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« Je n'aime pas ces gens-là, dit-il, ni leur pays.

– Tu es pourtant leur proche voisin depuis ta naissance.

– On peut vivre au bord de la mer sans pour autant aimer les requins. »

Rob, au contraire, trouvait belle cette région ; l'air était frais et tonique ; en bas dans une vallée, on faisait les foins. Plus loin, dans les hauts pâturages, des enfants gardaient des vaches et des chèvres montées des fermes pour l'été. D'un chemin escarpé, ils aperçurent un grand château de pierre grise. Deux cavaliers s'y exerçaient à la lance mouchetée.

« C'est le repaire du terrible comte Sigdorff. Quand il était jeune, ayant capturé deux cents prisonniers dans une expédition contre Bamberg, il fit couper la main droite à cent d'entre eux et la main gauche aux cent autres. »

Ils s'éloignèrent au petit galop. Vers midi, ils quittèrent la route romaine pour aller donner un spectacle au prochain village, mais au détour d'un chemin un homme gras et chauve, monté sur un cheval décharné, leur barra le passage en marmonnant quelque chose.

« Il demande si on a de l'alcool, traduisit Charbonneau.

– Dis-lui que non.

– C'est qu'il n'est pas seul, ce fils de pute », reprit le Français sans baisser la voix.

Deux individus émergeaient des bois : un jeune sur une mule, qui avait tout l'air d'être le fils du gros, et un petit homme aux yeux cruels, à qui il manquait l'oreille gauche : avec sa lourde monture, un vrai cheval de labour, ce troisième personnage prit position derrière la charrette pour couper retraite aux voyageurs. Le chauve se mit à brailler.

« Il dit que tu dois descendre et te déshabiller, expliqua Charbonneau, parce qu'ils vont te tuer. Comme les vêtements ça vaut cher, ils ne veulent pas les salir avec le sang. »

Puis sortant brusquement un couteau, le Français le lança d'une main sûre et rapide : le jeune bandit le reçut en pleine poitrine. Le gros avait à peine eu le temps d'accuser le coup que Rob sautait sur le large dos de Cheval, prenait son élan et jetait le bandit à bas de sa selle. Ils roulèrent à terre, chacun cherchant désespérément une prise, enfin, le barbier, qui cette fois se battait à jeun, réussit à coincer le menton de l'adversaire et s'efforça de l'étrangler pendant que l'autre le bourrait de coups de poing.

« Tue-le », se dit Rob en poussant de toutes ses forces pour lui renverser la tête en arrière et briser la colonne vertébrale. Mais c'était un cou épais et musclé. L'homme lui griffait le visage de ses ongles loirs, cherchait ses yeux...

Soudain, surgi au-dessus d'eux, Charbonneau lui piqua son épée entre deux côtes et l'enfonça jusqu'à la garde. Le chauve soupira avant de retomber sans vie. Rob se dégagea pour se relever soigner son visage écorché. Le Français alla récupérer son couteau dans le corps du jeune mort, toujours accroché par les pieds aux étriers le la mule, et le coucha par terre. Le troisième s'était enfui, ayant compris sans doute à qui il avait faire.

« Il a peut-être demandé du renfort à Sigdorff ?

– Non, dit Charbonneau. Ces fumiers sont des coupeurs de gorges, pas des hommes du landgrave. »

Inspectant les cadavres, il trouva au cou du gros un petit sac rempli de pièces. Le jeune n'avait qu'un crucifix terni. Leurs armes étaient médiocres mais il les jeta dans la charrette, attacha la mule derrière et prit avec lui le cheval maigre.

Enfin, ils abandonnèrent les brigands dans la poussière, baignant dans leur propre sang, et rebroussèrent chemin jusqu'à la route romaine.

24. LANGUES INCONNUES

 

QUAND Rob lui demanda où il avait appris à lancer couteau, Charbonneau répondit que c'était dans jeunesse, avec les pirates.

« Il fallait être adroit pour attaquer ces sacrés danois et prendre leurs bateaux... ou ceux de ces acres Anglais, ajouta-t-il avec un sourire.

