Выбрать главу

- Bien sûr que si, répondit Soffici. Vous faites allusion à la première lettre aux Corinthiens dans laquelle il est dit : À ceux qui sont seuls et aux veuves, je déclare qu'il est bon pour eux de rester comme je suis.

Abate opinait du chef et Moro poursuivit :

- Avez-vous oublié les paroles de l'apôtre ?

- Au contraire, répondit Soffici, Paul dit aussi : Mais s'ils ne peuvent pas se maîtriser, qu'ils se marient, car mieux vaut se marier que brûler de désir. C'est aussi valable pour un cardinal secrétaire d'État. Mais, étant donné que le mariage est interdit depuis que l'encyclique Sacerdotalis Cœlibatus...

Moro et Abate restèrent pantois. Inutile de chercher à rivaliser avec monsignor Soffici, il connaissait l'Ancien et le Nouveau Testament comme le Notre Père. Moro remarqua que Soffici consultait sa montre avec nervosité.

- Vous soutenez Gonzaga dont vous êtes le secrétaire, et c'est tout à votre honneur, poursuivit Moro qui avait fini par se radoucir. Mais cela ne change rien au fait que le cardinal a trahi l'Église. Dieu le punira.

Que celui qui n'a pas péché lui lance la première pierre, dit le Seigneur !

- Restons-en là, voulez-vous ? coupa Moro pour le tempérer. Comment envisagez-vous votre avenir ?

Désemparé par cette question, l'apostat se mordit la lèvre inférieure. Son regard tomba sur l'enveloppe contenant les clichés radiographiques qu'il avait posés sans y prendre garde à côté du plateau de son petit-déjeuner.

- Inutile de vous faire du souci pour moi, répondit finalement Soffici. Je sais bien évidemment que je ne dois pas attendre d'aide de la part de l'Église.

- Là, vous pouvez en être sûr ! On ne mord pas sans impunité la main qui vous nourrit.

- Et pour continuer de filer la métaphore : on n'abat pas la vache qui vous donne son lait. Je vais quitter la pâture sans me faire remarquer. C'est là la grande différence.

Moro eut un geste de mépris.

Celui qui n'est pas pour moi est contre moi, dit le Seigneur. Mais vous n'avez toujours pas répondu à ma question.

- Quelle question ?

- J'aimerais savoir ce qui vous amène au château de Layenfels. Seriez-vous un adepte du cardinal félon ? Et donc un traître ?

- Pensez ce que vous voulez, cardinal, mais disparaissez maintenant, s'il vous plaît.

Moro et son secrétaire ne se firent pas prier, et Soffici boucla hâtivement sa valise.

44

Depuis que Lukas se défiait de Caterina, l'atmosphère était tendue entre Barbieri et lui. D'après Barbieri, il était têtu, égoïste et de surcroît stupide de refuser de comprendre que Caterina l'aimait réellement. Il ne pouvait tout de même pas la rendre responsable des comportements douteux de son frère.

À cette ambiance maussade s'ajoutaient la bruine et le brouillard qui noyaient la ville depuis plusieurs jours. Le cimetière protestant situé dans la rue derrière l'immeuble prenait alors des allures encore plus sinistres.

Barbieri regarda par la fenêtre en ronchonnant. À son programme du jour figurait une filature. C'était de ce genre de mission qu'il tirait ses principaux revenus. En l'occurrence, il agissait pour le compte d'une femme mariée à un fonctionnaire du ministère de la Justice. La dame en question voulait savoir à quoi s'en tenir sur la fidélité de son époux. Une photo et un bout de papier portant les informations nécessaires devaient suffire pour remplir son contrat.

Pour faire les photos destinées à fournir des preuves, Barbieri utilisait un appareil photo numérique Nikon D80 muni d'un téléobjectif puissant. Cet équipement avait représenté le plus gros investissement de son agence de détective. Il en prenait grand soin. À l'aide d'un pinceau, il nettoya les petites poussières à peine visibles sur l'objectif, puis il se posta à la fenêtre et prit machinalement une photo.

- Tu attends que tes clients t'apportent les preuves sur un plateau ou quoi ? ironisa Malberg.

