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Prise d’un accès de rage subit, elle me balance les biscuits à travers la gueule, non sans avoir prélevé auparavant dans la corbeille le Luger dissimulé sous les friandises.

— Calmos, poulet de mes fesses ! Continue de nous affranchir sur tes connaissances !

— Mais tout ce qu’il y a de volontiers, dusèche ! Au moment où les deux tueurs ont déclenché leur offensive contre Hieronymus, je suppose que vous ne saviez pas encore que ce dernier voyageait avec le porte-documents. Là vous devrez à nouveau remplir les blancs dont je parle, monseigneur de mes deux ! Quand vous avez réalisé la chose, vous avez été atterré, marquis ! Tout le but de l’opération réduit à néant ! Vite, vous avez contacté les deux zozos, mais votre excitation leur a donné à réfléchir et ils ont assuré n’avoir pas vu de pochette Vuitton dans la Mercedes. Ils avaient, assuraient-ils, trouvé une chemise avec les documents que Hieronymus allait négocier en Suisse, mais rien d’autre. Vous ne les avez pas crus. Votre espoir reposait sur leur ignorance de ce que représentait la serviette. Vous vous êtes dit qu’ils la conserveraient et que, un jour ou l’autre, vous l’échangeraient contre un paquet de pognon, à moins, bien sûr, qu’ils n’arrivent à en percer la signification, mais ça restait hypothétique.

« Le hic, c’est que vous êtes pressé, et vous avez une bonne raison à cela. Le soir où vous m’avez reconnu chez Lasserre, vous avez décidé de jouer votre va-tout en « m’engageant ». Ma réputation plaidait pour, mais je constituais une arme à double tranchant. J’étais l’homme capable de retrouver la serviette, dont acte ; mais j’étais aussi celui qui pouvait aller plus loin. Et je suis allé plus loin, monsieur le comte ! Ce n’était pas le jeu à qui perd gagne mais à qui gagne perd. N’est-ce pas, baron ? Par votre faute ! Vous avez déclenché la foudre à deux reprises. Une première fois en voulant faire liquider Van Bytoun par des tueurs professionnels, une seconde fois en me chargeant de récupérer ce que ces deux loustics ne voulaient pas vous rendre.

« On voit que vous êtes amateur, chevalier. Entre des bandits et la police, comment auriez-vous pu tirer votre épingle du jeu ?

« Le gars Hieronymus vous contrôlait, mine de rien, en vous mettant Victoria de Tramontane dans les bras. Le grand amour, cher Papi ! Une jouvencelle si pure, si tendre et qui suce à la perfection ! »

— Qu’est-ce qu’il raconte ? interrompt Catherine de Sanfoyniloix.

— Rien de sérieux, ma chérie !

Je souris à la grosse.

— Jalouse ! Une paillasse comme vous ! On aura tout vu…

Elle a du mal à se contenir (elle est si abondante !). Elle y parvient cependant. J’en profite pour continuer :

— Son frère, soit dit en passant, a, sans le vouloir, contribué à votre perte. Il a pris un repas à la Lanterne Sourde, un bistrot que fréquentait Baugland, votre pourvoyeur en hommes de main, en compagnie justement d’un des tueurs. Je suppose que ce dernier, au moment où il préparait la mort de Hieronymus, se renseignait sur les habitudes les plus intimes de celui-ci pour savoir quand et comment frapper. Il a traité le minet du Hollandais dans le restau du tondeur de chiens où tout ce joli peuple, la duchesse en tête, galimafrait. Cul et chemise !

Je souris et répète, comme au cours de la nuit, à proximité de leur hôtel particulier :

— Cul et chemise !

Ça me plaît. Un jour je t’en intitulerai un commak. Quoique le mot « cul » sur une couverture, ils vont encore gueuler au charron, comme quoi mal j’embouche, suis une abject ceci-cela, un grossier personnage ! Enfin je verrai. Question de moment, toujours. D’opportunité. Comme avec les frangines : elles ont leurs requins ou pas. Le bonheur dépend de si peu de chose. Faut pas glapir, mais accepter. Quelle importance, puisque rien ne dure ?

Je leur souris triste.

