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« Bah !… qu’est-ce que cela peut faire ? Demain, vous ne penserez plus qu’aux joyaux que je vous aurai offerts ce soir, alors que cette minuscule égratignure sera oubliée… »

Se tournant du côté de Cathia :

« Que préférez-vous ? Le ventre, les fesses ou les seins ?

— Ce qui se voit le moins… Les seins, si vous voulez. »

Ce qu’el-Sadek aurait préféré, c’était la gorge, mais il lui était difficile d’en faire état. Cathia, qui s’était avancée en offrant sa poitrine, eut un soubresaut et recula :

« Non, je ne peux pas ! »

L’émir fut suave, ce qui l’excitait le plus, c’était la peur des autres :

« Allons, ma douce fleur, vous n’avez rien à craindre… Regardez Annette… Regardez son diamant… Vous ne voulez pas avoir le même ? Vous n’avez pas envie que je vous reconnaisse, que je ne vous confonde avec personne ? »

Soûles, Ghislaine et Marie-Laurence s’étaient affalées sur le lit, cuisses ouvertes, l’une contre l’autre, enlacées, se caressant les bras, le visage, les cheveux, admirant le reflet d’elles-mêmes que leur renvoyaient, sous tous les angles, les miroirs qui tapissaient la pièce. Elles voyaient d’un œil hébété mille Joëlle caresser les mille sexes d’une infinité d’Arabes brandissant des rasoirs sous le nez de millions de Cathia, pâles de terreur.

Simultanément derrière les miroirs, quatre caméras automatiques balayant la totalité de la chambre dans ses moindres recoins, enregistraient la même scène, y compris ce que ni Ghislaine ni Marie-Laurence ne pouvaient voir : leurs propres yeux. Les machines ronronnaient doucement, depuis l’instant où l’homme et les six femmes avaient pénétré dans ce piège de glaces, de velours et de fourrures. En ouvrant la porte à son invité, Satrapoulos en avait lui-même déclenché la mise en route. Apparemment, il n’avait pas installé pour rien ce studio miniature : avec ce prologue seulement, il y avait de quoi faire un sacré film ! Le film le plus cher du monde, celui que l’émir souhaiterait ne jamais voir projeté du côté du Koweït.

On frappa à la porte. La tête d’Ali se glissa dans l’entrebâillement, presque hilare. Sans un regard pour le spectacle, il riva ses yeux à ceux d’el-Sadek et prononça une phrase en arabe. À son tour, l’émir sourit de contentement. Il répondit d’un mot et, s’adressant aux blondes :

« Rhabillez-vous. »

Elles le regardèrent, hésitant à comprendre.

Il répéta, chuintant de plus en plus les voyelles sous le coup d’un soudain énervement :

« Je vous dis de vous rhabiller ! Vous m’avez fait passer une divine soirée, mais je dois me consacrer maintenant à des choses très sérieuses. »

Ghislaine fut la première à reprendre ses esprits :

« Mais… Vous n’avez plus envie de nous faire l’amour ?

— Filez !

— Et les diamants que vous nous aviez promis ? s’indigna Joëlle…

— Faites l’amour avec mes hommes, vous aurez droit à un de plus.

— Appelez-les ! », dit Marie-Laurence.

Elle était venue dans un but très précis, qui ne l’enthousiasmait ni ne la révoltait, avec peut-être le secret espoir qu’il ne se passerait rien. Et maintenant que cela lui arrivait, ou, plutôt, que rien ne lui arrivait, elle se sentait frustrée, dupée et, ce qui n’arrangeait pas les choses, vraiment très ivre. Elle ajouta :

« Qui va me baiser, moi ? Je veux qu’on me baise ! »

Elle s’était accroupie sur le lit et Ghislaine, avec une tendresse insistante, qu’elle osait pour la première fois, lui caressait doucement les cheveux.

« Allez vous faire baiser ailleurs ! », siffla l’émir dans un dernier effort pour se contenir. Il fouilla une fois de plus dans sa bourse, tous les regards rivés à ce geste enchanteur, en sortit six pierres qu’il jeta par terre avec colère :

« Prenez-les et sortez ! Ahmed et Ali vous attendent. »

Il les appela. Les deux géants pénétrèrent instantanément dans la chambre.

