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Bernard Werber

Le Livre du Voyage

Bonjour.

Je me présente

Je suis un livre et je suis vivant.

Je m'appelle «Le Livre du Voyage».

Je peux, si vous le souhaitez, vous guider pour le plus léger, le plus intime, le plus simple des voyages.

Hum…

Puisque nous allons vivre quelque chose de fort ensemble, permets-moi tout d'abord de te tutoyer.

Bonjour, lecteur. Tu me vois. Je te vois aussi.

Tu as un visage lisse aux yeux humides. Et moi je te présente ces pages de papier recouvertes de petits caractères qui forment ma figure pâle.

Notre contact s'est aussi établi au niveau de la couverture.

Je sens tes doigts contre mon dos, tes pouces contre mes deux tranches. Ça me chatouille un peu, d'ailleurs. Il est temps de pousser plus loin les présentations.

Je m'appelle «Le Livre du Voyage», mais tu peux aussi m'appeler:

«Ton livre.»

Renonce à me mettre une étiquette et prends-moi tel que je suis.

Un livre de voyage.

La particularité de ce voyage, c'est que tu en es le héros principal.

Tu l'as déjà été.

Mais c'était jusque-là, comment dire, plus… indirect.

On ne te l'avait pas signalé mais:

Jonathan Livingstone du roman de Richard Bach c'était déjà toi.

De même que le Petit Prince de Saint-Exupéry, l'homme qui voulut être roi de Kipling, le prophète de Khalil Gibran, le messie de Dune et Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll.

Ces héros étaient, encore et toujours, toi. Mais ce n'était pas ouvertement exprimé. Moi, «Le Livre du Voyage», je n'ai pas cette pudeur ou cette délicatesse.

Au risque de te choquer, je ne te donnerai qu'un nom:

«Toi.»

Car toi seul accomplis quelque chose ici et maintenant:

la lecture.

Et puis, tu es aussi le maître de ce voyage, mon maître.

Durant cet envol, moi, je ne serai là que pour te servir et être ton petit guide d'encre et de papier.

Dans mes pages, tu ne trouveras pas toutes les métaphores habituelles, ni les personnages que tu rencontres dans les romans ordinaires.

Tu ne pourras pas te prendre pour le chef des pirates, le roi des marécages, le maître des lutins, le magicien de la forêt, le banni de retour, le savant incompris, le détective alcoolique, le musicien génial, le mercenaire solitaire.

Tu ne pourras pas te prendre non plus pour la princesse charmante, la mère courageuse, l'infirmière espionne, la reine des fantômes, la déesse manipulatrice, l'étudiante fleur bleue, la femme vampire, la prostituée au grand cœur, l'actrice déchue, la sorcière géniale ou l'ethnologue solitaire.

Tu ne pourras te prendre que pour toi-même.

Désolé.

Je crois qu'un bon livre est un miroir où tu te retrouves.

Dans mes pages, tu ne rencontreras pas non plus de ces somptueux méchants qu'on rêve de voir décapiter à la fin, tripes fumantes à l'air, en expiation de leurs crimes ignobles. Pas de traître inattendu.

Pas d'amis décevants.

Pas de tortionnaire sadique.

Il n'y aura pas de vengeance spectaculaire, ni de coups de théâtre inattendus, aucun innocent à libérer, aucune cause désespérée à défendre devant des jurés sceptiques, pas d'assassin à découvrir parmi une liste de suspects, aucun trésor enfoui à déterrer avant que la bombe à retardement branchée sur la minuterie du four à micro-ondes ne se déclenche.

Il faudra que tu t'y fasses.

Il n'y aura pas de ces drames d'amour poi gnants, qui finissent bien ou mal selon les humeurs personnelles de l'auteur et ses démêlés avec sa dernière muse.

Il n'y aura pas non plus de ces longues phrases tarabiscotées qui sont très décoratives mais dont on ne démêle pas très bien le sens.

Des petites phrases courtes te transmettront l'information telle quelle.

Comme ça.

Ou ça.

