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Rescapé, j’ai remarqué, c’est un sort enviable dans l’existence. On ne respecte pas les épargnants, mais on raffole des épargnés. C’est une caste, une minorité mirobolante. Alors les ultimes Comanches, les tout derniers Apaches, faut voir comme on leur prend bien soin : vaccins, vitamines, antigrippine (de cheval). Géronimo est affilié à la Sécu et touche la retraite des vieux travailleurs. Tu comprends la beauté du phénomène ? On est fiers de pas les avoir TOUS exterminés. En ne prenant pas la vie des ultimes, c’est comme si on la leur avait donnée !

Bon, je tartine, débloque, dérape, blablatte, vagabonde de-ci, de-là, pareil à la feuille d’impôts. Mais t’inquiète pas, je garde le cap de mon book malgré tout. Je navigue au plus près des îles peuplées de cons pour l’amusement, mais le vent gonfle mes voiles comme ma queue mon slip et je vais bel et bien là qu’on m’attend.

Or donc je suis assis devant un Mocky frais tiré avec une dame qui compulse mon genou de la main. La bébête qui monte, qui monte. Je te parie qu’elle est blette : c’est jamais les jolies qui te font ça. Les jolies sont jolies, alors elles attendent qu’on les charge et choisissent. Tandis que pour les tocardes, c’est le contraire : c’est elles, les pauvrettes, qui doivent monter en ligne en priant sainte Cathin qu’on les rebuffe pas.

Je lorgne sur ma voisine à un moment où c’est très clair sur l’écran parce que Jean-Pierre a emmené ses protagonistes baiser au soleil. Je peux mieux mater mon entreprenante voisine. Erreur : la dame à la paluche errante est pleine d’abattage (pas clandestin du tout). Fardée faut voir comme. Parfumée à l’unisson. Bref : une pute. Elle vient poser des lignes de fond au cinoche pour y allumer de possibles clilles. Elle sent que je l’examine, me virgule un sourire pour second volet de publicité (style : comment j’ai été guérie de mes hémorroïdes au bout de deux applications d’intrait de marrons d’Inde).

Et moi, je la retapisse, figure-toi. C’était la gagneuse de Paulo Mazarin qui s’est fait zinguer au cours de l’attaque d’un fourgon postal, il y a trois ou quatre piges. Lui et ses branques avaient été donnés généreusement par un indic qui devait d’ailleurs mourir peu après d’une indigestion de balles explosives.

Son blase, à la nana, je me le rappelle plus. Y a tant de trèpe dans la salle des pas perdus de ma mémoire.

Encouragée, la voilà qui me chipolate le tiroir à zob.

Alors je lui chuchote dans le pavillon à turpitude :

— Et la mémoire de Paulo, ma grande, c’est comme ça que tu la cultives ?

Seco, elle rengaine sa paluche et me défrime.

— On se connaît ? elle chuchote.

— Pas beaucoup. J’ai participé à ton veuvage, le jour où le Cardinal et ses pieds nickelés voulaient casser la tirelire de la B.N.P. Commissaire San-Antonio. Si tu veux bien te souvenir : le juge d’instruction entendait te mouiller dans l’affaire et c’est moi qui t’ai blanchie ! T’avais tellement de chagrin que ça m’a remué et que je t’ai innocentée en oubliant que tu conduisais la voiture de « couverture ».

Elle est pantoise.

— Ben merde ! elle fait.

— Tu continues de t’expliquer au pain de miches, d’après ce que je vois ? Tu as raison : ton corps t’appartient. C’est un capital que tu peux gérer à ta guise. Tu marloupines encore avec des gredins ?

— Non, finito, commissaire. L’attaque foireuse de la diligence m’a servi de leçon. D’abord j’ai plus d’homme.

— Le gigot à l’ail ?

— Yes, commissaire. J’avais des tendances. Après la mort de Paulo, je m’ai mise avec Rita la Dompteuse, vous connaissez ?

— De nom ; je fais pas dans la poulaille des Mœurs. Et alors, la minette modulée te suffit ?

