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« Tu sais le français et l'allemand ? »

Le jeune homme hocha la tête tout en coupant avec ses dents un bout de son fil ciré. Il écouta ce que Rob avait à lui dire et, comme le travail, bien rétribué, demandait peu de temps, il accepta de lui servir de traducteur. Le barbier en fut très content.

« Comment as-tu appris tant de langues ?

– Nous faisons commerce avec tous les pays et nous avons de la famille un peu partout sur les marchés. Les langues font partie du métier. Tuveh, par exemple, apprend celle des mandarins car, d'ici trois ans, il va travailler sur la route de la soie, pour l'entreprise de mon oncle. »

Son oncle dirigeait en Chine toute une branche de la famille ; il envoyait tous les trois ans en Perse une caravane de soie, de poivre et autres produits exotiques. Tous les garçons de la parenté assuraient ainsi d'Angora à Meshed le transport de marchandises précieuses vers le royaume franc d'Orient. Rob en eut un choc.

– Tu sais le persan ?

– Bien sûr.

– Veux-tu me l'apprendre ? Je te paierai bien.

« Simon hésitait : cela prendrait du temps.

– Pourquoi veux-tu le savoir ? Tu veux travailler avec la Perse ?

– Peut-être.

– Tu veux y retourner souvent pour acheter des herbes et des plantes médicinales, comme nous le faisons pour la soie et les épices ?

– Un peu de ci, un peu de ça », fît Rob en haussant les épaules comme l'aurait fait Meir ben Asher, et Simon se mit à rire.

Il commença sa première leçon en écrivant dans la poussière avec un bâton mais ça n'allait pas et le Barbier alla chercher dans la charrette son matériel de dessin avec un rondin de hêtre. Comme Mam l'avait fait autrefois pour lui apprendre à lire, Simon montra d'abord l'alphabet. Bon sang ! L'écriture persane n'était que points et lignes, crottes de pigeon et traces d'oiseaux, copeaux de bois et vers de terre en folie...

« Je ne saurai jamais !

– Si fait », dit l'autre tranquillement.

Rob dîna en prenant son temps pour calmer son excitation, puis il s'assit sur le siège de la charrette et se mit au travail.

27. MORT D'UNE SENTINELLE

 

ILS quittèrent les montagnes pour un pays plat, que la route romaine coupait en ligne droite à perte de vue. De chaque côté, des champs de terre noire où des paysans récoltaient les céréales et les derniers légumes. L'été était fini. Ils longèrent trois jours un lac immense et firent halte pour acheter des provisions à Siofok : quelques maisons branlantes habitées par des croquants rusés et voleurs. Le lac Balaton semblait un monde irréel. De son eau sombre, polie comme une gemme, montait une brume blanche, dans ce petit matin où Rob observait les Juifs tout occupés à leurs dévotions.

Plus tard il leur proposa de se baigner avec lui ; ils firent d'abord la grimace à cause du froid, puis Simon s'en alla – il était de garde – et les autres coururent vers la plage, se déshabillèrent et sautèrent dans l'eau à grand bruit comme des gamins, Tuveh nageait mal, Judah pataugeait, et Gershom, ont le petit ventre blanc contrastait avec son visage hâlé, se laissait flotter en braillant des chansons incompréhensibles.

« C'est mieux que la mikva ! cria Meir.

– Qu'est-ce que la mikva ? » demanda Rob, mais l'autre plongea et s'éloigna sans répondre, d'un mouvement puissant et régulier.

En le suivant, le jeune barbier regrettait toutes les filles avec qui il avait nagé, et fait l'amour, avant ou après, ou même pendant ; son corps s'émut de désir. Pas une femme depuis cinq mois : son record d'abstinence !

Dépassant Meir, il l'éclaboussa. Le Juif cracha et toussa.

