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Il parlait bien, Monseigneur de Trye, avec une belle éloquence de sermon. Les pairs et barons ici conviés allaient avoir à décider de l’attribution du pouvoir temporel dans le royaume de France, d’abord pour l’exercice de la régence et ensuite, car sagesse veut de prévoir, pour l’exercice de la royauté même, dans le cas où la très noble dame la reine faillirait à donner un fils.

Le meilleur d’entre les égaux, primus inter pares, tel était celui qu’il convenait de désigner, et le plus proche aussi de la couronne, par le sang. N’était-ce pas de comparables circonstances qui avaient conduit autrefois les pairs-barons et les pairs-évêques à remettre le sceptre au plus sage et au plus fort d’entre eux, le duc de France et comte de Paris, Hugues Capet, fondateur de la glorieuse dynastie?

— Notre défunt suzerain, pour ce jour encore auprès de nous, continua l’archevêque en inclinant légèrement sa mitre vers le lit, a voulu nous éclairer en recommandant à notre choix, par testament, son plus proche cousin, prince très chrétien et très vaillant, digne en tout de nous gouverner et conduire, Monseigneur Philippe, comte de Valois, d’Anjou et du Maine.

Le prince très vaillant et très chrétien, les oreilles bourdonnantes d’émotion, ne savait quelle attitude prendre. Baisser son grand nez d’un air modeste, c’eût été montrer qu’il doutait de lui-même et de son droit à régner. Se redresser d’un air arrogant et orgueilleux eût pu indisposer les pairs. Il choisit de demeurer figé, les traits immobiles, le regard fixé sur les bottes dorées du cadavre.

— Que chacun se recueille en sa conscience, acheva l’archevêque de Reims, et exprime son conseil pour le bien de tous.

Monseigneur Adam Orleton était déjà debout.

— Ma conscience est recueillie, dit-il. Je viens ici porter parole pour le roi d’Angleterre, duc de Guyenne.

Il avait l’expérience de ce genre d’assemblées où tout est préparé en sous-main et où chacun pourtant hésite à faire la première intervention. Il se hâtait de prendre cet avantage.

— Au nom de mon maître, poursuivit-il, j’ai à déclarer que la plus proche parente du feu roi Charles de France est la reine Isabelle, sa sœur, et que la régence, de ce fait, doit à elle revenir.

À l’exception de Robert d’Artois qui s’attendait bien à quelque coup de cette sorte, les assistants marquèrent un temps de stupéfaction. Nul n’avait songé à la reine Isabelle durant les tractations préliminaires, nul n’avait envisagé une minute qu’elle pût émettre la moindre prétention. On l’avait oubliée, tout bonnement. Et voilà qu’elle surgissait de ses brumes nordiques, par la voix d’un petit évêque en bonnet fourré. Avait-elle vraiment des droits? On s’interrogeait du regard, on se consultait. Oui, de toute évidence, et si l’on s’en tenait aux strictes considérations de lignage, elle possédait des droits; mais il semblait dément qu’elle en voulût faire usage.

Cinq minutes plus tard, le Conseil était en pleine confusion. Tout le monde parlait à la fois et le ton des voix montait, sans égard pour la présence du mort.

Le roi d’Angleterre, duc de Guyenne, en la personne de son ambassadeur, avait-il oublié que les femmes ne pouvaient régner en France, selon la coutume deux fois confirmée par les pairs dans les récentes années?

— N’est-ce point vrai, ma tante? lança méchamment Robert d’Artois, rappelant à Mahaut le temps où ils s’étaient si fort opposés sur cette loi de succession établie pour favoriser Philippe le Long, gendre de la comtesse.

Non, Monseigneur Orleton n’avait rien oublié; particulièrement, il n’avait pas oublié que le duc de Guyenne ne se trouvait ni présent ni représenté — sans doute parce qu’à dessein averti trop tard — aux réunions des pairs où s’était décidée très arbitrairement l’extension de la loi dite salique au droit royal, laquelle extension, par voie de conséquence, le duc n’avait jamais ratifiée.

