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— Ce qui vous préoccupe doit se trouver deux jours plus tôt ou plus tard, indiqua Brotons.

Nous parcourûmes donc les journaux de la semaine du décès de l'avocat et trouvâmes effectivement une série d'articles se rapportant à Marlasca. Le premier annonçait que cet avocat distingué était mort dans un accident. M. Basilio le lut à voix haute.

— Cet article a été rédigé par un orang-outang, trancha-t-il. Trois paragraphes redondants qui ne nous apprennent rien, et c'est seulement à la fin qu'il explique que la mort a été accidentelle, mais sans préciser quel genre d'accident.

— J'ai là une information plus intéressante, dit Brotons.

Un article du lendemain expliquait que la police enquêtait sur l'accident pour en déterminer les circonstances avec exactitude. Le plus intéressant était qu'il mentionnait le rapport du médecin légiste indiquant que Marlasca était mort noyé.

— Noyé ? l'interrompit M. Basilio. Comment ? Où ?

— Il ne le précise pas. Il a fallu probablement couper l'article pour donner toute sa place à l'urgente et exhaustive apologie de la sardane qui couvre trois colonnes sous le titre « Au son de la tenora : l'esprit et le rythme », indiqua Brotons.

— Donne-t-il le nom du policier chargé de l'enquête ? demandai-je.

— Il mentionne un dénommé Salvador. Ricardo Salvador.

Nous passâmes en revue les autres articles concernant la mort de Marlasca, mais ils ne contenaient rien d'intéressant. Les textes se régurgitaient mutuellement en répétant le même refrain, toujours trop identique à la version officielle fournie par le cabinet Valera & Associés.

— Tout cela sent nettement l'escamotage, opina Brotons.

Je poussai un soupir, découragé. J'avais espéré trouver davantage que de simples et pieux in memoriam et des articles creux qui n'apportaient aucune lumière sur les faits.

— Est-ce que vous n'aviez pas un bon contact à la préfecture ? s'enquit M. Basilio. Comment s'appelait-il ?

— Víctor Grandes, précisa Brotons.

— Il pourrait peut-être nous mettre en relation avec ce Salvador.

Je toussotai, et les deux compères me dévisagèrent en fronçant les sourcils.

— Pour des raisons qui n'ont rien à voir avec cette affaire – ou trop à voir, au contraire –, je préférerais éviter l'intervention de l'inspecteur Grandes.

Brotons et M. Basilio échangèrent un coup d'œil.

— D'accord. D'autres noms à rayer de la liste ?

— Marcos et Castelo.

— Je constate que vous n'avez rien perdu de votre talent pour vous faire des amis ! s'écria M. Basilio.

Brotons se frotta le menton.

— Pas de panique. Je crois que l'on doit pouvoir trouver un autre moyen sans attirer les soupçons.

— Si vous me dégotez Salvador, je suis prêt à vous sacrifier ce que vous voudrez, même un cochon.

— Avec ma goutte, j'ai dû renoncer au lard, mais je ne cracherais pas sur un bon havane, convint Brotons.

— Deux, ajouta M. Basilio.

Pendant que je courais vers un bureau de tabac de la rue Tallers pour y acheter les deux cigares les plus suaves et les plus chers de l'établissement, Brotons effectua quelques appels discrets à la préfecture et confirma que Salvador avait quitté la police ou, plus précisément, qu'il y avait été contraint, et qu'il exerçait à présent le métier de garde du corps pour industriels ou d'enquêteur privé pour divers cabinets d'avocats de la ville. Quand je revins à la rédaction pour remettre lesdits cigares à mes bienfaiteurs, le chef des archives me tendit une note :

Ricardo Salvador

rue de la Lleona, 21, dernier étage

— Je vous dois une fière chandelle, dis-je.

— Puisse-t-elle vous éclairer !

29.

