Mais, n'ayant pas pu retourner à l'hôtel ni renouveler sa garde-robe, par manque de temps, il n'avait que ça à se mettre.
Par son calme, la Via Gora se distinguait de la plupart des rues du Trastevere où se succédaient à n'en plus finir les trattorias et les restaurants. Les lampadaires accrochés aux façades éclairaient l'étroite ruelle d'une lumière blafarde qui mettait en valeur les vieilles façades. Malberg observa le numéro 23.
Il tendit soudain le bras vers les fenêtres du cinquième étage.
- Regardez ! Il y a de la lumière dans l'appartement de Marlène ! C'est incroyable !
- Là-haut, au cinquième ? demanda Caterina pendant que Paolo s'étonnait, la main en visière au-dessus des yeux comme pour mieux voir :
- Mais je croyais que l'on ne pouvait plus accéder à l'intérieur ?
Le frère et la sœur regardèrent Malberg d'un air dubitatif, si bien qu'il se sentit acculé. Désespéré, il plaqua les deux mains sur son visage :
- Mais, enfin, je ne suis tout de même pas fou !
Le regard de Caterina restait posé sur Lukas.
- Tu es sûr de toi ? Tu sais, dans le feu de l'action, on voit parfois certaines choses...
- Je sais ce que j'ai vu ! coupa brutalement Malberg, en colère.
Caterina était troublée par ce Lukas Malberg qu'elle ne connaissait pas.
- Raison de plus pour aller voir ce qui se passe vraiment là-haut, intervint Paolo. Attendez ici !
Paolo traversa la Via Gora avec la nonchalance du badaud. À la hauteur du numéro 23, il jeta un dernier coup d'œil à droite et à gauche avant de sortir quelque chose de la poche de son pantalon. Il s'attaqua à la serrure.
Au bout de dix secondes à peine, il se retourna et siffla entre son pouce et son index. Malberg et Caterina traversèrent la rue à leur tour et pénétrèrent dans l'entrée sombre.
Paolo tendit une lampe de poche à Lukas, qui les précéda à pas feutrés dans l'escalier. Il reconnut immédiatement l'odeur de cire et de détergent. Devancé par le faisceau dansant de sa torche, il gravit les marches jusqu'au dernier étage.
- Ici ! chuchota Malberg en décrivant un rectangle sur le mur à l'aide de sa lampe C'est ici que se trouvait la porte de l'appartement de Marlène.
Entre-temps, Paolo avait trouvé à gauche la porte coupe-feu qui s'ouvrait sur les combles. Malberg éclaira le verrou de la porte.
- Fastoche, murmura Paolo.
Et, en effet, une dizaine de secondes lui suffirent pour crocheter cette deuxième serrure.
Sans le moindre bruit, les trois comparses disparurent derrière la porte de métal. Ils se retrouvèrent dans un vaste grenier tout en longueur, dont la plus grande partie disparaissait dans l'obscurité.
Néanmoins, ils pouvaient distinguer les trois conduits de cheminées dont l'enduit s'écaillait, et la charpente assez basse qui les obligeait à baisser la tête pour se frayer un passage dans ce bric-à-brac inquiétant digne d'un décor de film d'Alfred Hitchcock : des meubles anciens dont les brocanteurs auraient raffolé, une demi-douzaine de bicyclettes et plusieurs poussettes, la plus vieille datant du siècle passé, des caisses de munitions de la dernière guerre, des sacs éventrés remplis de vêtements usagés, une échelle posée contre un conduit de cheminée, une machine à coudre à pédale et un des tout premiers postes de télévision. Le tout avait quelque chose d'un peu inquiétant... et de terriblement poussiéreux.
Lukas Malberg pointa le faisceau de sa lampe sur la grosse l'armoire, à droite de la porte.
Paolo s'attendait à ce qu'elle fût fermée à clé. À l'instant où il se penchait sur la serrure, les deux portes s'ouvrirent d'elles-mêmes.
Malberg s'approcha pour éclairer l'intérieur du meuble. Il ne s'attendait pas nécessairement à y découvrir une deuxième porte, comme chez la signora Papperitz. Cependant, il ne put dissimuler une certaine déception après avoir inspecté le fond de l'armoire, qu'il malmena du reste sans se soucier de ce qu'elle contenait.