« Espèce de chrétien ! »

Rob l'éclaboussa de nouveau et Meir s'approcha. Rob était plus grand, mais Meir plus fort. Ils s'étreignirent, cherchant à s'entraîner mutuellement vers le fond ; le chrétien saisit l'autre par la barbe et s'enfonça sous l'eau. Ils s'affolèrent au même instant : sombrant au plus profond, saisis par le froid, ils allaient se noyer par jeu ! Fonçant chacun de son côté pour remonter, ils émergèrent en suffoquant. Ni vainqueurs ni vaincus, ils regagnèrent ensemble la plage et remirent à grand-peine dans leurs vêtements leurs corps mouillés que la fraîcheur déjà automnale faisait frissonner.

Meir avait remarqué le pénis circoncis de Rob.

– C'est un cheval qui m'a mordu.

– Une jument, plutôt », dit le Juif d'un ton solennel, puis il chuchota quelque chose aux autres, qui regardèrent Rob en riant. Ils portaient à même la peau de bizarres tuniques à franges. Nus, c'étaient des hommes comme tout le monde ; vêtus, ils redevenaient des étrangers.

Après le lac, le paysage était monotone : champs et forêts se succédaient sans fin et Rob imaginait les troupes romaines, avec leurs captifs et leurs machines de guerre, qui avaient disparu, laissant ces routes rectilignes, indestructibles...

La fille de Cullen marchait encore près de la charrette.

« Voulez-vous monter, mam'selle ? Cela vous changera. »

Elle hésita, puis tendit la main pour qu'il l'aide.

« Votre joue va mieux. Bientôt vous n'aurez plus de cicatrice. »

Il rougit, gêné de se sentir observé.

« Comment ça vous est-il arrivé ?

– Je me suis battu avec des brigands.

– Dieu nous protège ! dit-elle avec un soupir. On prétend que Kerl Fritta fait courir des bruits alarmants pour attirer les voyageurs dans sa caravane.

– C'est possible. Les Magyars n'ont pas l'air bien terribles. »

De chaque côté de la route, des paysans récoltaient les choux. Les jeunes gens se turent ; les cahots de la charrette les rapprochaient par instants et il respirait l'odeur de sa peau, comme l'arôme épicé des baies sauvages au soleil.

« Vous n'avez jamais eu d'autre prénom ? demanda-t-il à mi-voix.

– Jamais, fit-elle, surprise. Quand j'étais petite, mon père m'appelait Tortue parce que je battais des paupières, comme ça. »

Il mourait d'envie de toucher ses cheveux. Elle avait une cicatrice sous la pommette gauche.

Cullen, devant, se retourna sur sa selle et, voyant sa fille près du barbier, la rappela d'une voix sèche. Elle se leva pour partir.

« Quel est votre second prénom, maître Cole ?

– Jeremy.

– Vous n'en avez jamais eu d'autre ? » insista-t-elle avec un regard moqueur.

Elle rassembla ses jupes pour sauter sur le sol avec une souplesse animale. Il aperçut la blancheur de ses jambes et fit claquer les rênes sur le dos de Cheval, furieux qu'elle se soit moquée de lui.

Après le souper, il chercha Simon pour sa seconde leçon et découvrit que les Juifs possédaient des livres. Quand il était enfant, il savait que l'école Saint-Botolph en avait trois : en latin, Bible et Nouveau Testament ; en anglais, liste des fêtes religieuses dont le roi prescrivait l'observance. Ecrits à la main sur du parchemin, les livres étaient rares et chers.

Les Juifs en avaient sept, dans un petit coffre de cuir ouvragé. Simon en choisit un en caractères persans et demanda à Rob d'y reconnaître certaines lettres. Il le félicita d'avoir si vite appris l'alphabet et lut un passage en lui faisant répéter chaque mot de cette langue mélodieuse.

« Quel est ce livre ?

– Le Coran, dit Simon, c'est leur Bible. »Et il traduisit :

Gloire au Très-Haut, le Miséricordieux,

Créateur de toutes choses.

Il a choisi l'homme entre ses créatures

Comme l'agent de sa Parole

Et, pour cela, lui a donné l'intelligence,

A purifié son cœur et illuminé son esprit.