Выбрать главу

« Elsa ! Ma chérie ! Tu es divine ! Merveilleux ! Tellement original ! »

Se demandant avec crainte si elle allait l’embrasser ou l’étrangler. Ce fut très simple : Elsa ne se reconnut absolument pas. Elle le serra avec force sur sa carapace translucide, qui en craqua :

« Amore ? Vas-tu m’expliquer en quoi tu es déguisé ? C’est tout simplement génial !

— En vieille baleine, chérie !

— Fabuleux !… Fabuleux !… »

Elle lui prit affectueusement le bras et l’entraîna :

« Viens ! Ce champagne m’a donné soif. Emmène-moi prendre un verre ! »

Des invités se demandèrent anxieusement si elle était idiote ou si elle le faisait exprès, mais non, elle était naturelle. D’ailleurs, on en eut confirmation le lendemain en lisant sa colonne reproduite dans des centaines de journaux. Après un récit flatteur de la soirée, elle se terminait ainsi :

Malgré le drame épouvantable qui a endeuillé cette superbe fête, la nuit des Bambilt, sur un plan purement mondain, a été la plus brillante et la plus réussie de la saison.

« Oh ! Gus. Non !… »

Peggy contempla encore Gus Bambilt et s’écria encore, en riant :

« Non !… Pourquoi ? »

Big Gus se dandinait, enchanté, un bonheur enfantin peint sur son visage empourpré par l’alcool et l’excitation. D’un air comique, il tira sur les pans de sa tenue de galérien, toile de jute grise à grandes rayures noires :

« Peggy, ma vie est un enfer ! »

Il fit une pirouette maladroite pour qu’on l’admirât sous tous les angles. Il arracha la bouteille de champagne au valet qui la tendait à Peggy :

« Avant tout, buvez ! Pour chasser les soucis et la mélancolie ! »

Au goulot, Peggy avala quelques gorgées et jeta la bouteille par-dessus son épaule, à la russe :

« À votre divorce ! »

Coquette, elle attendit que Gus lui en fît la demande pour retirer la cape qui cachait son déguisement.

« Alors, interrogea Bambilt, l’amour, la mer ou l’argent ?

— La mer. »

Le vêtement glissa de ses épaules et elle apparut dans un splendide costume de dompteuse de cirque. Il y eut des regards interrogateurs. Elle sourit d’aise :

« Pourquoi pas ? Je suis dompteuse de sirènes. »

Les invités rugirent de satisfaction. La porte des deux ascenseurs s’ouvrit simultanément, une fournée de nouveaux venus en jaillit, volant à Peggy l’effet de surprise qu’elle venait de provoquer. Entre autres, de l’ascenseur droit sortit la Menelas, du gauche, Irène et Herman Kallenberg.

« Mes amis ! Mes amis ! cria Gus. Vous vous connaissez tous, ou plutôt, j’espère que vous vous connaissez tous ! »

Il y eut des accolades, des baisers sonores sur les joues, bien qu’ils ne fussent pas réellement appliqués contre la peau, de peur de brouiller un maquillage.

« Mais…, demanda Gus à la Menelas… Je ne vois pas M… (Il faillit dire « M. Menelas », se retint à temps malgré son ivresse, hésita néanmoins à prononcer ce nom qui lui semblait grotesque, et finit par l’articuler tout de même.) Je ne vois pas M. Gonzales del Salvador…

— Il est puni ! jeta la Menelas, superbe.

— Buvez, buvez tous ! »

On tendit de nouvelles bouteilles.

« Laissez-moi prendre votre cape… »

La Menelas eut un geste de défense. Pour une raison connue d’elle seule, elle avait l’air contrariée, tendue. Elle observa Peggy d’un air venimeux.

« Comment allez-vous ?

