Il l’aperçut mais n’arrêta pas son exercice pour autant, lui jetant un regard mauvais et irrité. Au bout d’une vingtaine de mouvements, il interrompit sa série, et se redressa, en nage :
« J’arrive, ma chérie, j’arrive… »
Interloquée, Peggy retourna dans la chambre et alla s’asseoir, non pas sur le lit, mais dans un fauteuil. Elle était ahurie qu’un homme pût songer à faire de la culture physique à un moment pareil. Quelques instants plus tard, Tony apparut, statue de dieu grec préfabriqué, grand sourire sur les lèvres. D’un air satisfait, il lui lança :
« Je suis assez bien bâti naturellement, mais j’ouvre l’œil pour garder la forme. Tiens, regarde… »
Il prit une posture d’Apollon et s’offrit de trois quarts à ses regards, bandant ses muscles qui tressaillaient et s’agitaient, serpents vivant une existence indépendante sans que sa pose en fût altérée. Anéantie, Peggy pensa : « Et c’est ce con que j’ai choisi pour oublier Scott !… »
Très à l’aise, Tony continuait ses pitreries et ses contractions. « Et voilà ! », dit-il joyeusement lorsqu’il jugea que la démonstration était suffisante.
Alors, s’emparant du corps de Peggy comme d’une plume, il acheva son numéro d’homme des bois en la balançant sur le lit pour se jeter sur elle avec des grognements. À peine l’avait-il étreinte qu’il la faisait rouler par-dessus lui, de telle sorte qu’elle se retrouva à califourchon sur son corps. Pendant qu’il essayait vainement de la pénétrer, elle accrocha son regard : elle vit qu’il avait les yeux grands ouverts mais qu’il ne la voyait pas. Fixement, il semblait observer un point situé au-dessus de la tête de Peggy. Elle se retourna : au plafond, il y avait un immense miroir qui reflétait la scène.
Tony ne cherchait pas à faire l’amour avec elle, mais avec lui-même par le biais de sa personne interposée. Elle s’arracha vivement du lit et alla s’enfermer dans la salle de bain : elle était horrifiée par ce Narcisse impuissant qui ne pouvait avoir une érection qu’en se regardant dans une glace.
Elle émergea de son déplaisant souvenir :
« Tu veux quoi ? »
Tony ricana, mal à l’aise et agressif.
« Ne t’imagine pas que ton futur mariage est dans la poche…
— Ce qui veut dire ?
— Rien, je me comprends. »
Il tourna dans la pièce, déplaçant des objets :
« Il paraît que tu veux épouser Scott Baltimore ?
— Ça te concerne ?
— Tu sais que son grand-père était trafiquant et bootlegger ?
— Et le tien, il était quoi ? Es-tu même certain d’en avoir eu un, bâtard !
— Peggy, ne joue pas ce petit jeu avec moi… Méfie-toi ! Attention à ce que tu dis. »
Elle le toisa avec un infini mépris :
« C’est tout ?
— Non ! Tu n’es pas libre. Tu as des comptes à me rendre ! Tu sais combien tu m’as coûté ? Tu sais combien j’ai dépensé avec toi ? Cinq cent mille dollars !
— Et alors ?
— Alors, il faut me les rendre.
— Tu es tombé sur la tête ?
— Je t’ai offert des cadeaux, des bijoux, des fourrures ! Ce n’est pas une petite salope qui arrivera à me ridiculiser !
— Pauvre type ! Je ne sais même pas de quoi tu parles. Si tu penses qu’il y a litige financier entre nous, va raconter ça à ton avocat. Ou à ta maman !
— Tu me prends pour un con ?
— Oui. Tout le monde te prend pour un con. »
Il fit deux pas menaçants dans sa direction. Elle eut un geste infiniment rapide vers un tiroir. Au bout de sa main minuscule, Tony aperçut, non pas le classique petit pistolet de dame, mais le Colt réglementaire de la police new-yorkaise.
« Stop ! »
Elle n’avait pas élevé la voix, mais il comprit parfaitement qu’elle ne plaisantait pas. Interdit, il balbutia :
« Tu es cinglée, non !
— Recule.
— Écoute.
— Recule ! »
Il recula de trois mètres et resta planté, debout, les bras ballants. Peggy alluma une cigarette :
« Maintenant vas-y ! Si tu as vraiment quelque chose à me dire, parle ! »
Il resta muet. Elle enchaîna :
« C’est maman Fairlane qui t’a conseillé de venir me voir, mon chou ?… Alors ? »
Tony se tortilla, ne sachant quelle contenance prendre :
« Je vais te dire, poursuivit Peggy, quand je te vois, j’ai envie de dégueuler. Tu es bête, tu es veule, tu es bouffi, tu es un tas de merde. Tu n’es même pas capable de baiser une femme. Tu es un pédé. Tu n’es bon qu’à te branler devant une glace !
— Peggy…
— Ta gueule ! Je ne parle qu’aux hommes ! Maintenant écoute-moi… Si jamais tu fais quoi que ce soit pour me nuire, le plus petit esclandre, n’importe quoi qui me déplaise, je jure sur ma vie de te faire la peau ! Où que tu sois, quoi que tu fasses, que tu sois protégé ou non, je te descendrai ! C’est clair ? »
Il ne répondit pas. Elle s’approcha de lui. Il ne put réprimer un mouvement de recul qu’il essaya de masquer en cherchant désespérément une pose convenant à sa situation… Elle perçut sa peur :
« Mets-toi à genoux ! »
Il tenta de crâner :
« Enfin, c’est idiot…
— À genoux ! »
Tony secoua la tête et feignit de sourire, comme si on lui faisait une blague d’un goût douteux à laquelle il se serait résigné à participer avec un brin de condescendance amusée : il s’agenouilla.
« Maintenant, déboutonne ton froc. »
Il leva vers elle des yeux ahuris :
« Déboutonne. »
Il déboutonna…
« Enlève ta ceinture. »
Il eut un sursaut de protestation :
« Ah ! non.
— Vite, connard !
— Peggy… C’est ridicule…
— Vite ! »
Elle le tenait toujours en joue. Avec terreur, il crut discerner des mouvements d’impatience dans les doigts qui tenaient l’arme. Il s’exécuta. Le pantalon glissa sur ses cuisses, laissant apparaître un caleçon rouge parsemé de myosotis…
« Ton caleçon ! »
Il lui jeta un regard suppliant qu’elle ne daigna même pas voir. Toujours dodelinant de la tête, il baissa son caleçon. Peggy passa près de lui et, prestement, subtilisa sa ceinture…
« Maintenant, si tu cries, si tu bouges, je te tue ! »
Elle leva haut le bras et abattit la lanière de cuir sur les fesses bronzées. Tony se mordit les lèvres pour ne pas hurler de douleur. À trois reprises, la ceinture siffla et frappa, laissant sur la peau des marques qui rougissaient rapidement.