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Mario, l’homme qui lui servait de chauffeur et de valet de chambre, entra dans son bureau. Dans ses bras, il tenait une espèce de coffre clouté, ressemblant à ces fameux coffres de pirates qui l’avaient fait rêver au cours de son enfance :

« Qu’est-ce que c’est ?

— C’est pour monsieur.

— Qu’est-ce qu’il y a dedans ?

— Je ne sais pas, monsieur.

— Qui vous a donné ça ?

— Un monsieur.

— Quand ça ?

— Tout de suite, monsieur. Le monsieur est dans l’entrée.

— Mais… je n’ai pas de rendez-vous… Enfin, quoi, Mario ! Explique-toi !

— Le monsieur m’a dit : « Je n’ai pas de rendez-vous « avec monsieur, mais donnez-lui ceci, qu’il l’examine et « demandez-lui de me recevoir. »

Le Prophète resta perplexe. Méfiant, il se demanda un instant si le coffre ne contenait pas une machine infernale. Les gens sont fous… Il avait peut-être mal orienté une épouse délaissée et allait devoir subir les foudres du mari ? Qui pouvait donc souhaiter sa mort ? Mario déposa l’objet sur le sol. Il tendit une petite clef au Prophète. L’autre la prit, hésita à la glisser dans la serrure, fut tenté de prier son domestique de le faire pour lui, y renonça et, pas tranquille du tout, le fit lui-même : il n’y eut pas d’explosion. Mais la vision qui s’offrit à lui lui causa un choc peut-être aussi violent. Il referma précipitamment le couvercle du coffre et dit à Mario, qui n’avait pu en voir le contenu, de le laisser seul. Il ajouta :

« Faites patienter ce monsieur. Je vais le recevoir. »

Quand il fut certain que son factotum était sorti, il ouvrit le coffre à nouveau : jusqu’à ras bord, il était plein de pièces d’or. C’était sans doute une façon bien romanesque de s’annoncer, mais indéniablement, elle était efficace ! Ce qui l’étonna le plus, ce fut de voir la carte qui accompagnait l’irrésistible envoi : il attendait une femme, il s’agissait d’un homme. Le carton portait simplement un nom : « Herman Kallenberg. » La première réaction du Prophète fut la panique : Kallenberg venait pour se venger du tour que lui avait joué Satrapoulos. Et ce tour, c’était lui, Hilaire Kalwozyac, qui le lui avait soufflé.

Pourtant, son visiteur devait avoir des intentions pacifiques. Lorsqu’on veut casser la figure à quelqu’un, on ne lui apporte pas une caisse d’or à domicile.

Le Prophète connaissait trop les hommes pour ne pas savoir qu’un cadeau de cette envergure appelait en contre-partie un service futur en échange. Lequel ? Un mouvement d’humour le fit s’imaginer se tirant les cartes pour l’apprendre. C’était plus simple : il n’y avait qu’à le faire entrer, le laisser exposer lui-même sa demande. Le Prophète sonna Mario :

« Voulez-vous conduire ce monsieur jusqu’à moi… »

Trente secondes plus tard, Mario introduisait l’armateur dans le bureau. Le premier contact fut bizarre. Le Prophète avait décidé d’attendre que Kallenberg ouvre la bouche le premier. Quant à Herman, il s’était juré de ne rien dire tant que l’autre n’aurait pas parlé. Cela donna deux hommes debout, muets, autour d’un coffre. Comme la durée de ce silence oppressait le Prophète, il céda. Comme il était furieux d’avoir dû céder, il fut assez agressif :

« Monsieur, soyez le bienvenu chez moi… (désignant le coffre)… mais vraiment… je ne vois pas… je ne comprends pas… Je ne suis pas une banque. »

Kallenberg lui fit un grand sourire et s’avança la main tendue :

« J’ai tellement entendu parler de vous que j’ai voulu vous connaître. Je m’appelle Kallenberg. Je suis armateur. »

À son tour, le Prophète ne put s’empêcher de sourire : quel numéro lui servait-on ? Dans n’importe quel pays du monde, le dernier des bouseux connaissait le nom de Kallenberg, devenu, avec celui de Satrapoulos, synonyme de richesse. Kalwozyac attendit la suite, interloqué. Toujours souriant, Herman lui demanda :

« Puis-je m’asseoir ? »

Il s’assit. Il y eut à nouveau un long silence.