— Comment allez-vous ? »

Irène apparut en amiral de la guerre de 1914, Kallenberg en Neptune, poussant le réalisme jusqu’à arborer une barbe fleuve et un trident en carton-pâte. Gigantesque, hilare, il toisa Gus en face à face, c’est-à-dire sans avoir à baisser la tête, l’autre étant aussi grand que lui. Gus, qui entraînait ses hôtes à boire en buvant le premier, s’écria :

« Je comprends pourquoi on vous appelle Barbe-Bleue ! »

Il se souvint un peu tard que cette plaisanterie pouvait amuser n’importe qui, sauf Kallenberg lui-même. Pour se racheter :

« Encore une bouteille ! »

Et zut ! S’il l’avait blessé, tant pis ! Après tout, Kallenberg avait plus besoin de Bambilt que Bambilt de Kallenberg ! Herman baisa la main de la Menelas. Big Gus s’interposa :

« Olympe, votre cape… »

Il la lui ôta des épaules. Une seconde, les yeux de la Menelas devinrent plus noirs, malgré sa brève crispation, elle le laissa faire. Catastrophe : elle aussi était en dompteuse ! Son regard croisa celui de Peggy avec une expression de reproche vite muée en défi. En un éclair, Nut, qui venait d’arriver, comprit qu’on frôlait le drame :

« Olympe ! Quelle idée sensationnelle !… Comme vous êtes divine ! »

La Menelas daigna sourire. Nut enchaîna, essayant de réparer, s’accrochant à cette évidence trop grosse pour qu’on puisse feindre de ne pas l’apercevoir, la forçant pour mieux la désamorcer :

« Deux dompteuses chez moi ! Les fauves n’ont qu’à bien se tenir ! Peggy nous a dit qu’elle voulait dresser les sirènes. Et vous, chérie, qui voulez-vous dompter ?

— Ne vous inquiétez pas, je trouverai bien quelqu’un ! »

Happé dans un remous, Satrapoulos apparut dans sa tenue de corsaire…

« Olympe ! Connaissez-vous votre compatriote Socrate Satrapoulos ? Ne vous attaquez pas à lui, il est indomptable ! »

Le Grec s’inclina, ressentant vivement la douleur provoquée par le pommeau, de son sabre qui lui entrait dans l’estomac. La Menelas prit sa mimique pour une grimace d’ennui adressée spécialement à sa personne. Elle lui jeta un regard glacial et retira sa main. Éberlué, S.S. prit la mouché à son tour et fit un pas en arrière avec brusquerie. Il fut littéralement enlacé par Irène qui lui boucha les yeux de ses deux mains :

« Qui est-ce ? Qui est-ce ?

— Irène ! Tu seras toujours trahie par ton parfum ! »

Elle l’embrassa. Il l’admira et rectifia la position :

« Commandant !

— Amiral, s’il te plaît ! Amiral ! »

Herman ne voulut pas être en reste :

« Ah ! Celui-là ! Il s’y entend pour casser les avancements ! Comment vas-tu ? Tu es superbe ! »

Peut-être à cause de son bandeau sur l’œil, Socrate le voyait plat, gigantesque mais plat…

« Où est Lena ? Où est ma petite sœur adorée ? », glissa perfidement Irène.

Involontairement, Barbe-Bleue vint au secours de S.S. :

« Il n’est pas fou, lui, il laisse sa femme à la maison !

— Tu as mis combien de temps pour faire pousser cette barbe ?

— À peine une minute ! Tiens, regarde !… »

Kallenberg tira sur le postiche qui se décolla légèrement de son visage.

« Sacré pirate !

— Sacré dieu !

— Vive les Grecs ! hurla Big Gus. Venez ! Venez ! »

Il poussa tout son monde à l’intérieur, cramponné au bras de la Menelas qui jetait des coups d’œil irrités à Peggy. Deux dompteuses dans un penthouse de six cents mètres carrés, c’était une de trop !

Raph Dun s’inclina cérémonieusement devant Dodino :

« Mes hommages, chère madame… »

Amore, qui était en grande conversation avec la Menelas — il était de ses intimes et avait le droit de l’appeler « Lympia » — toisa le reporter d’un air ironique :

« Tiens… La jeune vierge violée… Des regrets ? »