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- Vous croyez donc, s'enquit-il prudemment, que Soffici aurait pu être victime d'un meurtre ? Connaissez-vous les circonstances exactes de l'accident ?

Canella ne répondit pas ; il sortit une autre feuille de son attaché-case.

- Un instant, dit-il lorsqu'il remarqua l'impatience de Gonzaga. Le rapport de nos collègues allemands s'appuie sur deux faits. Tout d'abord le témoignage d'un des membres de la confrérie qui habite dans la forteresse. Cet homme prétend avoir vu du haut d'une des tours la voiture s'arrêter dans un raidillon, puis se mettre brusquement à reculer, avant de se retourner et de prendre feu, puis de s'immobiliser dans la forêt qui borde la route. Ensuite, l'enquête menée par la police scientifique a révélé que les freins du véhicule n'avaient pas fonctionné. Pour le moment, on n'a pas pu prouver si c'est un sabotage qui est à l'origine de l'accident. L'épave du véhicule a presque entièrement brûlé.

Tandis que Canella donnait toutes ces explications, le téléphone sonna. C'était Beat Keller, le chef de la sécurité du Vatican et le commandant de la garde suisse, cette troupe de mercenaires qui, depuis Jules II, veille sur la sécurité du pape et la sûreté du Vatican.

Keller était un athlète de deux mètres, aux cheveux noirs gominés, qui ressemblait à Arnold Schwarzenegger. D'ordinaire, il faisait toujours preuve d'un calme olympien. Mais, ce matin-là, il semblait passablement agité.

- Éminence, il faut de toute urgence que je vous parle. Je vous en prie !

Durant les sept années où Gonzaga avait eu affaire au chef de la garde, il ne l'avait jamais vu dans un état pareil.

- Dites-moi d'abord de quoi il retourne, maugréa-t-il.

- Il s'agit de cet homme au visage brûlé qu'on a retrouvé mort dans la fontaine de Trevi. Vous avez certainement vu sa photo dans les journaux. Le nom de cet homme serait...

- Frederico Garre, l'aida Gonzaga.

- Oui, je crois en effet que c'était son nom. Or cet homme apparaît sur une des bandes enregistrées par nos caméras de surveillance.

- Cet homme au visage brûlé ? Keller, venez immédiatement !

Gonzaga raccrocha.

- Vous me pardonnerez d'avoir entendu ce que vous disiez, intervint Canella. Vous avez dit Frederico Garre ? Ce même Garre qui...

- Oui, celui-là même. Mon chef de la sécurité m'apprend qu'il a reconnu cet homme sur un des films de nos caméras de surveillance. Il est en route. Il sera là dans un instant.

Le préfet de police fit disparaître ses documents dans sa mallette noire.

- Éminence, me permettriez-vous de jeter un œil sur ces enregistrements ? Ils pourraient nous être utiles.

- Je n'ai rien contre, répondit Gonzaga en affichant un sourire sournois. Disons : donnant, donnant.

Le chef de la sécurité entra à cet instant avec un ordinateur portable sous le bras. Beat Keller connaissait le préfet de police pour l'avoir rencontré dans différentes réunions à l'occasion desquelles ils travaillaient de conserve : Canella en sa qualité de chef de la sécurité de Rome, et Keller en sa qualité de chef de la sécurité du Vatican. La présence du préfet de police était pour ce dernier la bienvenue.

Les mesures de sécurité avaient été renforcées au Vatican depuis l'attentat perpétré dans les années 1990 contre la Pietà de Michel-Ange. Tous les objets potentiellement menacés dans les musées du Vatican et dans la basilique Saint-Pierre étaient désormais surveillés par des caméras.

Une technique de pointe permettait d'enregistrer toutes les dix secondes sur un DVD les images retransmises par une des dix-huit caméras.

Gonzaga et Keller comptaient au nombre très restreint de ceux qui connaissaient l'existence de ces moyens de surveillance.

Keller alluma son portable sans un mot. La Pietà de Michel-Ange s'afficha sur l'écran. Un groupe de touristes accompagné d'une guide se trouvait devant le chef-d'œuvre.

Les yeux plissés, Gonzaga et Canella suivaient les images qui défilaient en accéléré.

