Ce qui restait du véhicule retomba sur le sol, comme un boxeur qui s'effondre sur le ring. Le radiateur percé émit encore un sifflement avant que le silence ne retombe.
Trois hommes accoururent du château en agitant les bras. La pente était si raide qu'ils devaient se freiner dans la descente. L'odeur de l'huile et de l'essence qui s'échappaient de la voiture se mêlait à celle d'humidité de la forêt.
Ils pouvaient suivre la trajectoire du véhicule fou aux traces qu'il avait laissées dans le paysage. Des morceaux de carrosserie jonchaient son parcours.
Les trois hommes paraissaient tout à fait sereins lorsqu'ils arrivèrent sur le lieu de l'accident. Anicet était parmi eux.
Tandis que les deux plus jeunes s'approchaient prudemment de la carcasse, comme s'ils avaient peur que ce tas de tôle explose, Anicet les encouragea :
- N'ayez pas peur ! Les voitures accidentées n'explosent pas, elles prennent feu, tout au plus. Les scènes catastrophe de télévision n'ont rien à voir avec la réalité !
Anicet inspecta prudemment l'intérieur du véhicule, ou du moins ce qu'il en restait. La Mercedes s'était enroulée comme une pieuvre autour du tronc d'arbre. D'un coup de talon, Anicet enfonça la vitre de la portière de gauche, qui était encore entière bien qu'elle eût un éclat.
- Nous arrivons trop tard ! constata-t-il froidement en reconnaissant Soffici.
Sa tête bizarrement tournée reposait sur l'airbag, qui avait explosé. Du sang coulait de son nez et de sa bouche.
- Le pauvre homme ! commenta Anicet devant l'affreux spectacle qu'offrait la victime.
Pour un peu, on aurait cru qu'il éprouvait vraiment de la pitié pour lui.
- Il faut que nous appelions la police, dit l'un des jeunes hommes en tirant un téléphone portable de sa poche.
- Rien ne presse, répondit Anicet. Aidez-moi plutôt à sortir le passager de l'habitacle.
Conjuguant leurs forces, ils tentèrent d'ouvrir la portière, qui était coincée. Ils eurent beau tout essayer, ce fut peine perdue. Anicet finit par plonger le haut du corps à l'intérieur.
Il passa par-dessus le cadavre de Soffici et tendit le bras vers l'autre siège. Il trouva ce qu'il cherchait encore plus bas sur le plancher défoncé.
Il eut un mal fou à s'extraire de l'habitacle de la voiture avec le petit paquet et l'enveloppe. Quand il y parvint enfin, ce fut pour constater avec dégoût qu'il était couvert de sang.
Il serrait le petit paquet entre ses mains, comme s'il se fût agi d'un précieux trésor. Un sourire passa sur ses lèvres. Le mélange de sueur et de sang qui dégoulinait de son visage lui donnait un air diabolique.
- Du bon travail, souffla-t-il en adressant un regard satisfait à ses deux aides.
Les deux jeunes hommes firent demi-tour pour rejoindre le château.
- Une minute ! leur lança Anicet en tirant de sa poche une boîte d'allumettes.
Il en gratta une et la jeta dans le moteur du véhicule, à l'endroit où il y avait une fuite d'essence. La voiture prit feu en un instant.
- On peut y aller, à présent !
Il s'arrêta au bout de quelques mètres pour se retourner encore une fois. Les flammes s'élevaient à cinq ou six mètres, dégageant un nuage de fumée noire.
- Monsignor a cru que j'allais sans broncher lui faire cadeau de deux cent cinquante mille dollars, dit-il tout bas. Pour ce petit truc ridicule ! ajouta-t-il en brandissant le petit paquet au-dessus de sa tête. Il aurait quand même dû se douter de la valeur qu'avait ce petit bout d'étoffe pour nous.
- Vous ne croyez pas que je devrais vraiment appeler la police, maintenant ? s'enquit un des deux hommes qui l'accompagnaient.
Anicet haussa les épaules avant de répondre :
- Faites comme bon vous semble.