Orleton ne possédait pas la belle éloquence onctueuse de Monseigneur Guillaume de Trye; il parlait un français un peu rocailleux avec des tournures archaïques qui pouvaient prêter à sourire. Mais en revanche, il avait une grande habileté à la controverse juridique, et ses réponses venaient vite.

Messire Miles de Noyers, conseiller de quatre règnes et le principal rédacteur, sinon même l’inventeur, de la loi salique, lui porta la réplique.

Puisque le roi Édouard II avait rendu l’hommage au roi Philippe le Long, on devait admettre qu’il avait reconnu celui-ci pour légitime et ratifié implicitement le règlement de succession.

Orleton ne l’entendait pas de cette oreille. Que nenni, messire! En rendant l’hommage, Édouard II avait confirmé seulement que le duché guyennais était vassal de la couronne de France, ce que personne ne songeait à nier, encore que les limites de cette vassalité restassent, depuis cent et des ans, à préciser. Mais l’hommage ne valait point pour la loi du trône. Et d’abord, de quoi disputait-on, de la régence ou de la couronne?

— Des deux, des deux ensemble, intervint l’évêque Jean de Marigny. Car justement l’a dit Monseigneur de Trye: sagesse veut de prévoir; et nous ne devons point nous exposer dans deux mois à affronter le même débat.

Mahaut d’Artois cherchait son souffle. Ah! qu’elle était fâchée du malaise qu’elle éprouvait, et de ce bruissement dans la tête qui l’empêchait de penser clairement. Rien ne lui convenait de tout ce qu’on disait. Elle était hostile à Philippe de Valois parce que soutenir Valois c’était soutenir Robert; elle était hostile à Isabelle par vieille haine, parce que Isabelle, autrefois, avait dénoncé ses filles. Elle intervint, avec une mesure de retard.

— Si la couronne à femme pouvait aller, ce ne serait point à votre reine, messire évêque, mais à nulle autre qu’à Madame Jeanne la Petite, et la régence à exercer devrait l’être par son époux que voici, Monseigneur d’Évreux, ou son oncle qui est à mon côté, le duc Eudes.

Quelque flottement fut perceptible du côté du duc de Bourgogne, du comte de Flandre, des évêques de Laon et de Noyon, et jusque dans l’attitude du jeune comte d’Évreux.

On eût dit que la couronne était en suspens entre sol et voûte, incertaine du point de sa chute, et que plusieurs têtes se tendaient.

Philippe de Valois avait depuis longtemps abandonné sa noble immobilité et s’adressait par signes à son cousin d’Artois. Celui-ci se leva.

— Allons! s’écria-t-il, il paraît qu’en ce jour chacun s’empresse à se renier. Je vois Madame Mahaut, ma bien-aimée tante, toute prête à reconnaître à Madame de Navarre…

Et il appuya sur le mot «Navarre» en regardant Philippe d’Évreux pour lui rappeler leur accord.

— … les droits précisément qu’elle lui contesta naguère. Je vois le noble évêque d’Angleterre se réclamer des actes d’un roi qu’il s’est occupé à déchasser du trône pour faiblesse, incurie et trahison… Voyons, messire Orleton! On ne peut refaire une loi à chaque occasion de l’appliquer, et au gré de chaque partie. Une fois elle sert l’un, une fois elle sert l’autre. Nous aimons et respectons Madame Isabelle, notre parente, que nous sommes quelques-uns ici à avoir aidée et servie. Mais sa requête, pour laquelle vous avez bien plaidé, semble irrecevable. N’est-ce point votre conseil, Messeigneurs? acheva-t-il en prenant les pairs à témoins.

Des approbations nombreuses lui répondirent, les plus chaleureuses venant du duc de Bourbon, du comte de Blois, des pairs-évêques de Reims et de Beauvais.

Mais Orleton n’avait pas usé toutes ses lames. Si même on admettait, pour ne point revenir sur une loi appliquée, que les femmes ne pussent régner en France, alors ce n’était pas au nom de la reine Isabelle, mais au nom de son fils, le roi Édouard III, seul descendant mâle de la lignée directe, qu’il élevait sa réclamation.