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— Merci pour votre générosité, monsieur le duc, l’intention vaut l’action. Mais je n’accepterai rien.

Là-dessus, entrée de l’ogresse. Elle porte un tailleur Chanel qui fait ressortir son embonpoint tellement il est tendu à craquer ! C’est plus pour elle, ces toilettes de classe. Mais le furent-elles jamais ? Une virago en Chanel, c’est anachronique, non ?

— Oh ! le beau ténébreux à la belle bite est parmi nous ! exulte-t-elle. Vous savez, vieux chéri, qu’il possède une queue superbe et délicieuse, ce gentil poulet ? J’ai eu le bonheur de la lui pomper en rentrant de Genève et me suis ré-ga-lée !

Mais pépère, il n’en a cure des pipes de sa duchesse. Triomphalement, il brandit le porte-documents.

— Regardez !

La Gravosse déterge ses prunelles.

— Non ! Je rêve ? Votre serviette ! C’est la bonne, vous êtes sûr ?

— Certain.

— Vous pouvez toucher les « L » de la diagonale, laissé-je tomber, ils sont réglos !

Là, il s’assombrit, le duc. Prend ma phrase, innocemment lâchée, en plein dans le blason.

Tout souriant, je poursuis :

— Je suis un véritable appareil enregistreur, monseigneur. Lors du coup de fil que je vous ai donné, depuis Genève, comme je vous parlais de cette serviette Vuitton, vous avez rectifié et repris : « Louis, Vuitton. » Par la suite, ce maigre détail qui pouvait passer pour une maniaquerie de vieillard tatillon, m’est revenu en tête. Je me suis dit que vous m’aviez repris juste pour votre confort d’esprit, parce que, dans ce porte-documents, c’est le « L » de Louis qui importe.

Son regard enchâssé au fond de ses orbites acquiert en densité. Il devient compact comme deux morceaux de métal dur.

La mère Catherine émet un rire qui fait trembiller son excédent de graisse.

— Il est pas con, hein ? lance-t-elle au mathusala.

Le bichon maltais, réveillé en sursaut, sort du plaid et s’ébroue en tirant un petit bout de langue rose. Le duc caresse l’animal, pensif. Le silence qui succède fait sur les nerfs l’effet d’une vrille silencieuse.

— Envoyez donc Miguel en courses, Catherine ! ordonne de Sanfoyniloix.

— Tiens, noté-je, tandis que la dusèche exit, votre Espagnol est donc étranger à vos manigances ?

Le duc pousse un léger soupir et dépose le porte-documents sur un guéridon, près de son fauteuil.

— Je ne comprends rien à ce que vous dites, commissaire. Pourriez-vous vous montrer plus clair ?

— Ah ! mon cher duc, est-ce bien nécessaire ? Clairs, les magistrats le seront aux assises.

La mère dusèche se repointe, tenant une corbeille d’osier pleine de biscuits.

— Que diriez-vous d’une petite collation, poulet d’amour ?

Elle me présente le panier garni de dentelle froufrou.

— Des Huntley-Palmer ! m’écrié-je. On voit, à ce genre de détails, qu’on est dans une bonne maison, car ce sont les meilleurs biscuits du monde ! Après la pénicilline, c’est ce que les Anglais ont fait de mieux.

Elle s’irradie (rose).

— Vous vous rendez compte, Maxoche, comme ce garçon est cultivé ! Il sait ce que c’est que des Huntley-Palmer.

— Il sait beaucoup d’autres choses encore, fait le duc de sa voix éraillée. Peut-être même en sait-il trop ?

— Vous pensez ? grogne la Gravosse.

— Hélas, oui, confirme le mathusala, beaucoup trop !

La chère femme me toise, puis se remet à sourire. Elle tient toujours la corbeille de biscuits mais, de sa main libre, me caresse la protubérance. Moi, flegmo, je grignote les savoureux Huntley-Palmer. Je sais bien qu’à cette période-là du match, il va se passer quelque chose. Je me sens relaxe, bénaise. Un vraie partie de campagne !