- Là ! s'exclama Keller en faisant un arrêt sur image.

La silhouette d'un homme apparaissait à droite de l'écran. Son visage défiguré était parfaitement reconnaissable. Pas de doute : il s'agissait de Frederico Garre, alias Gueule-brûlée. Keller fit défiler les images.

Sur l'écran, Gueule-brûlée se retournait à plusieurs reprises, sans doute pour s'assurer qu'on ne l'observait pas. Puis il s'approchait d'un inconnu avec lequel il avait de toute évidence rendez-vous à cet endroit.

- Messieurs, connaissez-vous cet homme ?

- Non, répondirent Gonzaga et Canella en chœur.

- Mais, continua le cardinal secrétaire d'État, en ce qui concerne l'homme au visage brûlé, il s'agit sans aucun doute de ce Frederico Garre dont on a retrouvé le cadavre dans la fontaine de Trevi.

- Un instant, interrompit Canella, qui sortit le passeport à moitié brûlé de sa mallette.

Il plaça la photo très endommagée à côté de l'écran, avant de dire avec une certaine réticence :

- Il est possible que vous ayez raison, Éminence. En ce qui me concerne, je ne suis pas aussi sûr que vous. Et, si vous me permettez cette question, comment se fait-il que vous soyez si convaincu que cet homme est bien Frederico Garre. Vous ne le connaissez pas, après tout.

- Bien sûr que non, répondit Gonzaga. Je n'ai jamais vu cet homme vivant.

- Vous dites cela sur un drôle de ton !

- Eh bien, oui, répondit le cardinal, embarrassé par la situation. Je vous dois une explication. Lorsque les journaux ont parlé de ce cadavre découvert dans la fontaine de Trevi, j'ai d'abord cru qu'il s'agissait de mon secrétaire privé Giancarlo Soffici. Il avait disparu sans laisser aucune trace depuis plusieurs jours. Craignant le pire, je me suis rendu à l'Institut médicolégal universitaire. Mais le cadavre que le médecin légiste m'a montré n'était pas celui de Soffici. C'était celui de cet homme.

Gonzaga tapota assez violemment l'écran du bout du doigt.

- Et comment savez-vous son nom ? demanda Canella en observant le cardinal à la dérobée.

- Son nom ? J'ai vraiment dit son nom ? s'enquit Gonzaga en bégayant.

- Vous avez dit : Frederico Garre, ou quelque chose comme cela.

- Ah oui, je me souviens maintenant. Quelques jours après la parution de cet entrefilet dans la presse, le Messagero a rapporté que l'homme de la fontaine de Trevi avait été identifié et qu'il s'agissait d'un professionnel du crime connu depuis longtemps des services de police, un certain Frederico Garre. Oui, c'est cela.

Keller, le chef de la sécurité, avait écouté en silence les explications de Gonzaga sans en perdre une miette. Ce que Gonzaga disait là était nouveau pour lui. Pourquoi le cardinal ne l'avait-il pas informé de la disparition de son secrétaire ?

- Permettez-vous que je vous montre les autres enregistrements vidéo ? poursuivit-il finalement.

- Il y en a encore ?

- Oui, Éminence, et ces clichés me semblent plutôt énigmatiques. Ils ont été pris sous un autre angle par une autre caméra.

- Qu'est-ce que vous attendez pour nous les montrer ! s'indigna Gonzaga.

En un clic, les deux mêmes hommes apparurent sur l'écran, dans la nef principale de la basilique Saint-Pierre ; ils apparaissaient de biais et vus d'en haut. Leurs visages et leurs mimiques étaient nettement reconnaissables. Ils semblaient lancés dans une conversation animée. Gueule-brûlée ne cessait de jeter des regards autour de lui.

Debout, appuyés sur la table, Gonzaga et Canella suivaient des yeux les enregistrements lorsque le cardinal se figea soudain, comme touché par la foudre.

Canella, qui ne trouvait pas sur l'écran d'explications à ce brusque changement d'attitude, considéra le cardinal d'un œil méfiant. Le regard fixe, Gonzaga suivait la scène qui montrait Gueule-brûlée tirant un sachet de cellophane de sa poche et le mettant sous le nez de l'inconnu qui l'accompagnait.