- Très drôle, lui lança Barbieri tout en rangeant l'appareil dans un sac en toile. Moi, à ta place, je jetterais un coup d'œil par la fenêtre. On ne sait jamais, cela pourrait peut-être te mettre de bonne humeur.

Malberg ne comprenait pas ce que Barbieri voulait dire, mais, intrigué, il se leva de la table de la cuisine, sur laquelle ils venaient de prendre leur petit-déjeuner, pour s'approcher de la fenêtre.

Il pleuvait maintenant à verse. Le spectacle n'était pas vraiment fait pour lui remonter le moral. C'est alors qu'il aperçut une jeune femme sous le porche de la maison d'en face.

Elle portait une veste courte à capuche. Malberg la reconnut tout de suite : c'était Caterina.

Il était heureux, mais il s'attrista l'instant d'après en repensant à son frère Paolo.

- C'est Caterina, dit-il en veillant à dissimuler son émotion. Qui peut-elle bien attendre ?

À peine avait-il posé cette question inutile qu'il remarquait la stupidité de ce qu'il venait de dire.

- Mais oui, c'est vrai ça, qui peut-elle bien attendre ? répéta Barbieri sur le même ton que Lukas. Leonardo DiCaprio ou Brad Pitt. Mon vieux, tu es complètement à côté de la plaque. Cette demoiselle, roulée et futée comme elle est, pourrait avoir tous les mecs à ses pieds. Mais non, il faut que cette pauvre petite en pince pour un Allemand compliqué et rancunier ! Tu veux que je te dise : moi, à ta place, je ne cracherais pas sur Caterina. Moi, je m'en occuperais ! D'ailleurs, si un jour elle finit par comprendre qu'elle s'est fourvoyée avec toi, je t'assure que je serai là pour la consoler.

Les paroles de Barbieri déclenchèrent chez Malberg un accès de fureur. Il se rua comme un enragé sur Giacopo et lui décocha un violent coup de poing dans le nez.

- Je te préviens ! Ne t'avise pas de toucher à Caterina, lança-t-il entre ses dents, hors de lui.

- Voyez-vous cela ! dit Barbieri en essuyant le sang qui coulait de son nez. Monsieur est possessif ! Il semblerait que tu aimes plus Caterina que tu ne veux bien te l'avouer. Sinon, tu te moquerais pas mal de savoir avec qui elle couche.

Ce type a raison, pensa Malberg qui s'en voulut quand il se rendit compte de l'état dans lequel il avait mis Giacopo.

Il réalisait pour la première fois qu'il risquait de perdre Caterina. Il ne le voulait pas.

- Excuse-moi, dit-il en tendant un mouchoir à Giacopo. Je suis terrorisé rien qu'à l'idée qu'elle pourrait tomber amoureuse d'un autre homme.

- Alors, qu'est-ce que tu attends ? Descends et va lui répéter ce que tu viens de me dire ! Fais-le avant qu'il ne soit trop tard !

Malberg tergiversa encore un moment. Il avait du mal à reconnaître ses erreurs. Sa méfiance démesurée et sa déception l'avaient aveuglé. Mais, au fond de lui-même, il avait compris depuis longtemps que rien ne justifiait plus son désir de vengeance. Soudain, il réalisa que Caterina faisait désormais partie de sa vie.

- Tu as raison, Giacopo ! lança-t-il.

Il attrapa sa veste et dévala l'escalier. Lorsque Caterina vit Malberg s'approcher, elle courut à sa rencontre et traversa la rue sans faire attention aux voitures. Mal à l'aise, Malberg s'immobilisa en plein milieu de la chaussée. Il avait honte de s'être comporté comme il l'avait fait.

- Lukas !

Caterina se jeta dans ses bras. Malberg la serra alors contre lui comme s'il ne voulait plus jamais la lâcher.

- Je suis désolé, dit-il d'une voix rauque, je suis désolé.

Aucun des deux ne remarqua l'énorme flaque d'eau dans laquelle ils se tenaient, ni les coups de klaxon des voitures qui les contournaient. Ils s'embrassèrent sans se soucier de la pluie qui tombait. Ils s'embrassèrent et s'embrassèrent encore.