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— Vous ne croyez tout de même pas que j'ai la moindre responsabilité dans la mort de cet homme ?

— Non, Martín. Je ne le crois pas. Ce que je crois, c'est que vous ne me dites pas la vérité et que la mort de ce malheureux est liée, d'une manière ou d'une autre, à votre visite. Comme celle de Barrido et Escobillas.

— Qu'est-ce qui vous le fait penser ?

— Appelez cela une intuition.

— Je vous ai dit ce que je savais.

— Et moi je vous ai prévenu de ne pas me prendre pour un imbécile, Martín. Marcos et Castelo sont de l'autre côté de la porte, attendant l'occasion d'avoir une conversation avec vous en tête à tête. C'est ce que vous voulez ?

— Non.

— Alors aidez-moi à vous sortir de là et à vous renvoyer chez vous avant que vos draps ne refroidissent.

— Qu'est-ce que vous voulez entendre ?

— La vérité, par exemple.

Je repoussai la chaise et me levai, exaspéré. Le froid me perçait les os et j'avais l'impression que ma tête allait exploser. Je me mis à tourner autour de la table en jetant mes paroles à l'inspecteur comme si c'étaient des pierres.

— La vérité ? je vais vous la dire, la vérité. La vérité, c'est que je ne sais pas quelle est la vérité. Je ne sais pas quoi vous raconter. Je ne sais pas pourquoi je suis allé voir Roures ni Salvador. Je ne sais pas ce que je cherche ni ce qui m'arrive. Voilà la vérité.

Stoïque, Grandes m'observait.

— Arrêtez de tourner en rond et rasseyez-vous. Vous me donnez le mal de mer.

— Je n'en ai pas envie.

— Martín, ce que vous me racontez ou rien, c'est du pareil au même. Je vous demande seulement de m'aider pour que je puisse vous aider, moi aussi.

— Même si vous le vouliez, vous ne pourriez pas m'aider.

— Qui le peut, alors ?

Je me laissai retomber sur ma chaise.

— Je ne sais pas…, murmurai-je.

Il me sembla voir un soupçon de commisération dans les yeux de l'inspecteur, mais peut-être était-ce seulement de la fatigue.

— Bien, Martín. Reprenons tout de zéro. À votre manière. Racontez-moi une histoire. Commencez par le début.

Je l'observai en silence.

— Martín, ne croyez pas que ma sympathie pour vous m'empêchera de faire mon travail.

— Faites ce que vous avez à faire. Appelez Hansel et Gretel, si ça vous chante.

À cet instant, je lus comme une pointe d'inquiétude sur ses traits. Des pas approchaient dans le couloir et je me rendis compte que l'inspecteur n'attendait pas de visiteur. On entendit un échange de paroles et Grandes, nerveux, alla à la porte. Il frappa trois coups et Marcos, qui la gardait, ouvrit. Un homme vêtu d'un manteau en poil de chameau et d'un costume trois pièces entra dans la cellule, regarda autour de lui d'un air dégoûté, puis m'adressa un sourire d'une infinie douceur tout en retirant lentement ses gants. Je l'observai, stupéfait de reconnaître Me Valera.

— Vous vous sentez bien, monsieur Martín ? s'enquit-il.

J'acquiesçai. L'avocat emmena l'inspecteur dans un coin. Je les entendis chuchoter. Grandes gesticulait avec une fureur contenue. Valera le dévisageait froidement et faisait non de la tête. La conversation dura presque une minute. Finalement, Grandes poussa un grand soupir et parut s'avouer vaincu.

— Prenez votre écharpe, monsieur Martín, nous partons d'ici, m'annonça Valera. L'inspecteur n'a plus de questions à vous poser.

Dans son dos, Grandes se mordit les lèvres en foudroyant du regard Marcos, qui haussa les épaules. Valera, sans rien perdre de sa courtoisie professionnelle, me prit par le bras et m'extirpa de ce cul-de-basse-fosse.

— J'espère que ces agents vous ont traité correctement, monsieur Martín.

— Oui, réussis-je à balbutier.

— Un moment ! lança Grandes derrière nous.

Valera s'arrêta et, m'indiquant par geste de me taire, se retourna.

