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- Vous parliez d'une radiation qui aurait pu être à l'origine de cette empreinte apparue sur le suaire.

- Exact. Aujourd'hui, je suis même convaincu que c'est là la seule explication plausible. D'abord, parce que les analyses chimiques ont conclu qu'il ne s'agissait pas d'une teinture qui aurait été appliquée. On n'a retrouvé aucune trace de pigment. Ensuite, des expériences ont été conduites, qui consistaient à placer des personnes dans la même position que celle du linceul de Turin, qu'on enduisait de solutions à base de bitume avant de les recouvrir d'un linge. Le résultat parlait de lui-même : les empreintes étaient déformées et n'avaient pas la moindre ressemblance avec le modèle. Si l'on considère l'original, on a l'impression que la trace laissée par le mort sur le linceul a été comme soufflée.

- Je n'en admire que plus votre audace d'avoir osé fabriquer une copie du linceul. Vous avez éveillé ma curiosité. Ne pourriez-vous pas me livrer votre secret, ou du moins quelques éléments qui me permettraient de comprendre un peu ?

Le vieil homme secoua si violemment la tête que sa barbe, entraînée par le mouvement, remua au même rythme.

- J'ai signé un contrat qui stipule que, si je devais révéler à qui que ce soit le plus petit mot concernant le déroulement de cette affaire, je serais voué à la damnation éternelle et je devrais restituer les cinq cent mille euros.

- Dans ce cas, on peut dire que vous avez déjà rompu le contrat depuis longtemps, messire Leonardo... Mais soyez sûr de pouvoir me faire absolument confiance. Lorsque je repartirai demain pour le château de Layenfels, j'aurai tout oublié, ma venue ici comme notre rencontre.

Leonardo hésita un instant avant de faire un signe à Anicet :

- Suivez-moi !

Un deuxième escalier, aménagé dans le mur lui-même, menait vers l'étage supérieur. Le vieil homme gravissait les marches quatre à quatre, à une telle vitesse qu'Anicet, qui avait du mal à le suivre, eut tout à coup des doutes sur l'âge véritable de son curieux hôte. Arrivé en haut, il découvrit une pièce presque vide, un laboratoire sommairement aménagé, avec des armoires vitrées et une table à expériences installée en face des trois fenêtres qui donnaient sur la rue. Des projecteurs suspendus au plafond conféraient à la pièce une allure de studio de photographe.

Le sol, de même que les murs, étaient recouverts d'un carrelage de faïence blanche. Le laboratoire, comme l'atelier du dessous, occupait tout l'étage.

Le plus impressionnant était un grand dais noir, d'environ deux mètres cinquante de large sur une hauteur presque identique, et qui se trouvait à droite dans la pièce.

Avec un plaisir non dissimulé, Leonardo goûta pendant quelques instants la perplexité d'Anicet. Il affichait le sourire triomphant de celui qui domine la situation. Puis il commença presque comme si de rien n'était :

- Voilà déjà cinq siècles que j'ai inventé la camera obscura. Vous avez dû en entendre parler. C'est un miracle de la nature, simple et époustouflant à la fois. Cet appareil en est un modèle un peu grossier, je le concède, mais qui correspond à mes besoins. J'aimerais vous montrer quelque chose.

Ouvrant une porte étroite, à peine visible sur le côté du dais, il poussa Anicet à l'intérieur.

- Vous n'avez rien à craindre. Mais si vous voulez savoir comment la copie du suaire de Turin a été faite, il faut vous plier à cette expérience.

Lorsqu'Anicet eut pénétré dans la camera obscura, Leonardo ferma la porte.

Un silence pesant régnait à l'intérieur de l'appareil. Anicet entendit comme dans le lointain Leonardo qui allumait les projecteurs du plafond. Mais il ne voyait rien.

Pendant ce temps, Leonardo se débarrassait de ses vêtements. Puis il retira l'obturateur sur le devant de l'appareil et se positionna, nu et misérable, devant le mur blanc qui se trouvait en face.

Il cachait son sexe avec sa main droite. Sa main gauche soutenait son poignet droit. Ses deux jambes étaient parallèles et avaient pris la position habituelle des momies.

Leonardo se tint ainsi immobile durant quelques minutes, les yeux fermés. Il savait ce qui se passait à l'intérieur de la boîte noire.

