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L'homme semblait vouloir se saisir du sachet, mais, avant même qu'il ait pu le toucher, Frederico Garre l'avait de nouveau fait disparaître comme par magie dans la poche de sa veste.

Keller arrêta l'enregistrement.

Pour Gonzaga, ce qui s'était déroulé devant ses yeux ne laissait place à aucun doute. Il ne se souvenait que trop bien de ce vol Francfort-Milan, lorsque son voisin l'avait soudain interpellé et lui avait proposé de lui vendre ce même petit paquet de cellophane qui contenait un minuscule morceau du linceul de Jésus de Nazareth. L'homme défiguré savait pertinemment la valeur de ce bout d'étoffe.

Et, depuis, le cardinal avait compris ce que représentait réellement le morceau de tissu.

Mais qui était cet inconnu qui se trouvait en compagnie de Gueule-brûlée ? Un bel homme dans la fleur de l'âge. Il était difficile de se l'imaginer comme un criminel ou comme un membre des Fideles Fidei Flagrantes. Cependant, si aucune de ces hypothèses n'était pertinente, d'où lui venait cet intérêt pour ce morceau d'étoffe ?

- Éminence, qu'est-ce qui vous arrive ? Éminence ?

Gonzaga entendit, comme venant de très loin, la voix pressante du chef de la garde suisse.

- Avez-vous une explication concernant les agissements de ces deux hommes ?

Gonzaga se mit à bredouiller, comme si Keller venait de le surprendre en train d'enfreindre le sixième commandement.

- Notre-Seigneur Jésus n'a-t-il pas lui-même chassé les marchands du temple ? Les trafiquants ne respectent même plus les portes de Saint-Pierre, c'est une honte.

- Vous voulez dire par là que la caméra aurait révélé un trafic d'héroïne, ou quelque chose comme ça ?

- Ce serait bien probable, non ?

Le chef de la sécurité fixait, incrédule, le cardinal secrétaire d'État.

- Cela signifierait alors que ce fléau du diable sévit jusque sous la coupole de Saint-Pierre.

- Une affaire qui relève de la brigade des stupéfiants, déclara Canella laconiquement avant d'ajouter, non sans ironie : Pourquoi la drogue reculerait-elle devant les murs du Vatican ?

C'en était trop pour le cardinal.

- Ceci est une attaque vile contre l'intégrité du Vatican et de l'Église tout entière. Vous ne manquez pas d'audace. Voilà bien la preuve que le diable officie même dans les plus hautes instances de notre État. Tenez-vous-le pour dit : il n'y a pas de drogue au Vatican. Puisse le Très-Haut nous protéger de cette turpitude diabolique !

La voix du cardinal avait pris des accents grinçants. Il jetait des regards insistants en direction du chef de la sécurité, comme pour implorer Beat Keller de lui prêter main-forte.

Mais Keller se taisait.

Au lieu d'intervenir, il appuya sur un bouton pour faire défiler la suite de l'enregistrement.

- Nous voyons ici une autre scène qui présente une nouvelle énigme. Gueule-brûlée montre à l'inconnu trois photos - c'est du moins ce que je pensais dans un premier temps. Après avoir visionné les images plusieurs fois, je suis arrivé à la conclusion qu'il pourrait s'agir de négatifs ou de clichés radiographiques. Là, regardez, l'inconnu superpose les photos et les regarde à contre-jour.

- Vous avez raison, s'exclama Canella tout à son affaire. Si vous cherchez un jour un nouveau job, appelez-moi ! ajouta-t-il en plaisantant.

- D'accord, répondit Keller, très décontracté. Mais ce n'est pas tout. Plus loin, on voit Gueule-brûlée qui montre à son interlocuteur ses dix doigts, comme s'il voulait lui indiquer un chiffre. Et sur le cliché suivant, on voit Gueule-brûlée dans la même pose. Dix secondes exactement séparent les deux clichés.

Gonzaga ne comprenait pas.

- Que voulez-vous dire par là, Keller ?

