Grec à la table familiale, tous les membres de la famille s’étaient succédé dans son appartement, avec des gueules de faux jeton et des clichés de rhétorique : l’honneur… la patrie… les enfants qui un jour… l’orgueil national… l’Église… le devoir… les responsabilités… Marre ! Jusqu’à ses belles-sœurs, Dolly et Suzan, épouses de Peter et Stephan, qui étaient venues lui demander sans rire d’épargner la « carrière de leurs maris », prétendant qu’une union avec le Grec coulerait le clan aussi sûrement que si elle épousait un Nègre du « Black-Power ».

« Est-ce que tu imagines les réactions de la presse ? disait l’une.

— Que peux-tu trouver de séduisant à ce métèque ? » ajoutait l’autre.

À les entendre, on aurait pu croire que Satrapoulos était un Martien avec des pustules sur le visage, un trou à la place du nez et les pieds palmés ! Elle les avait proprement éjectées. Comme avant les élections qui avaient causé la mort de Scott, l’émissaire financier de la famille Baltimore s’était entremis pour lui proposer un nouvel arrangement : combien désirait-elle pour ne consommer ce curieux mariage qu’après les élections ? Elle n’avait hésité qu’une seconde avant de refuser d’un ton hautain.

« Mais, avait protesté le banquier, vous aviez pourtant accepté jadis une offre de ce genre…

— Les temps ont changé ! » avait répliqué sèchement Peggy. Devant la fortune du Grec, la misérable monnaie de la corruption ne pesait pas lourd ! En dehors de Nut, qui l’encourageait, Peggy avait mis sa mère dans la confidence : que lui conseillait-elle ? Mme Arthur Erwin Beckintosh, impressionnée par les milliards de Satrapoulos, avait eu ce mot historique :

« Épouse ! Et plutôt deux fois qu’une ! »

Toutefois, il y avait un petit ennui : le Grec n’avait jamais dit à Peggy qu’il l’épouserait. Et s’il refusait ? Elle aurait bonne mine ! En fait, elle n’envisageait pas une seconde qu’il pût lui dire non. Personne au monde dans la vie ne lui avait jamais dit non. Pourquoi cela devrait-il cesser ? Elle caressa son diamant en forme de poire… En épousant Socrate, elle en aurait d’autres, autant qu’elle en voudrait. Elle vivrait nue au soleil, un carnet de chèques entre les seins. Elle dévaliserait les joailliers et les grands couturiers. Toutes les nuits, elle courrait les boîtes. Plus personne ne pourrait lui interdire quoi que ce soit, elle serait libre de donner des soirées dingues, libre de sortir avec des gens marrants, des artistes un peu fous et ces superbes play-boys de la « jet-society ». Elle ferait tout cela avec Socrate, il la comprenait, il aimait ça. Quelle vie !

Elle relut avec mépris la dernière phrase du télégramme : Nous avons besoin de vous. Elle fit une boulette du petit morceau de papier, la jeta dans une corbeille et chantonna sur l’air de l’hymne américain :

« Et mon cul, il a besoin de vous ? »

Pour dérouter les journalistes, il avait été convenu que le Grec et la Menelas arriveraient séparément à Londres par des appareils différents. Le Grec, non sans plaisir, avait prévu une perruque blonde et des moustaches destinées à le grimer. La cérémonie se déroulerait dans la petite chapelle orthodoxe de Londres, où nul ne serait admis. Seuls, Achille et Maria avaient été prévenus de ce qui se tramait. Tous deux avaient décliné l’invitation de leur père, qui n’avait pas insisté davantage, craignant des incidents de dernière minute entre sa future femme et ses enfants.

La veille du mariage, Satrapoulos donnait à Paris en son hôtel de l’avenue Foch un dîner d’affaires très important. Des armateurs australiens dont la société était en déconfiture. Le Grec voulait la racheter à tout prix mais laisser croire à ses hôtes que la transaction ne l’intéressait pas. Les Australiens, de leur côté, avaient un besoin pressant de liquider afin d’éviter la faillite et des poursuites judiciaires à l’échelle internationale.