– Tu m'apprendras ?

– Oui, si tu m'apprends à jongler. »

Le marché était inégal : le Français était trop âgé pour assimiler une technique aussi difficile, et il leur restait trop peu de temps. Il s'amusa seulement à jouer avec deux balles. Rob, lui, avait l'avantage de la jeunesse, la souplesse et la sûreté de main, le coup d'oeil et le sens de l'équilibre que lui avait donnés la jonglerie. Il s'entraînait à viser ne marque sur les troncs d'arbre, avec le couteau de son compagnon.

« Il te faut un couteau spécial, dont le poids soit ans la lame. Tu y abîmerais inutilement ta dague. »

Ils restèrent sur les routes romaines, que sillonnait une foule polyglotte. Il fallut faire place à un cardinal français, avec sa suite de deux cents cavaliers armés et cent cinquante domestiques ; il portait souliers et chapeau d'écarlate, cape grise sur une chasuble jadis blanche, devenue couleur de poussière. Des pèlerins seuls ou en groupes se rendaient à Jérusalem, harangués par des religieux qui arboraient les palmes en croix, l'emblème rapporté de Terre sainte. Des chevaliers, plus ou moins ivres, galopaient en vociférant. Quelques fanatiques vêtus d'un cilice, les mains et les genoux en sang, rampaient vers la Palestine pour accomplir un vœu ; épuisés, sans défense, c'était une proie facile pour les bandits de grands chemins qui infestaient les routes, encouragés par la négligence de l'administration. Pris sur le fait, voleurs et brigands étaient exécutés sans jugement par les voyageurs.

A Augsbourg, centre actif de transactions entre l'Allemagne et l'Italie, fondé par l'empereur Auguste, ils achetèrent des provisions. Les marchands italiens se faisaient remarquer par leurs chaussures de luxe à la pointe élevée. Rob reconnaissait les Juifs, de plus en plus nombreux, à leurs caftans noirs et à leurs chapeaux de cuir en forme de cloche, à bord étroit.

Après le spectacle, ils vendirent moins de Spécifique que d'habitude ; il est vrai que Charbonneau mettait aussi moins d'entrain à traduire dans la langue gutturale du pays. Il annonça plus tard, à Salzbourg, que c'était sa dernière étape.

« Nous serons au Danube dans trois jours et là, je te quitterai pour retourner en France. Je ne pourrais plus t'aider car on parle en Bohême une langue que j'ignore. »

Le soir, à l'auberge, ils commandèrent un repas d'adieu, mais les plats du pays, viande fumée au lard, choux en marinade, ne furent pas de leur goût et ils se rattrapèrent sur le vin rouge. Rob paya largement le vieil homme, qui lui donna, sagement, un dernier conseil.

« Tu vas aborder une région dangereuse. On dit qu'en Bohême la différence est difficile à voir entre les bandits et les gens des seigneurs. Tâche de te trouver des compagnons. »

Le Danube était plus puissant et plus rapide que Rob ne s'y attendait, avec ce calme de surface qui indique une eau profonde. Charbonneau retarda d'un jour son départ pour l'accompagner jusqu'à Linz, un coin sauvage où un grand radeau passait voyageurs et marchandises dans la partie la plus navigable du fleuve.

« Allons ! Peut-être nous reverrons-nous ? dit le jeune homme.

– Je ne crois pas », répondit le Français. Puis ils s'embrassèrent et Rob s'en alla discuter le prix de traversée.

Le passeur était un gros homme revêche, qu'un mauvais rhume obligeait sans cesse à renifler la morve qui lui coulait du nez. Dans son ignorance du bohémien, le barbier dut s'expliquer par gestes et garda l'impression d'avoir été roulé. Quand il revint à la charrette, Louis Charbonneau avait disparu.

Le troisième jour, il rencontra cinq Allemands as et rougeauds, à qui il tenta d'expliquer qu'il voulait faire route avec eux ; il fut poli, offrit de l’or, se montra disposé à cuisiner et partager les corvées du camp, mais ils n'eurent pas un sourire et ne lâchèrent pas les gardes de leurs cinq épées.