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San-Antonio

Le hareng perd ses plumes

ŒUVRE HOMOLOGUÉE

A André Grataloup,

avec ma tendresse.

San-A
ÉPARS

« Les Américains ont inventé le chewing-gum pour faire patienter le tiers-monde. »

Marc Palanchon (Stigmates)
* * *

— C’est vrai qu’on agrandit le cimetière ?

— Que veux-tu : la vie continue.

Patrice Dard
* * *

— Alors, tu m’as trompé ?

— C’était ça ou ne plus t’aimer.

San-A
* * *

« Etre ou ne pas être…

« Là n’est pas la question. »

San-A
* * *

« Le vrai succès, c’est la survie à l’échec. »

Daniel Toscan du Plantier
(Conversation avec Bernard Pivot)
* * *

« Je n’écris pas, je boxe ! »

Louis Scutenaire

— Trois cent quarante francs, annonça le pompiste.

Engoncé dans un vieux blouson de cuir râpé, au col de fourrure synthétique, il claquait des dents. La nuit était glaciale, le vent tranchant comme un coutelas de boucher.

Le conducteur de la Mercedes lui tendit un billet de cinq cents balles qui chassa les rancœurs toutes prêtes du pompiste. Tous ces connards qui le faisaient tarter avec des cartes de crédit pour des sommes miséreuses lui pompaient tu sais quoi ? L’air.

Il prit le talbin et s’en fut chercher la mornifle dans sa guitoune qu’un puissant radiateur électrique transformait en sauna. Il portait des gants de laine dont son épouse avait coupé les extrémités afin de le laisser bénéficier le plus possible de son sens tactile.

Généreux, l’automobiliste lui abandonna dix francs de pourliche.

— Merci et bonne route ! lança le pompiste. Faites gaffe au verglas, la météo en annonce sur l’autoroute dans la région de Nantua.

Le conducteur acquiesça et démarra. Comme il allait quitter l’aire de la station, cinquante mètres plus loin, il vit une silhouette de femme se dresser dans la lumière de ses phares.

Elle tenait un jerrican de la main gauche et, de la droite, lui faisait signe de stopper. Le conducteur de la Mercedes obtempéra. La femme portait un manteau d’astrakan blond, trois-quarts, et un châle Hermès emprisonnait ses longs cheveux bouclés. Elle s’approcha de la portière, côté passager, l’ouvrit et parla en exhalant un nuage de vapeur blanche.

— Pardon de vous importuner, murmura-t-elle. Je suis en panne d’essence à une douzaine de kilomètres et il a fallu que je vienne à pied jusqu’ici ; cela vous ennuierait de me prendre jusqu’à ma voiture ?

— Montez ! dit l’homme.

Elle prit place à son côté.

— J’espère que ce fichu bidon ne va pas empuantir votre auto.

Il ne répondit rien. C’était un quinquagénaire grisonnant et bien mis, style P.-D.G. d’une grosse entreprise. Il avait le teint brique.

— Ma jauge est sûrement détraquée, commenta la fille, c’est la première fois qu’il m’arrive une chose comme ça.

Il repartit et retrouva rapidement une bonne vitesse de croisière.

— Vous allez en Suisse ? demanda la passagère.

— Oui.

— Vous allez sûrement avoir de la neige…

Mais l’homme n’avait pas envie de faire la conversation.

Pas déconcertée pour autant, la stoppeuse reprit :

— Moi, je prends l’embranchement pour Lyon. Je croyais vraiment avoir suffisamment d’essence. Et puis ma voiture s’est mise à hoqueter et je n’ai eu que le temps de m’engager sur une aire de repos… Tenez ! Elle est là-bas. J’ai mis les feux de détresse parce que je n’ai pas eu de quoi atteindre le terre-plein.

L’homme ralentit et mit son clignotant, bien que l’autoroute fût déserte. Il dépassa l’auto que lui avait désignée sa compagne d’un instant : une Porsche noire d’un modèle déjà ancien.

Cette fois, il prit l’initiative de la conversation.

— Avec dix litres de carburant, vous n’aurez pas de quoi atteindre Lyon, pronostiqua-t-il.

— J’espère trouver une autre station ouverte sur le parcours.

— Je vous le souhaite.

Il se rangea sur le côté, à quelques mètres de la Porsche.

— Je ne sais comment vous remercier, dit-elle.

— C’est la moindre des choses.

Il poussa un léger cri de douleur et porta la main à sa cuisse droite.

— Ça ne va pas ? demanda la fille.

— J’ai ressenti comme une piqûre.

— Une épingle perdue ? suggéra-t-elle. Ça arrive…

Elle ouvrit la portière et dégagea le jerrican d’entre ses jambes pour le poser sur le sol. Comme elle achevait son mouvement, le conducteur eut un soubresaut et sa tête partit en avant sur son volant. La fille se retourna à demi et se saisit d’un porte-documents de cuir posé à l’arrière de la Mercedes. Elle le lança à quelques mètres du jerrican, descendit de l’auto et se mit à déboucher le bidon.

Avec soin, sans hâte, elle aspergea l’intérieur du véhicule d’essence ; lorsqu’il ne resta plus que le tiers du bidon, elle le versa sur le capot de la voiture dont le moteur tournait toujours. Puis elle referma la portière et alla récupérer le porte-documents sur l’herbe galeuse du talus.

Tranquillement, elle gagna la Porsche, plaça le jerrican dans le coffre et s’assit à la place passager, le porte-documents posé sur ses genoux. Elle attendit avec confiance.

Au bout d’un moment, il se produisit comme une explosion et la Mercedes s’enflamma d’un seul coup.

— Joli ! apprécia l’homme silencieux qui se tenait au volant.

Il opéra une marche arrière rapide pour retrouver l’autoroute et se mit à foncer dans la nuit glacée.

LE HIBOU

Je déguste l’admirable gratin de morue aux cœurs d’artichauts confits de chez Lasserre en compagnie d’une admirable donzelle, chargée de presse de son état, lorsqu’un chasseur vêtu de rouge comme les homards de l’illustre maison s’avance jusqu’à notre table.

Il se penche à mon oreille et murmure :

— Quelqu’un vous demande en bas, monsieur le commissaire.

Ma surprise est de force 5 sur l’échelle de Richter car onc ne sait que je clape ici.

— Il ressemble à quoi, ce quelqu’un, fiston ?

— Il s’agit d’un vieux monsieur qui dînait à quelques tables de la vôtre, tout à l’heure.

Je réfléchis à m’en bousculer les méninges et finis par décider qu’entre un gratin de morue et un vieillard, il convient de donner priorité au premier pour la raison péremptoire que mon gratin est encore chaud et le vieillard déjà froid.

— Je vais descendre dans quelques minutes, promets-je.

— Vous êtes toujours harcelé de la sorte ? me demande Laure Ambard.

Aimable pécore saboulée classe, coiffure à la garçonne, des bijoux partout où l’on peut en mettre et des yeux qui ne sont pas dans la poche de son Chanel ! Elle marne pour une importante maison d’éditions qui voudrait amorcer un flirt avec moi et essaie de placer un pion plein de fesses et de jolis nichons dans mon espace bital pour tenter de faire progresser les choses. Mais l’Antonio, c’est la fidélité même ! Cul, pas cul, il est incirconvenable.