- Il faut écarter l'armoire du mur, dit Malberg en essuyant avec sa manche la sueur qui perlait sur son front. Allez, donne-moi un coup de main ! ajouta-t-il en se tournant vers Paolo.
Caterina tenait la lampe pendant que Lukas et Paolo déplaçaient l'armoire par à-coups. La tâche était d'autant plus difficile qu'ils ne devaient surtout pas attirer l'attention.
Ils avaient presque atteint leur objectif lorsqu'à l'intérieur du meuble une étagère s'effondra avec tout ce qu'elle supportait, à savoir une douzaine de vieux plats et de verres...
Malberg, Caterina et Paolo se figèrent d'effroi. Le fracas qui avait retenti aurait suffi à réveiller tout l'immeuble.
- On se casse ! murmura Paolo.
Caterina rattrapa son frère par le bras gauche.
Malberg, l'index posé sur les lèvres, tendit l'oreille. Silence. D'un instant à l'autre, les portes allaient s'ouvrir dans la cage d'escalier, des pas retentiraient : ils seraient découverts.
Mais rien de tel ne se produisit. Ils n'entendirent pas le moindre bruit. Le silence était pesant.
Comment se faisait-il que personne n'ait entendu un pareil boucan ?
Ils restèrent ainsi immobiles durant quelques minutes, osant à peine respirer, en proie aux plus vives angoisses. Malberg gardait sa lampe braquée sur la porte. Paolo fut le premier à retrouver ses esprits.
- Ça ne tient pas la route, tout ça ! ne cessait-il de marmonner. Il y a forcément quelqu'un qui a entendu...
Quoi qu'il en soit, l'armoire était maintenant suffisamment éloignée du mur pour que Malberg puisse jeter un œil derrière.
- Rien, remarqua-t-il, déçu. Pas de porte dérobée, rien.
Paolo le rejoignit et commença à sonder le mur qui se trouvait derrière le meuble. Il secoua la tête. Puis il prit la lampe des mains de Malberg pour inspecter les coins et les recoins du grenier. Malberg, désespéré, se tenait à l'écart dans l'obscurité.
Sentant soudain la main de Caterina se poser sur son épaule, il posa sa main sur la sienne.
- Dès le début, tu ne m'as pas cru, remarqua-t-il tout bas.
- Arrête !
- Tu crois que j'ai tout inventé. L'appartement muré, peut-être même l'assassinat de Marlène, dit-il sur un ton résigné.
- Et l'enterrement ? Et le mystérieux calepin ? Et l'avis de recherche lancé contre toi ?
Malberg baissa la tête.
- Moi-même, je ne sais plus que croire.
- Hé ! leur lança Paolo d'une voix étouffée en faisant des grands signes avec la lampe qu'il braqua au-dessus de l'armoire.
Il fallait y regarder à deux fois pour apercevoir la petite porte ménagée dans le mur décrépit.
- L'échelle ! s'écria Paolo à voix basse.
Malberg appuya l'échelle contre le mur et grimpa avec prudence.
La porte, dépourvue de poignée, ne comportait qu'une simple serrure. Il semblait donc fort peu probable qu'ils parviennent à l'ouvrir sans clé ni outillage spécial.
- Laisse-moi faire, s'impatientait Paolo.
Cette fois, il crocheta la serrure avec un bout de rayon de roue de bicyclette. Il lui suffit d'une petite secousse pour ouvrir la porte par laquelle filtra aussitôt un rai de lumière qui vint éclairer la charpente poussiéreuse du grenier.
- Qu'est-ce que tu vois ? demanda Caterina à Paolo, qui descendit de l'échelle sans répondre.
Une fois en bas, il lui dit en étouffant sa voix :
- Ça donne sur une sorte de mezzanine avec un canapé, un beau secrétaire et un fauteuil. Tout semble plutôt bien en ordre, ajouta-t-il en pointant son doigt vers le haut. Je ne serais pas étonné qu'une tête apparaisse là, tout à coup.