46
Au grand étonnement de Caterina, ce fut le procureur Achille Mesomedes qui lui annonça la nouvelle peu après 9 h du matin. Elle venait juste de se doucher en se rappelant les délicieux moments qu'elle venait de vivre lorsque le téléphone sonna. Le mandat d'arrêt contre Malberg venait d'être levé, ce qui signifiait aussi que l'enquête était classée.
Caterina était à la fois époustouflée et soulagée.
- Voilà une très bonne nouvelle, dit-elle, ses cheveux mouillés gouttant sur le plancher. Mais vous vous souvenez peut-être que je vous avais demandé de ne pas m'appeler en pleine nuit. Vous m'avez tirée précipitamment de la douche.
Mesomedes rit.
- Pour ce qui est de l'heure, je vous prie de bien vouloir m'excuser, signorina. J'avais oublié que nous n'avons pas les mêmes horaires. Pardonnez-moi. Mais le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt, c'est d'autant plus vrai pour le petit procureur que je suis. Toutefois, en ce qui concerne votre déclaration selon laquelle vous n'auriez vu Malberg qu'une seule fois et qu'il était sans doute à l'étranger, j'ose espérer que vous ne m'aviez pas cru suffisamment idiot pour la gober. D'après mes informations, tout porte à croire que Malberg est encore à Rome. Mais, quoi qu'il en soit, je désirais seulement vous tenir au courant des dernières nouvelles.
- C'est bien comme cela, répondit Caterina, soucieuse d'arrondir les angles et de ne pas trahir ses émotions. Avez-vous avancé dans vos investigations concernant le cas Marlène Ammer ? demanda-t-elle comme si de rien n'était.
Caterina entendit nettement à l'autre bout du fil le long soupir que Mesomedes laissait échapper.
- Je ne peux pas en parler librement, commença-t-il en chuchotant, comme s'il était mal à l'aise. Cette affaire est de plus en plus mystérieuse. Mais qu'importe. Toujours est-il que le procureur général Burchiello, bien que je lui aie communiqué de nouveaux faits qui démontrent qu'il faut reprendre tout à zéro, m'a expressément interdit de rouvrir le dossier.
- Vous voulez parler des photos que j'ai prises lors de l'enterrement de Marlène ?
- Entre autres. Mais Burchiello ne les avait pas à sa disposition lorsqu'il a classé le dossier. Or, il y a d'autres éléments indubitables dans ce dossier, qui n'ont pas été pris en considération : les étranges résidus de parfum sur le peignoir de la victime, les hématomes sur le thorax. Lorsque j'en ai fait état devant le procureur général, il n'a rien voulu savoir, comme si ces éléments étaient négligeables. Il m'a reproché d'être trop ambitieux et m'a conseillé de ne pas remettre en cause la clôture du dossier. Il a même ajouté que ma démarche pouvait nuire à ma carrière.
- Et vous allez accepter qu'on vous dicte votre conduite ?
- Bien sûr que non. Je ne peux m'empêcher de penser que le meurtre de Marlène Ammer cache une autre affaire, bien plus complexe. Peut-être ne s'agit-il même que d'une sorte d'accident du travail.
- Désolée, mais je ne vois pas ce que vous voulez dire, répondit Caterina, bien qu'elle devinât ce que Mesomedes avait derrière la tête.
- Eh bien, en admettant qu'un cardinal de la curie soit impliqué dans cette affaire...
- Êtes-vous en train de suggérer que la signora Ammer pourrait avoir eu une liaison avec un membre de la curie ?
- Vos photos étaieraient parfaitement cette hypothèse.
- Pas seulement les photos...
En quelques mots, Caterina mit Mesomedes au courant de sa rencontre avec la signora Fellini et lui raconta ce qu'elle avait appris de cette dernière.
Le procureur parut étonné.
- Mes compliments, signorina. Nous pourrions conjuguer nos efforts. Vous êtes une femme intelligente, et j'imagine volontiers que les portes puissent s'ouvrir devant vous tandis qu'elles resteraient fermées à un homme. D'un autre côté, j'ai des sources d'information auxquelles même une journaliste ne peut avoir accès.