Il n'y avait pas d'arbres alentour ni de paysans au travail car la moisson n'était pas mûre. Près d'un ruisseau, Rob attacha le cheval à un buisson et ils marchèrent pieds nus dans l'eau miroitante. De chaque côté, les hautes tiges d'un champ de blé ménageaient sur le sol une ombre fraîche.
« Viens, dit-il. C'est comme une grotte. » Et il s'y glissa comme un grand enfant.
Elle suivit plus lentement et, l'un contre l'autre, ils se regardèrent.
« Je ne veux pas, Rob... Embrasse-moi seulement, s'il te plaît. »
Elle voyait la déception dans ses yeux. Un baiser contraint, maladroit allait gâcher leur première intimité vraie.
« Je l'ai déjà fait... je n'aime pas, dit-elle très vite... Avec mon cousin à Kilmarnock. Il m'a fait horriblement mal. »
Et, après, il s'était moqué d'elle ! Rob lui baisait doucement les yeux, la bouche et, tandis qu'elle luttait contre ses mauvais souvenirs, il passa à d'autres caresses : il léchait l'intérieur de ses lèvres, prenait possession de sa langue. Puis il ouvrit son corsage, et elle eut un frisson.
« Je les veux », fit-il avidement et il enfouit son visage entre les seins lourds et fermes dont elle était fière et que l'excitation maintenant rosissait. Il les parcourait de caresses en cercles, jusqu'à la pointe qu'il faisait s'ériger entre ses lèvres.
Ses paumes n'avaient pas cessé de suivre les longues courbes de ses jambes, derrière les genoux, entre les cuisses, mais à l'instant où il la touchait au plus intime, elle se raidit et se refusa. Alors, prenant sa main et la guidant vers son propre corps, il lui fit un merveilleux cadeau, tel qu'elle n'en avait encore jamais vu, et qui la surprit par son ampleur. Elle osa le caresser et rit doucement de le voir frémir. C'était la chose la plus prodigieuse et la plus naturelle du monde !
Ainsi elle s'apprivoisait, ils se goûtaient l'un l'autre et leurs corps étaient deux fruits brûlants. Elle se laissa pénétrer par un doigt, deux doigts qui bientôt la firent haleter, les yeux clos et la bouche entrouverte. Puis ce fut son souffle chaud et sa langue, comme un poisson nageant dans la moiteur de son sexe, entre ces plis secrets qu'elle-même n'osait toucher.
« Comment pourrai-je regarder cet homme en face ? » se disait-elle. Mais cela aussi fut oublié. Elle l'avait pas repris ses sens qu'il était en elle. Ils étaient unis cette fois, et comme il bougeait lentement, elle sentit qu'ils s'accommodaient l'un à l'autre.
« Ça va ? demanda-t-il en retenant son mouvement.
– Oui », soupira-t-elle.
Et maintenant c'était son corps à elle qui allait au-devant de lui. Mais déjà il n'était plus maître de son rythme. Quel étrange emportement le précipitait en elle, pour enfin s'y répandre dans un spasme, en grondant !
Longtemps, bougeant à peine, ils restèrent silencieux à l'ombre des grands épis.
« Tu devrais aimer ça, dit-il..., comme une bière forte.
– Pourquoi l'aimons-nous ? Pourquoi les animaux aiment-ils ça ? »
Il parut surpris. Des années plus tard, elle comprendrait qu'il l'avait trouvée différente de toutes les filles qu'il avait connues. Lui aussi était différent des autres garçons.
« Tu t'es occupé de moi plus que de toi-même », lui dit-elle.
Elle lui caressa le visage et il retint sa main pour en baiser la paume.
« Beaucoup d'hommes ne sont pas comme ça, je le sais.
– Il faut l'oublier, maintenant, ce sacré cousin de Kilmarnock ! »
32. L'OFFRE
ROB se fit quelques clients parmi les nouveaux venus et s'amusa d'apprendre que Kerl Fritta se vantait d'avoir dans sa caravane un excellent barbier-chirurgien. Le Franc, hélas, était mort de sa tumeur, comme il l'avait prévu, au cours de l'hiver à Gabrovo. Il en parla avec Mary.