— Et que sait-il de trop ? fait Catherine en empoignant gentiment ma membrane à emballage rétractable.

Dis, elle va pas me dégainer Popaul devant son vieux !

— Hein, Bijou ? m’affronte-t-elle. Qu’est-ce que tu sais de trop ? Tu veux pas le dire à ta bonne suceuse de tatie Catherine ?

— Mais si, m’dame, j’vais y dire ! bêtifié-je (non sans mal).

— Eh bien ! vas-y ! Prends un autre biscuit, puisque tu les aimes.

J’obéis.

— Délicieux ! assuré-je. Ces cons d’Anglais qui ne savent pas cuisiner excellent dans les trucs marginaux comme les pickles, le chutney, les biscuits et autres conneries comestibles.

— Tais-toi, et parle ! gronde tout à coup l’Ogresse.

— Superbe réplique ! applaudis-je. Ce que je sais ? Eh bien, par exemple, je sais ce que contiennent les « L » de la diagonale.

— Dis-le !

— Se trouvent gravées à l’intérieur du cuir des formules permettant l’ouverture de coffres spéciaux. Il suffit de découper chaque « L » concerné à l’aide d’une lame de rasoir, puis qu’une fois introduit dans un compartiment du coffre auquel il est destiné, la serrure dudit fonctionne. Ces coffres sont disséminés en Suisse, France, Angleterre, Etats-Unis. Si je me goure, vous m’arrêtez.

Et, mutin, je reprends un biscuit.

Ils ont beau lutter, leurs deux frites sont consternantes ! Le vieux, surtout, paraît aux limites de l’évanouissement.

— Je sais également, fais-je, que votre cher Hieronymus est parvenu à vous voler cette précieuse serviette. Comment ? Ça je l’ignore encore, mais je présume qu’il en a fait exécuter une autre et l’a substituée à celle-là. Vous aiderez plus tard le juge d’instruction à préciser ces détails, car je suppose que vous avez eu le temps de vous faire une idée sur la question.

Tu sais qu’il fait un temps superbe, aujourd’hui ? Le ciel est dégagé et le soleil met le paquet pour tenter de faire croire aux hommes que le printemps est là.

Je poursuis :

— J’ignore si Hieronymus vous a volé avant que vous n’ayez décidé de le faire disparaître, ou après, mais quelle importance ? Un jour, après avoir été votre complice, ce vilain coco a voulu vous faire chanter. Votre décision a été prompte : il devait mourir. Mais attention : mourir accidentellement ! Pour cela il vous fallait des spécialistes de haut niveau. Mémère en a parlé à Baugland dont elle connaissait le passé orageux et, effectivement, le digne tondeur de caniches avait de la main-d’œuvre à vous proposer, en l’occurrence un bon aminche à lui, Milou Tanvala, exilé aux States où il était l’assistant d’un tueur à gages réputé : le sieur Kipper Gahgne. C’est pas son vrai blase, mais j’ignore encore le véritable. Vous savez, notre métier est tout en tâtonnements. On remplit des blancs au fur et à mesure de nos découvertes, mais il en subsiste toujours. Nobody is perfect !

Sanfoyniloix hausse les épaules en maugréant des choses indistinctes. Catherine s’est assise sur le bras d’un autre fauteuil et tient sa corbeille de savoureux biscuits sur ses gros genoux de lavandière.

— Tu as tout dit, petit flic ? me lance-t-elle.

— Pensez-vous !

— Ben alors, continue !

— Je fatigue ! A quoi bon raconter une histoire à ceux qui l’ont inventée ?

— Y a la manière de présenter ta version. J’aime bien t’entendre, tu as du style !

— Un peu à vous, darling. Mon copain noir que vous avez estourbi, drogué et planqué dans votre studio des délices, rue de la Pompe, comment l’avez-vous neutralisé ?

La grosse se tourne vers son duc.

— Tu te rends compte s’il est fouille-merde, ce con ? rouscaille-t-elle.

— Tiens ! Vous tutoyez votre noble époux, maintenant ?