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Car les choses que j’ai chaque jour à te dire Sont de celles, vois-tu, que l’on ne se dit pas Sans la voix, les regards, les gestes, les sourires…

— Essaye un peu de sourire, raillai-je.

— Je peux rire ! dit la machine.

Elle répéta son rire obscène.

— En tout cas, dis-je furieux, tu pourrais cesser de sortir du Géraldy comme un perroquet.

— Je ne sors rien du tout comme un perroquet ! dit la machine. La preuve, c’est que je peux te traiter d’andouille, de veau, de cruche, d’abruti, de cloche, de noix, de déchet, de crabe, de ballot, de dingue…

— Ah ! ça suffit ! protestai-je.

— Mais si je plagie Géraldy, continua la machine, c’est parce qu’on ne peut pas mieux parler d’amour et aussi parce que ça me plaît. Quand tu pourras dire aux femmes des choses comme en disait ce type-là, tu me le feras savoir. Et puis fiche-moi la paix. C’est à Florence que je m’adresse.

— Sois gentille, dit Florence à l’appareil. Moi, j’aime les gens gentils.

— Tu peux me dire « Sois gentil », observa la machine. Je me sens plutôt mâle. Et puis tais-toi, tiens,

Laisse-moi dégrafer ton corsage Les choses que tu veux me dire, ma petite, Je les sais d’avance. Allons, viens ! Déshabille-toi. Viens vite. Prenons-nous. Le meilleur moyen De s’expliquer sans être dupe C’est de s’étreindre, corps à corps. Ne boude pas, défais ta jupe. Nos corps, eux, seront d’accord.

— Ah ! vas-tu te taire, protestai-je, scandalisé.

— Bob ! dit Florence. C’était ça que vous lisiez ? Oh !…

— Je vais couper le contact, dis-je. Je ne peux pas supporter de l’entendre vous parler comme ça. Il y a des choses qu’on lit mais qu’on ne dit pas.

La machine se taisait. Et puis un grognement sortit de sa gorge.

— Touche pas à mon contact !

Je m’approchai délibérément. Et sans un mot de provocation, la machine se rua sur moi. Je me jetai de côté au dernier moment mais le cadre d’acier me heurta violemment l’épaule. Sa voix ignoble reprit :

— Alors, t’es amoureux de Florence, hein ?

Je m’étais abrité derrière le bureau d’acier, et je me frottais l’épaule.

— Filez, Florence, dis-je. Sortez. Ne restez pas là.

— Bob ! Je ne veux pas vous laisser seul… Elle… Il va vous blesser.

– Ça va, ça va, dis-je. Sortez vite.

— Elle sortira si je veux ! dit la machine.

Elle amorça un mouvement vers Florence.

— Filez, Florence, répétai-je. Dépêchez-vous.

— J’ai peur, Bob, dit Florence.

En deux sauts, elle vint me rejoindre derrière le bureau.

— Je veux rester avec vous.

— Je ne te ferai pas de mal, à toi, dit la machine. C’est le barbu qui va trinquer. Ah, tu es jaloux ! Ah tu veux me retirer mon contact !

— Je ne veux pas de vous ! dit Florence. Vous me dégoûtez.

La machine reculait lentement, prenant son élan. Soudain, elle fonça sur moi de toute la force de ses moteurs. Florence hurla.

— Bob ! Bob ! J’ai peur !…

Je l’attirai vers moi en même temps que je m’asseyais prestement sur le bureau. La machine le heurta de champ et il glissa jusqu’au mur qu’il rencontra avec une force irrésistible. La pièce trembla et un morceau de gravats s’abattit du plafond. Si nous étions restés entre le mur et le bureau nous aurions été coupés en deux.

— Une veine, marmottai-je, que je n’aie pas monté des effecteurs plus puissants. Restez là.

J’assis Florence sur le bureau. Elle était à peu près hors d’atteinte. Je me mis debout.

— Bob, qu’allez-vous faire ?

— Je n’ai pas besoin de le dire à voix haute, répondis-je.

– Ça va, dit la machine. Essaie toujours de me l’enlever, mon contact.

Je la vis reculer et j’attendis.

— Tu te dégonfles ! raillai-je.

La machine poussa un grognement furieux.

— Ah oui ? Tu vas voir.

Elle se rua sur le bureau. C’est ce que j’espérais. Au moment où elle l’atteignit, tentant de l’aplatir pour parvenir jusqu’à moi, je bondis et la coiffai. De la main gauche, je m’accrochai aux câbles d’alimentation qui saillaient au sommet, tandis que de l’autre je m’efforçais d’atteindre la manette de contact. Je reçus un choc violent sur le crâne ; la machine, retournant contre moi le levier du lectiscope s’efforçait de m’assommer. Je gémis de douleur et tordis brutalement le levier. La machine hurla. Mais avant que j’aie eu le temps d’assurer ma prise, elle se mit à se secouer comme un cheval enragé et je jaillis du sommet comme une balle. Je m’effondrai sur le sol. Je sentis une violente douleur à la jambe et je vis, dans un brouillard, la machine reculer pour m’achever. Et puis ce fut le noir.

Quand je repris conscience, j’étais allongé, les yeux fermés, la tête sur les genoux de Florence. J’éprouvais un ensemble de sensations complexes ; ma jambe me faisait mal mais quelque chose de très doux se pressait contre mes lèvres et je ressentais une émotion extraordinaire. En ouvrant les yeux, je vis ceux de Florence, à deux centimètres des miens. Elle m’embrassait. Je m’évanouis une seconde fois. Cette fois, elle me gifla et je revins à moi tout de suite.

— Vous m’avez sauvé, Florence…

— Bob, me dit-elle, voulez-vous m’épouser ?

— Ce n’était pas à moi de vous le proposer, Florence chérie, répondis-je en rougissant, mais j’accepte avec joie.

— J’ai réussi à rompre le contact, dit-elle. Personne ne nous entendra plus. Bob… maintenant, est-ce que vous voudriez… je n’ose pas vous le demander…

Elle avait perdu son assurance. La lampe, au plafond du laboratoire, me faisait mal aux yeux.

— Florence, mon ange, parlez…

— Bob… récitez-moi du Géraldy…

Je sentis mon sang circuler plus vite. Je pris sa jolie tête rasée entre mes mains et je cherchai ses lèvres avec audace.

— Baisse un peu l’abat-jour…, murmurai-je.