Je peux même faire encore plus court, tiens: Ça.

Et chaque fois on reviendra à la ligne.

Lis-moi comme un conte.

C'est ainsi que je serai le plus caressant à tes pupilles.

Certes, je sais que je ne suis qu'un objet.

Pourtant, il ne faut pas que tu me sous-estimes.

Parfois les objets peuvent venir en aide aux êtres dotés de conscience.

Parfois les objets sont vivants.

Je suis ton livre ET je suis vivant.

Je ne suis formé que de fines tranches de cellulose provenant des forêts norvégiennes.

Ces mots ne sont que des signes tracés à l'encre de Chine extraite de quelques pieuvres asiatiques malchanceuses.

Cependant, la manière dont ils sont agencés pour former des phrases et la manière dont ces phrases peuvent chanter à tes oreilles sont capables, non seulement de changer ta perception de cet instant, mais de te changer toi et donc de changer le monde.

À partir de maintenant je te propose de me percevoir non plus comme un long déroulement de mots et de virgules, mais comme une voix.

Écoute la voix du livre.

Écoute ma voix.

Bonjour.

Selon ta manière de m'appréhender, je peux être rien.

Juste un morceau de carton et de papier pratique pour caler les armoires.

Je peux être beaucoup si tu le désires.

Quelque chose que tu pourras consulter sans cesse où que tu sois.

Quelque chose qui ne te laissera jamais ni seul ni sans sortie de secours.

Un ami de papier.

A toi de choisir ce que tu feras de moi.

Si j'ai un conseil à te donner: profite, abuse de moi.

Mon seul souhait est de te faire du bien.

Mais si tu n'es pas capable de recevoir mes bienfaits,

ne t'inquiète pas,

même si tu ne m'accordes aucune importance,

même si tu me déchires, me brûles, me noies,

même si tu m'oublies dans une bibliothèque,

je suis doué d'ubiquité; ailleurs, quelqu'un saura m'apprécier et profiter de mes largesses.

Le fait de m'avoir acheté te donne, certes, des droits.

Le fait d'exister auprès de milliers d'autres gens, sans limites d'espace et de temps, me donne des pouvoirs que tu ne peux même pas mesurer.

Je suis ton compagnon, humble et hyper-puissant.

Veux-tu du grand voyage dont je t'ai parlé?

Ton contrat

Si tu veux continuer avec moi, il va nous falloir passer un contrat.

Tu attends de moi que je te fasse rêver.

J'attends de toi que tu te laisses complètement aller et que tu abandonnes un moment tes soucis quotidiens.

Si tu n'es pas prêt, mieux vaut nous séparer tout de suite.

Si tu te sens mûr pour sceller ce contrat, il va falloir que tu accomplisses un geste.

Un tout petit geste de rien du tout mais qui pour moi aura valeur d'engagement.

Tu tourneras la page quand tu auras lu la phrase: Alors… tu y vas?

Si tu accomplis cet acte, je considère le contrat signé.

Ne t'engage que si tu souhaites

très fort qu'il se produise

quelque chose entre nous.

Ce qui arrivera ensuite ne dépend que de toi.

Je vais te suggérer une odyssée, mais toi seul pourras lui permettre d'exister.

C'est ta volonté de te faire plaisir qui en sera le moteur.

C'est ton imagination qui bâtira les décors suggérés par mes mots.

C'est ta capacité à comprendre les autres

qui tissera la psychologie des personnages.

Je ne suis qu'un assistant.

Un infime guide au voyage.

Si tu tournes la page, on tente l'expérience ensemble.

Alors… tu y vas?

Merci de ta confiance. Bien.

Il faut tout d'abord te préparer au voyage. Nul besoin de valise, de passeport, de lunettes de soleil, de crème solaire, de maillots, mais comme pour décoller en avion il va te falloir choisir: une piste dégagée, et un instant propice.

Ton lieu de décollage

Le lieu où tu vas me lire sera un lieu de quiétude.

Il faut que cet endroit soit rempli de bonnes ondes.