— Si vous avez des questions à poser à M. Martín, vous pouvez vous adresser à notre cabinet où nous nous ferons un plaisir de vous recevoir. Pour l'heure, et à moins que vous ne disposiez de quelque raison majeure pour retenir M. Martín dans ces locaux, nous vous quittons en vous souhaitant une bonne nuit et en vous remerciant pour votre amabilité, que je ne manquerai pas de mentionner à vos supérieurs, et particulièrement à l'inspecteur en chef Salgado, qui, comme vous le savez, est un de mes grands amis.

Le sergent Marcos fit mine de marcher sur nous, mais l'inspecteur le retint. J'échangeai un dernier regard avec lui avant que Valera ne me prenne de nouveau le bras et ne m'entraîne.

— Ne vous arrêtez pas, munnura-t-il.

Nous parcourûmes un long couloir flanqué de lumières agonisantes jusqu'à un escalier qui nous conduisit dans un nouveau couloir pour arriver enfin à une petite petite porte donnant sur le vestibule du rez-de-chaussée et sur la sortie, où nous attendaient une Mercedes-Benz, moteur en marche, et un chauffeur qui, dès qu'il vit Valera, nous ouvrit la portière. Je montai et m'installai à l'intérieur. L'automobile disposait d'un chauffage et la température des sièges en cuir était réconfortante. Valera s'assit près de moi et frappa sur la vitre qui nous séparait du chauffeur pour lui indiquer de démarrer. Quand la voiture se fut engagée sur la voie centrale de la rue Layetana, il me sourit comme si de rien n'était et fit un geste vers la brume qui s'écartait sur notre passage comme des broussailles.

— Une nuit agitée, n'est-ce pas ? observa-t-il d'un air détaché.

— Où allons-nous ?

— Chez vous, naturellement. À moins que vous ne préfériez un hôtel, ou…

— Non. C'est parfait.

La voiture descendait lentement la rue Layetana. Valera regardait distraitement défiler les rues désertes.

— Pourquoi êtes-vous là ? lui demandai-je finalement.

— Que vous en semble ? Je suis là pour vous représenter et veiller à vos intérêts.

— Dites au chauffeur de stopper.

Le chauffeur chercha le regard de Valera dans le rétroviseur. Valera lui fit signe de continuer.

— Ne dites pas de bêtises, monsieur Martín. Il est tard, il fait froid, et je vous ramène chez vous.

— Je préfère marcher.

— Soyez raisonnable.

— Qui vous a envoyé ?

Valera soupira et se frotta les yeux.

— Vous avez de bons amis, monsieur Martín. C'est important, dans la vie, d'avoir de bons amis et, surtout, de savoir les conserver. Aussi important que de savoir reconnaître à temps son erreur quand on a pris le mauvais chemin.

— Ce chemin ne serait-il pas celui qui passe par la Casa Marlasca, au 13 de la route de Vallvidrera ?

Valera eut un sourire patient, comme s'il grondait affectueusement un enfant dissipé.

— Monsieur Martín, croyez-moi quand je vous assure que plus vous vous tiendrez loin de cette maison et de cette affaire, mieux ce sera pour vous. Acceptez ma présence, ne serait-ce que pour ce conseil.

Le chauffeur tourna dans le Paseo de Colón et alla chercher l'entrée du Paseo del Born par la rue Comercio. Les chariots de viande et de poisson, de glace et de denrées diverses commençaient à se presser devant la grande enceinte du marché. Sur notre passage, quatre garçons bouchers déchargeaient la carcasse d'un veau écartelé qui laissait une traînée de sang et de vapeur dont on pouvait sentir l'odeur.

— Vous habitez un quartier plein de charme et de scènes pittoresques, monsieur Martín.

Le chauffeur s'arrêta au bas de la rue Flassaders et quitta son siège pour nous ouvrir la portière. L'avocat descendit avec moi.

— Je vous accompagne jusqu'au portail.

— On va nous prendre pour des fiancés.

Nous pénétrâmes dans l'étroite ruelle obscure menant à ma maison. En arrivant devant, l'avocat me tendit la main, toujours avec la même politesse professionnelle.

— Merci de m'avoir tiré de là.

— Ce n'est pas moi qu'il faut remercier, répondit Valera, en sortant une enveloppe de la poche intérieure de son manteau.