El-Sadek leur dit quelques mots, désignant les filles d’un geste large qui signifiait : « Du balai ! »

Elles étaient déjà à genoux, ou à plat ventre, essayant avec difficulté de concilier, dans un dérisoire effort de dignité, leur position humiliante, leur avidité pour les bijoux, leur désir de ne pas perdre la face. Gentiment, Ahmed et Ali les aidaient à ramasser leurs affaires, lorgnant à la dérobée, au hasard de postures révélatrices, ces chairs pâles et soyeuses. Certaines d’entre elles se saisirent de leurs vêtements sans même songer à les enfiler. À quoi bon ? Pour les quitter à nouveau dans cinq minutes ? Tapotant avec agacement dans ses mains, l’émir pressait le mouvement, berger nerveux d’un troupeau de call-girls. Lorsque Cathia, qui était la dernière, franchit le seuil de la porte sans un regard pour lui, afin de mieux montrer à quel point elle était mécontente, el-Sadek glissa une phrase dans l’oreille d’Ali, qui acquiesça. Il entrevit Ahmed faisant monter ces morues dans les étages, laissa la porte entrebâillée, retourna s’asseoir sur le lit et attendit. On frappa très légèrement.

Le cœur de l’émir cogna dans sa poitrine :

« Entre ! »

La porte s’ouvrit toute grande, livrant passage à Ali, encadré par deux petits garçons d’une douzaine d’années, de race blanche, souriant d’un air faussement timide. El-Sadek leur sourit en retour :

« Entrez donc, mes chers enfants… »

Discrètement, Ali disparut comme il était venu, d’autant plus vite qu’il ne voulait pas laisser Ahmed prendre de l’avance sur lui dans la petite fête qui allait suivre.

« Comment vous appelez-vous ? », dit l’émir aux enfants. Et il s’approcha d’eux, l’air patelin…

Le scénario en cours de tournage allait s’enrichir d’une nouvelle scène inédite, rigoureusement interdite aux moins de dix-huit ans.

10

Spiro leva la tête et scruta le ciel d’un bleu insoutenable. Depuis quelques secondes, ses oreilles percevaient un bourdonnement aux limites de l’audible mais ses yeux ne distinguaient encore rien. Soudain, il vit l’espèce de minuscule mouche sombre qui se mit à augmenter de volume en approchant de l’endroit favori où paissaient ses chèvres, l’éperon rocheux dominant le terre-plein qui formait corniche au-dessus des falaises enracinées dans la mer.

Pour en avoir vu plusieurs les jours précédents, il reconnut immédiatement un hélicoptère. Mais, contrairement à ceux qui avaient déjà atterri, celui-ci n’était pas gris fer, mais noir. L’appareil survola la plate-forme, sembla hésiter un instant et toucha terre délicatement. Les pales s’immobilisèrent dans un frémissement. Le silence…

Puis, malgré la distance, Spiro entendit nettement les pentures tourner autour des gonds. La porte de la carlingue s’ouvrit et une silhouette en combinaison noire sauta au sol, inspecta les alentours, regarda sa montre et fit quelques pas. L’homme revint vers l’appareil, tendit la main et aida à descendre trois personnages vêtus de longues robes blanches comme des bachi-bouzouks, ces tueurs turcs que son oncle lui avait montrés sur une gravure. Sauf que les trois types n’avaient pas de sabre — ils les dissimulaient sans doute sous les plis de leur robe. Maintenant, ils étaient tous en plein soleil, debout, pierres blanches et noires dans la craie aveuglante du paysage…

Pendant une éternité, rien ne se passa. Et à nouveau, ce fut ce bruit. Surgi d’un point invisible de l’horizon, un essaim vrombissant prit brutalement possession de l’espace. Effaré, Spiro compta six appareils noirs qui fonçaient droit sur son repaire. Quand ils passèrent au-dessus de lui, d’instinct, il rentra la tête dans les épaules et s’aplatit autant qu’il le put sur la mousse sèche du talus, faisant corps avec elle. Quand il osa risquer un regard, les hélicoptères se laissaient glisser mollement jusqu’à la corniche, semblant, vus d’en haut, se poser avec la douceur de feuilles mortes. Des passagers descendirent, hommes ou femmes tous en noir, araignées insolites sur champ de neige. Il y eut des mains serrées, des conciliabules mystérieux et un mouvement collectif des têtes quand sortit du ciel un septième appareil qui fit un tour complet sur lui-même avant d’atterrir près des autres. Ses occupants se rangèrent aux côtés des premiers venus.