— L’impasse, fais-je. Vous avez l’immensité du magot sous la main avec ce porte-documents truqué ; seulement comme vous êtes des criminels et moi un flic, vous n’allez pas pouvoir vous l’approprier. Dilemme ! Seule solution : me faire disparaître. Mais tuer un commissaire, c’est coton.

Le duc de Sanfoyniloix hoche la tête.

— Commissaire, remettez-moi votre pistolet, je vous prie.

— Quelle drôle d’idée ! On ne demande jamais ça à un flic, c’est impoli.

Il tend sa main fripée.

— Si vous ne me le donnez pas, Catherine va vous mettre une balle dans la tête. D’accord, Catherine ?

— D’accord ! répond-elle avec sérieux.

Et tu sais pas ? Voilà que je me sens tout chosebizarre. Pour la simple raison que je connais bien les individus et que je sais qu’ils vont faire ce qu’ils promettent. Ils vont le faire posément, naturellement !

Je tire mon copain Tu-tues.

— Non, non ! Tenez-le par le canon ! ordonne le duc et présentez-le-moi par la crosse. Tu es prête, Cathy ?

— Ne t’occupe !

Vaincu, j’obéis. Sa Seigneurerie s’empare de ma rapière, l’assure dans sa main. Et soudain, il a un geste d’une rare promptitude et tire dans la tête de Catherine. Elle morfle dans l’œil droit et s’abat, foudroyée. Sanfoyniloix bondit alors de son fauteuil et se jette à genoux pour ramasser l’arme qu’elle vient de lâcher.

En un éclair, j’ai tout pigé. Il va me tuer avec le flingue de la gosse. Ainsi pourrait-il faire porter le bada à son épouse de carnaval, à sa poissonnière. Version ? Elle m’a braqué, j’ai riposté, les deux coups de feu ont claqué. Deux morts ! De profundis pour le commissaire et la dusèche-cantinière ! Le noble duc s’en tirera avec l’émotion générale et les condoléances du président de la République. Chapeau !

Qu’heureusement saint Antoine de Padoue, mon vénéré patron, me permet de trouver ce que Mathias, sur ma demande, a planqué entre le siège et le dossier de mon fauteuil : à savoir un flingue suédois extra-plat. Déjà, quand le duc a jailli de son fauteuil, je l’avais en pogne. Alors tu parles que j’attends plus.

Poum ! Une première bastos dans son épaule pour stopper son geste.

Poum ! Une seconde dans sa main pour lui faire lâcher l’arme.

Maximilien de Sanfoyniloix pousse un double cri (ou deux cris, au choix) et grimace en découvrant sa dextre déchiquetée.

Je souffle sur le canon fumant, façon western.

— Celle que j’admire le plus, parmi toutes les inventions de votre… groupe, monseigneur, c’est la paraffine expansée moléculaire à fourbi compressible. Une merveille ! Ainsi, votre masque, si j’ose user d’un mot aussi pitoyable pour qualifier un tel chef-d’œuvre, va ouvrir d’immenses perspectives au cinéma, voire également dans le domaine de l’espionnage.

Je me penche sur lui, plonge la main dans son col de chemise trop lâche de l’arrière et enfonce mes ongles dans sa peau de reptile. Je tire. Et, tout comme un reptile, il opère sa mue. Me voilà avec, dans la main, une sorte de gigantesque capote anglaise qui ressemble vaguement au duc. Un duc dégonflé, pendouilleux !

A la place du visage de naguère, se trouve le sémillant séducteur de Victoria de Tramontane ; celui qui fumait un cigare en se faisant fumer le sien.

— T’es quand même plus beau comme ça, lui dis-je. T’avais une sale gueule en hareng saur !

LE (GOUZI DU) CRAPAUD

— Toi, pour être chié, t’es chié, mon vieux, marmonne M. Blanc, tout juste sorti des vapes.

Ses lotos jaunassous ressemblent à deux fleurs de tournesol. Ses dents paraissent moins blanches que de coutume, tandis qu’une vilaine mousse grisâtre s’obstine aux commissures de ses grosses lèvres.

— Pourquoi, fils ?

— Tu dis qu’à l’hôtel de Pigalle, personne ne voulait admettre que le tueur amerlock l’habitait. Ils niaient farouchement ?