Anicet, que très peu de choses étaient en mesure de désarçonner, fixait, désemparé, voire choqué, l'image qui se projetait sous ses yeux. Le mince rayon de lumière qui passait par le trou pratiqué dans le dais projetait une silhouette floue sur l'écran blanc.

Et plus il regardait l'image inversée, plus il devenait évident que l'homme qu'il voyait, la tête en bas, sur l'écran, ressemblait à s'y méprendre au personnage ayant laissé son empreinte sur le suaire de Turin.

Anicet s'empressa de sortir de la camera obscura. Il était comme abasourdi. Sans prêter attention à la nudité de Leonardo, il s'écria, au comble de l'agitation :

- Vous êtes un sorcier, messire Leonard, un magicien et un fabricant de fantômes. Et, qui plus est, vous faites tout cela excellemment !

Tandis que le vieil homme se rhabillait, Anicet ne cessait de secouer la tête, comme s'il n'arrivait toujours pas à croire ce qu'il venait de voir.

- Et comment avez-vous fait pour transférer votre image sur l'écran ?

Leonardo esquissa un sourire avant de répondre :

- Il est vrai que c'était là la partie la plus ardue de l'entreprise. Mais je me suis souvenu d'un opuscule, aujourd'hui disparu, que j'avais rédigé il y a cinq siècles de cela. À l'époque, j'avais trouvé comment fixer l'image de la camera obscura et comment la transposer sur un écran. Je vous explique ?

- Mais oui ! affirma Anicet.

- Je me souvenais seulement que l'argent ou l'or jouaient un rôle dans ce procédé. J'ai donc commencé à faire des expériences avec ces deux métaux et, au bout de quelques semaines, je suis arrivé à un résultat étonnant : lorsqu'on dilue de l'argent et de l'or dans de l'acide sulfurique, on obtient du sulfate d'argent Ag2SO4. Si on trempe du lin dans cette solution, l'étoffe, après séchage, s'avère être sensible à la lumière comme la pellicule d'un appareil photo - mais certes plus légèrement.

- Et c'est vous qui avez posé comme modèle pour Jésus de Nazareth...

- Par pitié ! Ne me rappelez pas cette épreuve ! Il a fallu que je reste pendant seize heures, sans bouger, dans la chaleur des projecteurs. Pour me rendre compte que cela n'avait servi à rien, ou presque ! Il s'avéra en effet que l'exposition était toujours trop courte. L'esquisse de négatif était plus pâle que celle de l'original.

- Vous avez dû tout recommencer à zéro !

- Vous en avez de bonnes, vous ! Le lin que Moro m'avait fourni était unique. Bien que datant du quatorzième siècle, il avait le même tissage que le suaire de Turin : un motif à chevrons, trois à un. Cela signifie que, lors du tissage, la trame se trouvait d'abord sous trois fils de chaîne, puis au-dessus, puis de nouveau en dessous, et ainsi de suite. Un procédé de tissage qui a perduré pendant plus de mille ans. J'ignore d'où Moro tenait ce lin.

- Et comment avez-vous réussi à accentuer le contraste de l'image projetée ? Autant que je sache, il n'y a pas eu un seul expert pour émettre un doute quant à l'authenticité du suaire de Turin, bien qu'il se fût agi de la copie réalisée par vos soins.

Leonardo leva les mains et répondit :

- Comme c'est souvent le cas dans la vie, quand il y a urgence, le hasard vole à votre secours. Je réalisais à l'époque mon autoportrait et, comme vous le savez, en peinture, on utilise de l'œuf. Les maîtres primitifs italiens fabriquaient leurs couleurs avec du jaune d'œuf qu'ils mélangeaient à des pigments. Pendant des années, le blanc a servi de sous-couche. C'est ce qu'on appelle la sous-couche à l'albumine. On se sert aussi de blancs battus en neige comme fond pour appliquer la dorure. Pour mon autoportrait, je me suis servi d'œufs cuits. Je devais bien en avoir une centaine à ma disposition. Mais mes tentatives pour rendre plus naturelle la couleur de ma peau - je me représentais nu - ne débouchèrent nulle part. Déçu, j'ai dévoré une douzaine d'œufs durs, avec une bonne dose de sel et de poivre et, dans un accès de colère, j'en ai lancé une autre bonne douzaine contre les murs ; l'un d'eux a atterri sur la copie trop claire du linceul.