« Je veux que chacune d’entre vous me rappelle son nom. »
Elles se nommèrent :
« Brigitte.
— Annette.
— Marie-Laurence.
— Joëlle.
— Cathia.
— Ghislaine. »
Il était assis sur le lit. Celle qui avait dit se prénommer Ghislaine avait appuyé sa tête sur ses genoux. Les autres l’entouraient, si proches que chacune avait une partie de son corps, genou, main, cuisse ou épaule, en contact avec celui d’el-Sadek. Et ce contact faisait monter en lui une violence contenue, mi-désir, mi-fureur de l’éprouver, car il sentait que ces chiennes à vendre avaient un pouvoir sur lui. Il se contint :
« Et qu’est-ce qu’ils veulent dire, ces prénoms ?
— Mais rien. Ils se suffisent à eux-mêmes. Pourquoi ?
— En Orient, le prénom qu’on donne à un enfant a une signification précise qui aura une grande influence sur son avenir. Il vaut mieux s’appeler Lion que Chacal.
— Chez nous, on s’en fiche !
— Ah ! oui. Connaissez-vous parmi vos relations quelqu’un qui ait été baptisé Judas ? »
Les filles se regardèrent, sans comprendre. L’émir enchaîna :
« Tout est écrit.
— Vous croyez au destin ?
— À quoi d’autre peut-on croire ?
— Vous pouvez lire l’avenir ? », demanda la plus potelée de toutes.
Une autre s’exclama :
« Oh ! oui. Les lignes de la main ! Faites-les-moi ! »
Celle qui avait posé sa tête sur les genoux d’el-Sadek, peut-être un peu plus ivre que les autres, peut-être plus pressée d’aller au but, grattait de ses ongles immenses, dans un lent va-et-vient qui semblait presque machinal, la cuisse du vilain mâle, remontant imperceptiblement vers l’aine et l’intérieur de la jambe. L’émir se força pour que sa voix ait l’air posée lorsqu’il répondit :
« Nous avons d’autres moyens de voyance beaucoup plus efficaces en Arabie Saoudite.
— Quoi ? Dites-nous !
— Les lignés de la main, ce n’est pas sérieux. La main n’a rien de secret. Elle est toujours nue, elle est en contact avec des choses impures. Si le destin est écrit sur le corps d’un être humain, le Prophète a voulu que ce soit dans un endroit secret.
— Où ça ?
— Vous allez être choquées si je vous le dis.
— Dites ! Dites !
— Pour vous, les femmes, c’est à l’endroit que vous gardez le plus souvent caché. Là où le dos finit et les jambes commencent.
— Sur les fesses ?
— Exactement. Et aussi entre les seins.
— Vous êtes sérieux ?
— Je vous le garantis. Voulez-vous vous livrer à une expérience ? Y en a-t-il une d’entre vous qui souhaite savoir ce que la vie lui réserve ?
— Moi ! dit la tête sur les genoux. Le haut ou le bas ?
— Où vous voudrez. »
Elle ne prononça plus un mot, se dégagea de sa position et s’allongea sur le ventre. Sans se presser, elle releva doucement le bas de sa robe. Elle portait des bas fumés dont l’attache, sur la cuisse, formait un léger bourrelet de chair encore plus blanc que le blanc de la robe. Son slip apparut :
« Allez-y, dites-moi tout, je vous écoute.
— Baissez votre slip, sinon, je ne peux rien voir. »
Elle s’exécuta, toujours avec lenteur. Elle avait des jambes superbes, des attaches diaphanes à force d’être fines qui, mystérieusement, se gonflaient progressivement le long des mollets, s’étranglaient doucement, en col d’amphore, à l’articulation du genou, pour reprendre leur volume en remontant vers les cuisses et s’épanouir en une courbe explosive, violente et douce, qui allait mourir dans la prodigieuse minceur de la taille. El-Sadek en avait la bouche toute sèche. D’un doigt qu’il voulait distrait, il caressa les fossettes formant deux creux souples à la hauteur des vertèbres lombaires, descendit, suivant de l’index des lignes imaginaires. Les autres candidates à la voyance s’étaient tues, troublées :
« Je vois une carrière formidable ! dit el-Sadek.
