Des murs blancs, une penderie blanche et une chaise blanche avec ses habits posés dessus. Sur la table de nuit en métal laqué blanc, il aperçut son portefeuille et, à côté, le petit carnet qu'il avait pris dans l'appartement de Marlène. À voir cet objet, il eut un choc. Il se sentit mal.
Il se mit à feuilleter l'agenda. Ses mains tremblaient. L'écriture maladroite de petite fille ne correspondait pas à l'assurance qu'affichait Marlène quand on la voyait. Mais ce qu'il y découvrit l'étonna plus encore : pas de noms, pas d'adresses, rien que des mots incompréhensibles, comme un message codé. Que signifiaient-ils ?
Lætare : Maleachi
Sexagesima : Jona
Remiscere : Sacharja
Ocul : Nahum
Malberg avait eu tort de redouter que son nom pût être consigné dans ce petit carnet. Il ne contenait d'ailleurs aucun nom normal. Perplexe, il reposa l'agenda.
Marlène ! Il revit tout à coup sa tête plongée sous l'eau, et ses longs cheveux qui flottaient tout autour, pareils à des algues. Cette vision resterait à jamais gravée dans sa mémoire.
C'est alors que surgirent les premières questions : dans la panique du moment, avait-il réagi correctement ? N'aurait-il pas mieux fait de prévenir la police ? Quelle raison avait-il de s'enfuir ? N'était-il pas par-là même devenu suspect ? Et la concierge ? Ne l'avait-elle vraiment pas vu ? Si une confrontation devait avoir lieu, le reconnaîtrait-elle ?
Des rafales d'idées et d'hypothèses se bousculaient dans son cerveau confus. Les images se superposaient les unes aux autres, ajoutant à sa perplexité. Et, au milieu de tout cela, Marlène, les yeux écarquillés sous l'eau. Comme elle avait dû souffrir avant que la mort ne vienne la délivrer !
Jamais de sa vie il n'avait encore vu la mort de si près. Lorsqu'il apprenait par le journal ou la télévision la disparition de quelqu'un, il en prenait acte, mais cela ne l'avait encore jamais vraiment touché.
La mort de Marlène, elle, l'affectait au plus profond de lui-même. À présent, il prenait conscience de tous les espoirs qu'il avait placés dans ses retrouvailles avec sa belle camarade de classe.
En proie à une vive agitation, il se leva. Il fallait qu'il sache ce qui était arrivé à son amie. Il ne voulait pas, il ne pouvait pas rester ici plus longtemps. Il était encore trop faible, mais sa décision était prise : demain, il quitterait l'hôpital.
4
La route était étroite, sinueuse et escarpée. Après le long trajet nocturne, c'était maintenant Soffici, le secrétaire du cardinal, qui était au volant. Alberto dormait à sa droite. Même les cahots causés par les profonds nids-de-poules de la chaussée dépourvue de revêtement ne le réveillaient pas.
Soffici abordait en première les épingles à cheveux serrées. De part et d'autre de la route, les branches basses du sous-bois venaient fouetter le pare-brise.
- Pourvu qu'aucun véhicule n'arrive en face, finit par remarquer le cardinal secrétaire d'État Gonzaga, qui se taisait depuis un long moment.
Il se tenait toujours aussi droit et figé sur la banquette arrière. Il n'avait pas fermé l'œil de tout le trajet.
Ils avaient quitté l'autoroute après Wiesbaden et, depuis, Gonzaga s'était chargé d'indiquer la route en suivant un itinéraire noté sur une feuille de papier.
Leur périple devait les mener sur la rive droite du Rhin jusqu'au château fort de Layenfels. Dans la très ancienne petite bourgade de Lorch, la route nationale bifurqua dans la vallée de la Wisper bordée de riches vignobles. Puis ils arrivèrent à un croisement.
Gonzaga, trop fier pour porter des lunettes, tenait la feuille à bout de bras.
- Maintenant, c'est sur la gauche, dit-il d'une voix pâteuse.
Il se mit à pleuvoir.
- Êtes-vous certain, Éminence, que nous sommes toujours sur la bonne route ? demanda Soffici avec une pointe d'inquiétude dans la voix.
Gonzaga ne répondit pas. Il vérifia une fois encore l'itinéraire.
