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— D’une certaine façon, si. Parfois, d’ailleurs, je me demande si je suis en vie ! De toute évidence, je sais que je mourrai jeune.

— Idiot ! Tu cherches à me faire peur ?

— Non, c’est un sentiment. Tu vois, les types de cette génération, ils ont dû trop en baver lorsqu’ils étaient gosses. C’est anormal de vouloir se prouver sa puissance à ce point-là.

— Comment il a débuté, ton père ? »

Achille resserra son bras autour du cou de Joan. Elle lui embrassa les mains.

« Mystère. Le genre de sujet qui est tabou dans la famille. Tellement de gens savent des choses sur mon père… Et moi qui suis son fils, je ne sais presque rien.

— Ton grand-père était armateur ?

— Non. Commerçant, je crois.

— Et ta grand-mère ?

— Elle est morte quand j’avais deux ou trois ans. Là aussi il y a un secret… Tu vois, du côté de maman, on sait tout sur les ancêtres. Mais chez les Satrapoulos, on n’a pas d’existence tant qu’on n’a pas été riches. Papa ne m’a jamais parlé ni de son père ni de sa mère. Comme s’il était né orphelin.

— Tu as essayé de lui poser des questions ?

— Non.

— Pourquoi ?

— Sais pas. Remarque, un jour ou l’autre, il faudra bien…

— Tu n’as pas envie de savoir ?

— Si. Et en même temps, ça me flanque la trouille. Si on ne m’a rien dit, c’est qu’il n’y a pas lieu d’être fier !

— Pourtant, vus du dehors, les membres de ta tribu semblent avoir tout pour être heureux !

— Sûrement pas ! Leurs victoires leur donnent trop d’appétit. Et ils ont une boulimie de victoires. Ce sont des cannibales dans un cercle vicieux ! Faut toujours qu’ils bouffent quelque chose ou quelqu’un. Quand ils n’ont personne à se mettre sous la dent, ils se bouffent eux-mêmes !

— Tu trouves pas ça horrible, avoir tant de pognon et s’emmerder ?

— Faut pas en avoir trop. C’est un choix. La vie ou le pognon, l’amour ou le fric. Ça va pas ensemble ! Allez, assez déconné, on va survoler les îles, tu vas être dingue de mon nouveau zinc ! »

Achille pilotait depuis l’âge de seize ans. Parfois, au-dessus de la mer, il branchait le pilotage automatique et lui faisait l’amour en plein ciel.

« Je me recoiffe et j’arrive !

— Grouille-toi ! Je ne veux pas rater le coucher de soleil ! »

« Monsieur, si je vous ai reçu, c’est parce que ma fille a insisté. Je ne vous cache pas que je le fais avec répugnance. En outre, vous comprendrez qu’avec ce qui se passe actuellement, j’ai très peu de temps. »

Dun fut littéralement douché par cet accueil agressif et injurieux. Il ne s’attendait certes pas à ce que le Grec le serre sur son cœur en lui disant : « Dans mes bras mon gendre ! » mais tout de même il espérait un peu plus de courtoisie. Après tout, que ce vieux prétentieux le veuille ou non, il faisait un peu partie de la famille et n’allait pas se laisser bluffer.

« Puis-je savoir ce que vous avez contre moi ?

— Au fait monsieur ! Mes sentiments ne sont pas en cause. Que voulez-vous de moi ? »

Dun était de plus en plus déconcerté…

« Maria ne vous a-t-elle pas dit ?…

— Quoi donc ? Qu’elle couchait avec vous ?… Je le déplore, mais que voulez-vous que j’y fasse ? Elle a toujours été amoureuse de fantasmes, un torero, un coureur automobile, un attaché d’ambassade… et maintenant, vous !

— Le passé ne m’intéresse pas.

— Quand on le connaît, on peut apprendre beaucoup de choses sur l’avenir.

— Vos leçons ne m’intéressent pas non plus. J’étais venu vous demander la main de votre fille. Devant votre attitude, je vous informe simplement que je vais l’épouser.

