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— Digne maison, murmure le duc. Qui reste unique. Un peu pompeuse, certes, un peu trop de faisans en argent sur les tables, sans doute, mais un art de vivre dans la grande tradition française.

Il congédie son larbin qui attendait pour si des fois j’aurais accepté un gorgeon.

— Commissaire, connaissez-vous mon curriculum ? J’entends dans les grandes lignes ?

— Je sais que vous êtes membre de l’Institut des Sciences, réponds-je (je viens de lire la chose sur sa carte de visite).

— Avez-vous entendu parler de mes travaux ?

— A ma grande honte, non, monseigneur ; je pratique une profession qui m’éloigne beaucoup de la vôtre.

Tandis que je lui parle, un coup de flash fulgure dans ma mémoire.

« La Maison de l’Horreur », me dis-je. La couverture de ce roman d’épouvante représentait un être monstrueux dont le duc est le sosie. Tête en forme de poire, teint jaune, petits yeux protégés par des paupières pareilles à des capotes de tilbury, oreilles décollées et pointues, particulièrement sataniques.

Malgré ce portrait peu engageant, le bonhomme possède quelque chose de plutôt sympa.

— Certains de mes travaux font autorité, dit-il sans orgueil. Ils ont trait au nucléaire. Je dirige un groupe de chercheurs français et scandinaves qui, sans faire parler de lui ni briguer le Nobel, accomplit de l’excellent travail de la portée duquel on s’apercevra bientôt.

« Préambule ; songé-je. A présent, on va aborder le problo. »

Le duc caresse le mignon toutou plein de poils. Ils paraissent aussi las l’un que l’autre. Presque aussi morts que les loups qui ont fourni ce plaid.

Monseigneur respire le plus profondément possible, mais sa cage toromachine (comme dit toujours le Gros) n’a guère plus de capacité qu’une aumônière de première communiante.

— Mon principal collaborateur, reprend la figure de coing, se nommait Hieronymus Van Bytoun ; il était néerlandais mais avait passé dix-huit ans en Amérique au Centre de Recherches de Tapioca, dans le Nouveau-Mexique. Un sujet d’élite. Irremplaçable ; totalement irremplaçable !

Sa petite voix de mauviette sénile s’enroue et, vaincu par une poussée émotive, il est contraint de se taire.

Je laisse s’écouler trente secondes et je reprends la bavasse :

— Le fait que vous parliez de lui au passé me donne à croire qu’il n’est plus ?

— Il a brûlé vif la semaine passée dans sa voiture, sur l’autoroute Mâcon-Genève.

Bon : moi aussi je brûle ! Je sens qu’on aboutit au cœur de l’affaire. C’est pour me parler de cet accident que le mathusala m’a contacté.

— Probablement avez-vous su la chose par les médias ? demande-t-il.

— Je suis rentré avant-hier d’un voyage au Tibet, monseigneur.

— Alors je vous résume. Hieronymus se rendait à Genève afin de participer à un congrès où il devait faire une déclaration relative à nos récents travaux. Nous avions pris cette décision in extremis et il est parti de Paris à la nuit tombée.

« Avant l’embranchement pour Lyon, il s’est arrêté dans une station d’essence et a fait procéder au plein de son réservoir. A quelques kilomètres de là, il a stoppé sur la voie de dérivation conduisant à une aire de stationnement et son automobile a pris feu.

« La gendarmerie qui a opéré le constat suppose que des signes avant-coureurs ont induit mon ami à s’écarter de l’autoroute. Peut-être son capot fumait-il ? Peut-être des flammèches en sortaient-elles déjà ? Il aurait dû couper immédiatement les gaz et sortir de la Mercedes ; son ultime manœuvre lui aura été fatale ; telle est, je vous le redis, la version des gendarmes. »

— Elle vous laisse sceptique ?

Il hausse les épaules. Mon Dieu, qu’il est frêle, laid et démuni, ce noble savant.

— Même si son automobile avait pris feu d’un coup, il en serait sorti, non ? Son véhicule n’était pas accidenté, donc les portières fonctionnaient.