— Vous savez, des chibroques, j’en prends des pleines caisses à longueur de journée. C’est bon de retrouver un peu de délicatesse le soir venu.

— T’as sûrement raison : les hommes sont des porcs.

— Oh ! je vais pas si loin…

Comme on jacte à voix presque normale, nos voisins s’en formalisent et nous prient de la boucler. Au lieu de suivre leur conseil, on déguerpit. Je demanderai à M. le Mocky de m’organiser une projection privée, un de ces jours.

Quelle idée me prend d’inviter cette prostipute à écluser un gorgeon dans un bar du voisinage ? Je n’ai pas besoin de ses compétences professionnelles et la sympathie qu’elle m’inspire est toute relative. Cela dit, c’est vrai que son désespoir m’avait ému à la mort de son julot. Chagrin de louve ! Elle montrait les dents en chialant. Une vraie femelle !

— Qu’est-ce que tu prends ? lui demandé-je, une fois installés à une table du fond.

— Oh ! moi, je suis fidèle au rhum blanc. Papa était gendarme à la Guadeloupe et on mettait du punch dans mon biberon pour m’endormir.

— C’est comment, ton nom ?

— Gaëtane.

— Je te demande pas ton blase pour La Veillée des Chaumières, mais le vrai.

— Lucie.

— Je préfère. Alors t’as rompu avec le Mitan ?

— Oh ! vous savez, je le côtoyais du temps du Cardinal ; sinon… Maintenant, en dehors de Rita et de mon loulou de Poméranie, je fréquente personne.

Pourquoi l’évocation d’un loulou de première année (comme dit Béru) m’amène-t-elle la question ci-jointe ? Par association d’idées, je suppose. Ça fonctionne vite, le caberluche d’un homme.

— Tu le fais toiletter, ton cador, Lucie ?

— Pour sûr. Le blanc c’est si salissant.

— Par Albert Baugland ?

Paf ! Touché ! Elle s’écarquille de bas en haut !

— Ben, ça, alors, comment le savez-vous ?

— Chez nous, quand on est inspiré, on passe commissaire, sinon y a pas mèche de sortir du rang. Le pif, pour un royco, c’est aussi important que le frifri pour toi et tes potesses du ruban. Donc, tu connais Baugland ?

— Je l’ai connu au temps de Mazarin.

Mazarin ! Un truand ! Je te jure… La vie est farce. Je défrime aimablement son Anne d’Autriche.

— A l’époque du Cardinal, t’as dû rencontrer du beau monde ; c’était un vrai coriace, cézigue. Il est tombé comme à Verdun : les armes à la main.

Une lueur de fierté brille dans sa prunelle. Elle écluse son baccardi comme ta petite fille boit un sirop de grenadine, et murmure :

— Après une épée pareille, qui voudriez-vous que je prisse ?

— Evidemment.

« Dis-moi, ma belle, parmi les courtisans de Paulo, t’as dû connaître un certain Milou Tanvala puisqu’il était pote avec Baugland ?

— Bien sûr. Il s’est fait serrer après la cambriole d’une banque ; mais il a joué la belle et paraîtrait qu’il a filé aux States.

— T’es en retard d’une rame de métro. Il est à Pantruche.

— Et vous le coursez ?

— Non : je l’ai rattrapé.

— J’ai pas lu dans le baveux.

— Il sera à la rubrique nécrologique quand ça paraîtra.

— Sans blague, il est scrafé ?

— Il avait zingué un flic, ça ne pardonne pas.

Un silence. Elle fait miauler son verre vide pour attirer mon attention. J’indique au loufiat de lui remettre une dose pour adulte.

— Qu’est-ce qui vous turlupine, commissaire ? Pourquoi vous me bonnissez tout ça ? On dirait que vous espérez quelque chose de moi ?

— Exact.

— Quoi ?

— Je ne sais pas, Lucie. Parole de perdreau ! C’est mon pif qui espère, mais je pige pas où il me conduit. En ce moment, je barbote dans un immense chaudron plein de béchamel, aussi heureux qu’une truite dans les égouts de Calcutta. Tiens, je vais te demander une consultation en souvenir de ce que j’ai fait pour toi jadis.