— Toutes mes félicitations. Je suppose que vous êtes venu m’emprunter l’argent pour sa robe de mariée ?

— Monsieur, je ne vous permets pas !…

— Ne faites pas semblant de monter sur vos grands chevaux, crétin ! Vous n’êtes qu’un vieux play-boy raté qui cherche à se caser pour ses vieux jours !

— Ça suffit ! Vous vous êtes regardé ? »

Le Grec s’avança sur Dun, menaçant, et l’attrapa par les revers de sa veste (une merveille de Ciffonelli, à Rome, dont il avait reçu la facture un mois plus tôt).

« Je vais vous dire… Puisque vous allez épouser cette pauvre Maria, il faut que vous sachiez… Vous êtes un escroc minable, un petit journaliste mondain de trou du cul et de trou de serrure… Un gigolo… Si je ne vous ai pas fait mettre une balle dans la tête il y a vingt ans, quand vous avez fait mourir indirectement ma mère, c’est parce que je n’ai pas voulu souiller mes mains du sang d’un pourri ! »

Raph sentit le sang en question se retirer de son visage… Comment le Grec avait-il su qu’il était à l’origine du rapport de Kallenberg sur la vieille Tina ?… Il bégaya :

« Qu’est-ce que vous racontez ?… Qu’est-ce que vous dites ?… Votre mère ?…

— Fous le camp, salope ! Tant qu’elle sera avec toi, Maria n’aura jamais un rond de moi, rien ! Pas un rond ! Et toi méfie-toi !… Ce qui ne t’est pas arrivé autrefois, ça pourrait t’arriver aujourd’hui, demain, n’importe quand !… Un accident ! Qui te regrettera avec toutes les putasseries que tu as faites ?… »

Raph ne connaissait du Grec que sa légende d’homme à femmes et de mondain de la « jet-society ». Et brusquement, il avait un fauve devant lui, un gangster qui s’exprimait comme le voyou des quais qu’il avait dû être… Il essaya une ultime manœuvre pour sauver ce qui lui restait de dignité :

« Monsieur… En ce qui concerne votre mère…

— Barre-toi !

— Quant à Maria…

— Fous le camp ! »

Devant l’expression du Grec, Dun comprit qu’il valait mieux se taire plutôt que se faire tuer sur place. Il sortit du bureau. Plus tard, lorsque Maria lui demanda comment s’était passée l’entrevue, il lui répondit d’un air négligent que son père « semblait débordé, énervé, et que de toute évidence, ils devraient avoir une seconde conversation ». Maria sut que le côté officiel de sa romance était définitivement raté.

35

« Achille, c’est toi ? C’est Herman, ton oncle…

— Oui…

— Tu m’entends ?

— Oui.

— Alors, écoute bien, c’est très grave. En raison du deuil qui me frappe, j’ai décidé de te parler.

— Je vous écoute.

— Ton père est un salaud, tu m’entends ?

— Oui.

— T’a-t-il jamais parlé de ta grand-mère ?

— N… Non…

— Tu n’es pas curieux, Achille ! Quant tu étais enfant et que tu jouais sur mon bateau, tu l’étais davantage… Irène et moi, on t’aimait beaucoup tu sais… Eh bien, demande à ton père pourquoi il a laissé crever sa mère de faim ! Demande-lui aussi comment elle est morte ! Tu sais comment elle a été enterrée ?

— Non.

— Ton père se fera sans doute un plaisir de te l’apprendre ! Une dernière chose, Achille… Ta tante Irène t’adorait… Maintenant qu’elle est au ciel, je veux que tu saches que rien n’est changé pour toi. Si tu as besoin de quoi que ce soit, d’un conseil, d’argent, d’une assistance, je suis là, tu peux compter sur moi… Je sais combien ton père est injuste avec toi, à propos de Joan… Tu vois que je suis au courant… N’oublie pas ! Le moindre problème et Kallenberg arrive à la rescousse !