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Un sentiment de fureur le submergea : puisqu’elles le traitaient comme un bébé, il allait leur montrer, à ces salopes, qu’il n’en était pas un, qu’il n’avait pas peur d’elles. Avec un grognement, il saisit à pleine bouche le bout de ce sein obsédant, pendant que ses deux mains, filant droit entre des cuisses vers des sexes inconnus, cherchaient à s’enfoncer, plus loin, toujours plus loin. Avec un gémissement, deux des odalisques basculèrent au-dessus de lui dans le bassin et l’étreignirent passionnément, dans un nuage de mousse.

À son réveil, une idée le tarauda : les ai-je toutes honorées ? Depuis longtemps, il n’avait connu un assouvissement aussi total. Les putains le laissaient toujours un peu sur sa faim. Il n’était jamais certain qu’elles ne simulaient pas le plaisir que, dans sa rage, il voulait leur faire prendre à tout prix. Mais les filles de ce harem n’étaient pas des putains. Il s’agissait davantage de femelles sevrées, dressées pour l’amour comme des chiens pour la chasse. Il ne chercha même pas à savoir l’heure. Il allongea le bras. Dédaignant le plateau de victuailles posé près de lui, il saisit un cigare et l’alluma. D’un œil rêveur, il en suivit les volutes de fumée, tentant de chasser un souvenir qui lui était déplaisant. Pourquoi en avait-il honte ?… N’était-il pas resté le meilleur ami de Wanda ? Aux yeux du monde entier, il était son amant. Pourtant, ils étaient deux au moins à savoir qu’il ne lui avait jamais fait l’amour : elle et lui.

Il ne s’en était vanté à personne, elle non plus, car en se découvrant, chacun d’eux avait mis le doigt sur la faille de l’autre, passagère — unique même — chez le Grec, permanente chez Wanda…

Ils étaient dans un lit, dans le plus grand hôtel de Rome, après cette soirée imbécile où il l’avait laissé filer. En la rattrapant dans le hall d’entrée, alors qu’elle prenait ses clefs chez le concierge, il avait feint l’étonnement de la voir résider sous le même toit que lui. Leurs appartements étaient contigus — il avait payé assez cher pour ça ! Platement, jouant le tout pour le tout, il lui proposa de prendre un verre. À sa grande surprise, elle accepta :

« Volontiers. Venez donc me rejoindre dans une demi-heure. J’ai envie de me changer. »

Quand il sonna chez elle, elle lui ouvrit la porte en peignoir :

« Allons dans ma chambre. Si cela ne vous choque pas que je vous reçoive couchée… »

Il la suivit, le cœur battant. Elle s’allongea sur son lit sans plus de manières…

« Alors ?… »

Elle le regardait d’un petit air ironique, comme si elle lui imposait un examen. Comme il ne répondait pas, abasourdi de vivre en direct cet instant qu’il attendait depuis si longtemps, elle lui dit simplement :

« Voulez-vous vous étendre auprès de moi ? »

Il en fut sidéré. Il avait amoncelé une multitude de tactiques, répertorié les mille ruses dont il était capable et voilà qu’en trois mots, elle le dépossédait de ces armes :

« Vous préférez peut-être rester assis ? »

Il se sentait dans l’état d’esprit du type qui va au bordel pour la première fois et qui ne sait ce qu’il doit faire. Autant entrer dans son jeu : il s’allongea.

« Voulez-vous quitter vos chaussures ? »

De la pointe de son escarpin droit, il appuya sur le contrefort de la chaussure de gauche qui tomba sur la moquette. Même opération pour celle de droite. Il s’aperçut qu’il retenait son souffle, crispé, ayant totalement perdu l’avantage de l’offensive.

« Vous pouvez vous mettre à l’aise si vous voulez. Regardez, moi, je n’ai rien là-dessous. »

Elle écarta les pans de son peignoir et il cru que les yeux allaient lui tomber de la tête : effectivement, elle n’avait rien. Il apercevait la pointe de ses seins sans oser permettre à son regard de descendre plus bas, vers le triangle sombre du pubis.

« Enlevez donc votre chemise… »

Du bout des doigts, elle la déboutonna avec lenteur. Le Grec la laissait faire, épouvanté brusquement de se sentir aussi paralysé, incapable de proférer un mot ou de prendre une initiative quelconque. En un éclair, il saisit l’abîme qui existe entre les deux formes verbales, « prendre » ou « être pris ».

« Vous savez, vous pouvez vous mettre nu aussi. Cela ne me gêne pas… »

Horrible… Voilà qu’il découvrait la pudeur ! Lui qui était si fier de ses attributs ne pensait plus qu’à les cacher, comme s’il eût été anormal qu’il les exhibât. C’était trop bête ! La vierge, c’était lui !… Avec des gestes précautionneux, rabattant le drap sur son corps, il acheva de se dévêtir, terriblement mal à l’aise.

« C’est si difficile ?

— Avec vous, oui… »

Tiens, il retrouvait l’usage de la parole…

« Qu’est-ce que j’ai de spécial ?…

— Je ne sais pas… C’est bizarre… »

Même le contact de sa peau provoquait en lui une sensation de panique.

« J’avais cru comprendre que vous me désiriez… Me suis-je trompée ? »

Il eut le courage d’affronter son regard : elle ne se moquait pas de lui. Au contraire, elle était presque trop grave.

« Oui, je vous désire. Peut-être trop.

— Alors prenez-moi. »

Il referma ses bras sur elle, sentit son ventre coller au sien, fit tous les gestes qu’on accomplit habituellement dans un cas semblable : rien. Dix minutes encore, il la caressa mécaniquement, en proie à une terreur violente. Ses réflexes ne jouaient plus, il était frappé d’impuissance. Pour se libérer, il aurait fallu qu’il la secoue, qu’il l’insulte ou qu’elle le morde, mais rien de tout cela n’arrivait. Elle se laissait faire, sans rien manifester, et il fuyait ses yeux honteux, misérable, catastrophé par cette épouvantable chose qui lui arrivait pour la première fois.

« Socrate… »

Il se détacha d’elle, définitivement vaincu :

« … Vous voyez… C’est difficile… Pourtant…

— Pourtant quoi ?

— J’aurais tant voulu !… »

Il s’entendit avouer, dans un souffle :

« Moi aussi.

— Vous, c’est différent… »

Elle avait une voix sourde, profondément triste, poignante.

« Différent en quoi… demanda-t-il.

— Oh ! ça ne fait rien, je suis maudite. J’espérais qu’avec vous…

— Je ne sais pas ce que j’ai… C’est la première fois que ça m’arrive… Je ne comprends pas…

— Ce n’est pas grave… Demain, vous pourrez. Avec quelqu’un d’autre…

— Avec vous !

— Non, pas moi. C’est moi qui ne peux pas. N’ayez pas de regret. Si vous aviez pu, c’est moi qui me serais dérobée. Je n’ai jamais fait l’amour, vous comprenez…

— Jamais ? s’étonna-t-il.

— Non. Jamais avec un homme. »

Il y eut un long silence. En certaines occasions, les mots, entre eux, exigent un silence qui leur rendra leur poids. Elle ajouta :

« Je ne peux pas supporter qu’ils m’approchent… Vous… vous êtes le premier. »

Timidement, il la reprit dans ses bras. Elle ne l’en empêcha pas et vint nicher sa tête contre son épaule. Elle lui chuchota à l’oreille :

« J’ai honte de vous l’avouer, mais je n’ai connu, je ne peux connaître… que des femmes. »

Au moins, il était fixé : quinze partout.

« Est-ce que ça nous empêche d’être des amis ?