Le Prophète commença :

« Puis-je savoir ?… »

Kallenberg l’observait, le visage empreint de loyauté, rayonnant de sympathie, de malice. Il désigna le coffre :

« C’est de cela que vous parlez ? Ce n’est pas grand-chose. Mettez ça sur mon côté roi mage…

— Je ne suis pas l’Enfant Jésus.

— Certes pas, non, mais disons que ce petit cadeau… enfin ça me fait plaisir.

— Excusez-moi, mais je ne vois pas très bien la raison. »

La raison, le Prophète commençait à la saisir, mais il s’était repris et avait l’intention de passer un bon moment : quel dommage qu’il ne puisse garder cet or ! Il reprit :

« Bien entendu, il n’est pas question que je l’accepte.

— Alors, distribuez-le à vos pauvres. Ce qui est donné est donné.

— Désolé, mais quand j’accepte un présent, j’aime savoir pour quels motifs on me l’offre.

— Présent ? Vous avez dit présent ? Vous n’y êtes pas du tout !

— C’est vous-même qui avez employé ce mot.

— Eh bien, c’est une erreur ! C’est paiement, que j’aurais dû dire.

— Un paiement contre quoi ?

— Je voudrais que vous me tiriez les cartes.

— Cela ne coûte pas aussi cher…

— Permettez-moi de juger par moi-même le prix du service que j’attends de vous.

— Quel service ?

— Que vous me tiriez les cartes.

— Que voulez-vous savoir ?

— Justement, c’est vous qui allez me le dire.

— Monsieur Kallenberg, votre visite m’honore, mais j’avoue que j’ai du mal à vous suivre. Vous vous faites annoncer par une caisse d’or, ce qui est bien inutile car j’aurais eu grand plaisir, de toute façon, à vous recevoir. Voyez-vous, dans mon… métier, je vois quotidiennement des gens venus pour m’exposer leurs problèmes. Je fais de mon mieux pour les aider. Alors, s’il vous plaît de m’y répondre, je vous pose la question : quel est votre problème ?

— Un problème de famille.

— Je vous écoute.

— Vous pouvez en parler comme cela… sans les tarots ?

— Monsieur Kallenberg, les tarots ne sont qu’un des nombreux supports de mes voyances. Mais ils ne peuvent pas parler à vide.

— Je vais vous expliquer. Mes affaires prennent une extension qui, parfois, me dépasse. Je suis un homme très entouré, mais je suis un homme seul. De tout côté, j’ai eu la preuve que vos conseils psychologiques font merveille. J’aimerais en bénéficier. M’accorderez-vous la faveur de me compter parmi votre clientèle ?

— Qui vous a parlé de moi ?

— La rumeur. Tout le monde vous connaît.

— Mais encore ?

— Quelqu’un qui m’est très proche.

— Qui ?

— Ma femme.

— Et qui lui a parlé de moi ?

— Sa sœur. Lena Satrapoulos.

— Je ne me rappelle pourtant pas l’avoir jamais eue comme cliente.

— Lena, non, mais son mari, oui.

— Vraiment ? »

Kallenberg eut une moue mi-amusée, mi-navrée, et tendit les bras en un geste d’apaisement :

« Monsieur Kalwozyac… Et si vous déposiez un peu les armes ? »

Le Prophète eut la sensation pénible que son sang refluait de toutes les parties de son corps en direction de sa tête, et s’apprêtait à le quitter, par son nez, ses oreilles, sa bouche, ou même son cerveau : comment ce type avait-il pu apprendre son identité réelle ? Il déglutit et fit un effort pour se ressaisir. Maladroitement :