— Dans quoi ? pouffa l’une des blondes.
— Argent. »
Il plongea la main dans sa poche, en retira la bourse pour en extraire un diamant qu’il inséra entre les dents de la fille troussée :
« Vous voyez que je ne mens pas. Voici le début de votre fortune.
— À moi ! dit Joëlle d’une voix rauque, c’est mon tour… »
Nerveusement, elle dégrafa les trois boutons qui ornaient le haut de son corsage. Elle prit ses seins à pleines mains et les fit jaillir par-dessus son soutien-gorge. Presque agressive, elle ajouta :
« C’est bien là, n’est-ce pas, que vous pouvez voir si l’on peut devenir riche ? »
El-Sadek se pencha vers elle, frôla les seins du dos de la main, dont les bouts devinrent durs comme par magie :
« Laissez-moi voir… Vous aussi, vous avez beaucoup de chance… La fortune… Tenez… Voilà pour vous porter bonheur. »
Joëlle porta la pierre à ses lèvres, la baisa et la fit tenir en équilibre entre ses seins, coincée. De ses mains redevenues libres, elle déboutonna la chemise du vieil homme et caressa son torse osseux, sans se presser : elle avait vu que la bourse de cuir était encore bourrée de diamants, et peu lui importait d’où il les sortait, pourvu qu’elle lui en soutire le plus possible.
« Et nous ? interrogèrent les autres…
— Vous voulez savoir aussi si vous serez riches ?
— Oui, dites-nous !
— Attendez ! Nous allons nous organiser… Trois d’entre vous me montreront le haut, les trois autres, le bas. Allongez-vous. »
Docilement, Cathia, Brigitte et Marie-Laurence se couchèrent sur le ventre, relevant leurs jupes ; Annette, Joëlle et Ghislaine roulèrent sur le dos, les seins à l’air :
« Maintenant, ne bougez plus… »
El-Sadek se recula d’un pas et contempla le spectacle : c’était superbe. Il se rapprocha, examinant de plus près, bouleversé d’apercevoir sur les cuisses de Cathia, très haut, l’ombre qui laissait présager la naissance d’un duvet blond. Les filles étaient immobiles comme des statues, entrant dans le jeu du vieux salaud plus qu’elles ne l’auraient souhaité. Mme Julienne leur répétait souvent qu’elles devaient garder la tête froide. Ce n’était pas toujours facile, les circonstances, l’alcool ou la vue de la richesse agissant parfois sur elles comme un aphrodisiaque puissant les conduisant, malgré leur désir de rester objets, à un plaisir qu’il n’était plus en leur pouvoir de dominer.
« Fermez les yeux ! »
Elles s’exécutèrent, essayant de deviner à l’oreille les gestes de l’émir. Elles entendirent le cliquetis caractéristique des brillants et sentirent qu’il les déposait, froids et merveilleux, au creux d’un nombril, à l’articulation de la cuisse et de la fesse, sur la pointe d’un sein.
El-Sadek était debout au-dessus d’elles, qui gisaient en demi-corolle sur la circonférence parfaite du lit, pétales vivants d’une fleur dont le cœur aurait été noir, et qu’on aurait mutilée.
Entre les peaux des six filles, il y avait des nuances de ton qui le surprenaient, s’étendant du blanc dur et absolu des jambes de Cathia à l’ocre orangé de la poitrine de Ghislaine, en passant par les valeurs délicates, en camaïeu, nacre pâle et bistre clair, de cette marqueterie de chair souple. Là où il avait posé ses diamants, fulgurait parfois un éclat, quand changeait l’angle d’une de leurs facettes, au gré d’un muscle qui palpitait, d’un sein qui frémissait, renvoyant la lumière dans l’espace, en une épingle rectiligne et brève.