La rue de la Lleona, plus connue chez les habitants du quartier comme celle dels Tres Llits, la rue des Trois-Lits, en l'honneur du célèbre bordel qu'elle abritait, était une ruelle aussi ténébreuse que sa réputation. Elle partait du côté à l'ombre des arcades de la Plaza Real et se faufilait dans un étroit intervalle, humide et rebelle à la lumière du jour, entre de vieux immeubles entassés les uns sur les autres et reliés par une perpétuelle toile d'araignée de fils où séchait la lessive. Leurs façades décrépites se décomposaient pour tourner à l'ocre et les dalles qui couvraient le sol avaient été baignées de sang durant les années où y régnaient les pistoleros. Je l'avais plus d'une fois utilisée comme décor dans les histoires de La Ville des maudits et maintenant encore, déserte et oubliée, elle continuait pour moi à sentir les intrigues et la poudre. Ce lieu lugubre semblait indiquer que la mise à la retraite forcée du commissaire Salvador n'avait pas été généreuse.

Le numéro 21 était un modeste immeuble pris en tenaille entre deux autres. Le porche était ouvert et n'était qu'un puits d'ombre d'où partait un escalier étroit et abrupt en colimaçon. Le sol était couvert de flaques, et un liquide noir et visqueux filtrait entre les interstices du carrelage. Je gravis l'escalier cahin-caha, sans lâcher la rampe, mais sans trop m'y fier. Il n'y avait qu'une porte par palier et, à en juger par l'aspect des lieux, aucun appartement ne devait dépasser les quarante mètres carrés. Une petite tabatière couronnait la cage de l'escalier et répandait une faible lumière sur les paliers du haut. La porte du dernier étage était au fond d'un bref couloir. Je fus surpris de la trouver entrouverte. Je frappai, sans obtenir de réponse. La porte donnait accès à une pièce exiguë contenant un fauteuil, une table et une étagère chargée de livres et de boîtes en fer-blanc. Une manière de cuisine et de buanderie occupait la pièce voisine. Le seul agrément de cette cellule était une terrasse donnant sur les toits. La porte de la terrasse était également ouverte et laissait filtrer un courant d'air frais qui charriait les odeurs de graillon et de lessive des toits de la vieille ville.

— Il y a quelqu'un ? appelai-je de nouveau.

Ne recevant toujours pas de réponse, je me dirigeai vers la terrasse. La jungle de toits, de tours, de citernes, de paratonnerres et de cheminées proliférait de tous côtés. Je n'avais pas fait un pas à l'air libre que je sentis un tube de métal glacé se poser sur ma nuque et entendis le claquement bref d'un revolver que l'on armait. Mon réflexe immédiat fut de lever les mains et de ne plus bouger un cil.

— Mon nom est David Martín. J'ai eu votre adresse à la préfecture. Je voulais vous rencontrer à propos d'une affaire sur laquelle vous avez enquêté au cours de vos années de service.

— Est-ce que c'est votre habitude d'entrer chez les gens sans frapper, monsieur David Martín ?

— La porte était ouverte. J'ai appelé, mais vous n'avez pas dû m'entendre. Est-ce que je peux baisser les mains ?

— Je ne vous ai pas dit de les lever. Quelle affaire ?

— La mort de Diego Marlasca. Je suis le locataire de la maison qui a été sa dernière résidence. La maison de la tour, rue Flassaders.

La voix resta silencieuse. La pression du revolver ne s'était pas relâchée.

— Monsieur Salvador ?

— Je suis en train de me demander si ça ne vaudrait pas mieux de vous faire tout de suite sauter la cervelle.

— Vous ne voulez pas écouter mon histoire avant ?

Salvador écarta légèrement le pistolet. J'entendis qu'il désarmait le percuteur et me retournai lentement. Ricardo Salvador avait un aspect imposant et sombre, des cheveux gris et des yeux bleu clair pénétrants comme des aiguilles. J'estimai qu'il frisait la cinquantaine, mais les ans ne devaient pas l'empêcher de donner du fil à retordre aux hommes de la moitié de son âge assez téméraires pour se mettre en travers de sa route. J'avais la gorge sèche. Il baissa son arme et me tourna le dos pour rentrer dans l'appartement.