« J'aime soigner ce que je peux guérir : une fracture, une blessure ouverte... C'est le mystère que je déteste : ces maladies inexplicables qui défient tout traitement. Ah ! Mary, je ne sais rien. Mais ils n'ont que moi ! »
Sans bien comprendre tout ce qu'il voulait dire, elle essaya de le réconforter. Elle s'inquiétait de souffrir pendant ses règles, car sa mère, un été, avait vu les siennes tourner à l'hémorragie. Mary avait eu tant de chagrin de sa mort qu'elle ne pouvait même pas pleurer ; et maintenant elle craignait d'être atteinte à son tour.
« Ce n'étaient pas des pertes normales, mais quelque chose de plus grave, tu le sais bien », dit Rob, en posant sur son ventre une main apaisante et en la consolant avec des baisers.
Quelques jours plus tard, assis près d'elle dans la charrette, il lui raconta ce qu'il n'avait dit à personne : la mort de ses parents, la dispersion, puis la disparition des enfants. Elle se mit à pleurer ans pouvoir s'arrêter.
« Comme je t'aime ! soupira-t-elle.
– Je t'aime aussi, s'entendit-il répondre, pour la première fois de sa vie.
– Je voudrais ne jamais te quitter. »
En chemin, désormais, ils échangeaient de loin un signe secret : les doigts de la main droite effleurant les lèvres comme pour chasser un moucheron. Cullen buvait toujours et, quand elle le voyait lourdement endormi, Mary s'échappait pour retrouver son amant. C'était dangereux, disait Rob, car la nuit les sentinelles sont nerveuses. Mais elle n'en faisait qu'à sa tête et il en était très heureux. Elle apprenait vite et bientôt leurs corps n'eurent plus aucun secret l'un pour l'autre. Il cherchait avant tout à lui donner du plaisir, surpris et troublé de ce qui lui arrivait.
En Thrace, les pâturages remplacèrent les champs de blé, les troupeaux de moutons se multiplièrent et James Cullen revint à la vie. Il galopait sans cesse avec Seredy pour aller parler aux bergers. Un soir, il vint trouver Rob, s'assit devant le feu et toussota.
« Il ne faudrait pas croire que je suis aveugle.
– Je ne l'ai jamais pensé, dit le barbier avec respect.
– Parlons de ma fille. Elle est instruite, elle connaît le latin.
– Ma mère le savait, elle m'en a enseigné un peu.
– Mary le parle bien et c'est utile à l'étranger quand on a affaire aux fonctionnaires ou aux gens d'Eglise. Je l'avais envoyée chez les nonnes de Walkrirk, qui espéraient la garder. Mais, moi, je rêvais déjà à l'Orient et aux moutons. Je m'y connais en moutons. On a cru que je partais pour oublier mon chagrin, mais c'était plus que ça. »
Le silence s'épaissit entre eux.
« Tu as déjà été en Ecosse, mon gars ?
– Non. Je n'ai jamais dépassé le nord de l'Angleterre : les Cheviot.
– Ce n'est pas loin de la frontière, mais l'Ecosse c'est autre chose : plus haut, plus accidenté, avec des montagnes pleines de ruisseaux poissonneux et de l'eau partout pour nourrir les herbages. Notre domaine est dans les collines. Beaucoup de terre et de grands troupeaux. »
Il se tut un moment, comme pour chercher ses mots.
« Celui qui épousera Mary s'en occupera, s'il en est capable. Nous serons à Babaeski dans quatre jours, continua-t-il en se penchant vers Rob. Là, ma fille et moi nous quitterons la caravane pour obliquer vers la ville de Maikara, au sud, qui a un important marché de bétail ; je compte y acheter des moutons. Puis nous traverserons le plateau d'Anatolie, où je mets tous mes espoirs. Je serais heureux que tu nous accompagnes. »
Il examina Rob avec un soupir.
« Tu es fort et plein de santé. Tu as du courage, sinon tu ne te serais pas risqué si loin pour travailler et te faire une position dans le monde. Tu n'es pas ce que j'aurais choisi pour elle, mais c'est toi qu'elle veut. Je l'aime et je veux son bonheur car je n'ai qu'elle.