— On a fait l’autopsie du corps ?

— Un tas de cendres, mon pauvre ami. Les restes d’un homme carbonisé ne mesurant plus que quatre-vingt-dix centimètres ! Autopsier quoi ?

— On aurait pu trouver, même à demi fondue, une balle dans sa tête ou sa poitrine.

Le Nain Jaune secoue négativement son coing.

— Rien de tel n’a été découvert.

— En ce cas…

Il murmure :

— Le cuir ne brûle pas totalement, que je sache ?

— Pourquoi ?

— Hieronymus transportait dans une pochette Vuitton les documents relatifs à nos travaux ; on n’a rien retrouvé dans l’épave fumante qui ressemblât à une serviette calcinée.

— Dans un tel brasier elle a bien pu se racornir au point de ne plus être identifiable.

— Peut-être…

Il cesse de caresser sa boule de poils blancs et se saisit de ma manche.

— Pour l’amour du Christ, commissaire, procédez à mes frais à une contre-enquête !

— Les gendarmes sont des gens sérieux, monsieur le duc. Dans de telles circonstances je ne pense pas pouvoir faire mieux qu’eux.

Son pauvre visage si laid paraît se rétrécir, prendre les dimensions d’une tête séchée par les Indiens Jivaros.

— Commissaire ! Vous croyez à l’instinct puisque vous êtes policier. Le mien m’avertit avec force que cette histoire n’est pas aussi claire qu’on l’affirme. Depuis quand une Mercedes prend-elle feu spontanément ? Depuis quand un conducteur averti reste-t-il rivé à son siège pendant qu’elle brûle ?

— Il a peut-être eu des difficultés avec sa ceinture de sécurité, la chose s’est malheureusement déjà produite.

A cet instant, le petit roquet frisé se met à japper comme un perdu. Un brouhaha s’opère dans l’hôtel particulier. Des portes claquent avec violence. Une voix de femme, avinée, chante à tue-tête La Bohème d’Aznavour. Elle s’approche en heurtant les murs. Et puis la porte du bureau s’ouvre à la volée et surgit alors un personnage époustouflant. LA DUCHESSE !

Imagine une poissarde de cinquante carats, grasse et flasque, aux nombreuses bajoues, à la bouche lippue, aux yeux globuleux injectés de sang, aux dents voraces et espacées. Elle est accoutrée comme tu peux pas savoir, mais je vais te le dire parce que c’est toi. Elle porte des bas noirs qui lui arrivent à mi-cuisses, (ces dernières font des plis et sont couvertes de vergetures et varices). Elle ne porte pas de robe, mais une combinaison de satin crème qui s’arrête au ras de la touffe et ne peut contenir son énorme poitrine. Elle a, sur ses robustes épaules, une cape de velours rouge et, dans sa chevelure rousse, un gros diadème tout de traviole. En guise de sceptre, cette caricature de reine shakespearienne tient un énorme godemiché de carton peint.

Cette apparition fait songer à Ubu, à Ionesco, à Marcel Aymé et à d’autres écrivains inconformistes pour qui la folie est une forme de poésie.

Elle s’immobilise dans l’encadrement, indécise.

— Salut, Maxoche ! lance-t-elle à son ducal époux. De la visite, à cette heure ? Rien de cassé, j’espère ?

— Non, non, rassurez-vous, ma bonne, chevrote mon hôte. Je vous présente M. San-Antonio.

Elle s’avance, déployant une odeur de vinasse et de tabagie.

— Il est beau gosse ! apprécie la gorgone. Et il doit en avoir un beau paquet !

Sans vergogne, elle m’empoigne les génitoires.

— Gagné ! triomphe-t-elle. Il est bité de première, ce malandrin !

Elle me virgule un rot presque béruréen qui se rappelle les cuisses de grenouilles à la provençale du dîner.

— Voilà le genre de mec que j’aime sucer, déclare la duchesse.

Je m’incline avec déférence, flatté d’une pareille appréciation.