Le chef de la sécurité fit un arrêt sur image.

- Regardez la trotteuse de vos montres.

Le cardinal et le préfet de police se regardèrent, perplexes. Ils finirent par s'exécuter. Keller écarta les doigts de ses deux mains tout en exécutant dix fois de suite le même mouvement du bras, comme pour demander à une voiture venant en face de lui de ralentir.

- Combien de temps cela a-t-il duré ? demanda Canella, qui se doutait où Keller voulait en venir.

- Dix secondes exactement, répondit ce dernier.

- Exactement ces dix secondes qui séparent les deux clichés. Dix fois le même geste, cela donne cent. Et, maintenant, regardez les lèvres de Gueule-brûlée !

- Il serre les lèvres, comme s'il voulait garder quelque chose pour lui, intervint Gonzaga.

- C'est possible, mais peu probable puisque les deux hommes sont en train de négocier quelque chose.

- Mille ! lança Canella. Cela pourrait correspondre au mouvement des lèvres de ce bonhomme. Si on relie cela aux gestes qu'il fait avec les mains, on peut imaginer que Gueule-brûlée exige de son interlocuteur cent mille...

- ... dollars ? demanda le cardinal secrétaire d'État très agité.

- Dollars ou euros, quelle importance ? commenta Canella. Une somme conséquente, en tout cas. La question se pose de savoir qui est prêt à débourser autant d'argent pour quelque chose, si ce n'est un trafiquant de drogue qui fait dans le gros ?

Keller fit comme s'il n'avait pas remarqué les troubles de coordination de Gonzaga et le tremblement qui s'était emparé de sa main droite. En tant que chef de la sécurité du Vatican, il était payé pour savoir que l'État du Vatican jouissait certes d'un statut particulier, mais qu'il était au demeurant un État comme les autres, avec des bons et des méchants.

Ce n'était pas la première fois que Keller était confronté aux initiatives très personnelles du cardinal secrétaire d'État, et ce n'était pas non plus la première fois que le comportement de Gonzaga le plongeait dans une certaine perplexité. Le cardinal secrétaire d'État était son supérieur hiérarchique direct, juste après le représentant de Dieu sur cette terre.

Le cardinal ne s'abaissait jamais à se préoccuper des viles besognes du service de sécurité. Il était plutôt d'avis que le Seigneur Dieu étendait ses mains protectrices au-dessus des papes.

L'histoire disait tout le contraire. Le poison, le poignard, voire les mains nues avaient plus d'une fois mis un terme au règne d'un pape.

Mais que savait Gonzaga pour se montrer si agité à la vue de ces enregistrements vidéo ?

De son côté, Canella avait lui aussi remarqué l'étrange comportement du cardinal. Il le regarda et lui demanda :

- Monsieur le cardinal, se pourrait-il que vous nous cachiez quelque chose ?

- Ou du moins que vous ayez une idée de ce qui se cache derrière cette scène sur l'écran ? ajouta Keller.

Gonzaga s'essuya le front et essaya de reprendre sa respiration :

- Est-ce un interrogatoire ? martela-t-il, au comble de l'agitation.

- Éminence, pardonnez-nous si c'est l'impression que nous vous donnons, répondit Keller. Mais l'affaire est trop importante, et de plus trop mystérieuse, pour que toute information, même la plus banale, puisse être négligée. Vous savez pertinemment vous-même qu'en ces temps de trouble, on ne peut pas écarter l'éventualité d'un attentat. Je répète donc ma question : avez-vous une idée...

- Non ! hurla Gonzaga. Je ne connais Gueule-brûlée que parce que je l'ai vu à la morgue. Quant à l'autre, je ne l'ai jamais vu. Et maintenant, laissez-moi tranquille !

Le cardinal appuya le bout de ses doigts sur ses tempes et poussa un long soupir. Son visage était écarlate.

- Je craque, je craque ! Je n'en peux plus...

Keller referma son portable, qu'il mit sous son bras. Canella s'inclina.