- Comment en serais-je certain ? C'est la première fois que je fais ce trajet. Cette maudite route doit bien mener quelque part, non ? finit-il par dire sur un ton peu aimable.
Le secrétaire tressaillit, Alberto se réveilla brutalement. Constatant la maladresse de Soffici, il proposa de reprendre le volant.
Soffici immobilisa le véhicule et coupa le moteur.
La route escarpée, envahie par la végétation, était si étroite que Soffici et Alberto eurent du mal à sortir de la voiture pour changer de place.
Il régnait à cet endroit le plus parfait silence, que seules venaient troubler les gouttes de pluie tombant sur les buissons.
Tandis qu'Alberto reprenait le volant, le cardinal baissa sa vitre. Une odeur fraîche de mousse montait du sol. Gonzaga prit une grande inspiration. Un chien aboyait dans le lointain.
- On continue ! ordonna le cardinal.
Alberto mit le contact, mais la voiture refusa de démarrer.
- Il ne manquait plus que ça ! s'écria Gonzaga, ulcéré, en soufflant par le nez.
- Par la Sainte Vierge ! s'exclama Alberto qui se sentait responsable de cet incident. Ma voiture ne m'a encore jamais laissé en plan. C'est la première fois, Éminence.
Gonzaga eut un geste agacé, puis frappa sur l'épaule de Soffici.
Le monsignor comprit le message du cardinal secrétaire d'État. Alberto fouilla dans la boîte à gants et en ressortit une casquette qu'il tendit à Soffici.
- Ce ne doit plus être bien loin ! lui cria encore Gonzaga par sa vitre ouverte. Au bout de quelques mètres, Soffici disparut au détour d'un virage.
Dans de tels moments, le monsignor maudissait son patron.Ce n'était pas pour rien qu'à la curie, on le surnommait en cachette Gonzaga le Chacal. On ne savait jamais comment il allait vous traiter.
Toujours est-il que le second du pape avait plus d'ennemis que d'amis au Vatican. Pour être plus précis : Soffici ne connaissait personne dont il aurait pu dire qu'il était un ami de Gonzaga.
Cela n'empêchait cependant pas le monsignor de se montrer fidèle et dévoué à son patron. Pour un homme comme lui, accomplir sa mission revenait à servir le Très-Haut. Lorsque Gonzaga lui avait dévoilé son entreprise en confidence, Soffici avait sans état d'âme prêté solennellement serment d'emporter avec lui ce secret dans la tombe.
La montée devenait de plus en plus pénible. Soffici, pas sportif pour deux sous, haletait et cherchait à reprendre son souffle. Les buissons mouillés en bordure de la chaussée lui giflaient le visage. Tout cela ne contribuait pas vraiment à améliorer son humeur.
Soudain, après un virage en épingle à cheveux, il vit apparaître un mur à travers des branches. Soffici s'arrêta. Il était à présent trempé jusqu'aux os.
Il leva les yeux vers le ciel et reconnut, dominant les arbres, les murailles et les tours d'une imposante forteresse.
- Jésus Marie... murmura-t-il à mi-voix.
Avec ses créneaux, ses tours et ses tourelles, l'édifice ne le rassurait guère. Il s'était imaginé que le château Layenfels serait plus accueillant.
Soffici s'approcha du porche à pas hésitants. Il avisa une guérite à côté d'une porte fermée par une grille. Bien qu'il fît déjà jour, une lumière brillait derrière la minuscule fenêtre de la petite maison du gardien. Tout ceci renforçait l'impression menaçante et mystérieuse que dégageaient ces lieux. Soffici avait du mal à croire que cette forteresse, perchée au-dessus du Rhin, pouvait réellement servir les desseins auxquels Gonzaga avait fait allusion.
Aucun son ne franchissait les murailles du château, pas une voix ni un bruit de pas, rien. Soffici se mit sur la pointe des pieds pour regarder par la fenêtre : la minuscule pièce ressemblait à une cellule de moine. Des murs nus, une table rustique, une chaise, une couche sans matelas en face de la fenêtre et, au-dessus, un vieux téléphone accroché au mur. Sur le grabat, un gardien somnolait, les mains jointes. L'ampoule, qui brillait au plafond, l'empêchait de dormir vraiment.