Выбрать главу

« Il faut étudier le Coran, et Allah – gloire à Lui ! – te les révélera. »

Mahomet le suivait partout, le regard d'Allah ne le quittait pas ; à l'école, on n'échappait pas à l'islam : un mullah veillait dans chaque classe à ce que le nom d'Allah ne soit jamais profané.

Le premier cours de Rob avec Ibn Sina portait sur l'anatomie. On y disséqua un porc, animal interdit à la consommation chez les musulmans, mais non à l'étude.

« Le porc est un sujet exceptionnel car ses organes internes sont identiques à ceux de l'homme, dit le maître en découpant adroitement la peau et en découvrant de très nombreuses tumeurs. Ces grosseurs à la surface lisse sont probablement inoffensives, mais certaines ont un développement rapide, comme celles-ci dont les masses charnues sont groupées les unes contre les autres. Ces tumeurs dites " en chou-fleur " sont mortelles.

– Apparaissent-elles chez les humains ?

– Nous l'ignorons.

– Pourquoi ne pas les chercher ? »

Un silence de mort tomba sur les autres étudiants pleins de mépris pour l'étranger, ce diable d'infidèle, et sur les maîtres assistants inquiets ; le mullah qui avait abattu la bête leva la tête de son livre de prières.

« Il est écrit, dit Ibn Sina avec prudence, que " les morts se lèveront pour revivre à l'appel du Prophète " – qu'Il soit béni ! Dans l'attente de ce jour, les corps ne doivent pas être mutilés. »

Rob acquiesça, le mullah retourna à ses prières et Ibn Sina reprit sa leçon.

L'après-midi, hakim Fadil ibn Parviz, coiffé du turban rouge des médecins, reçut les félicitations de tous pour sa réussite à l'examen. Rob, qui n'avait pas pour lui de sympathie particulière, en fut ému et content car le succès de n'importe quel étudiant pouvait un jour être le sien. Fadil et al-Juzjani dirigeaient justement la visite ce jour-là et, quand Ibn Sina les rejoignit, au dernier moment, Rob ressentit la tension et la légère effervescence que provoquait toujours la présence du maître.

Parmi les malades atteints de tumeurs, un homme aux yeux creux était couché près de la porte.

« Jesse ben Benjamin, dit al-Juzjani, parle-nous de cet homme.

– C'est Ismail Ghazali. Il ne connaît pas son âge mais dit être né à Khur pendant les grandes inondations. Il doit avoir environ trente-quatre ans. Il a des tumeurs au cou, sous les bras et à l'aine. Il a perdu son père, quand il était enfant, d'une maladie semblable. Uriner lui est un supplice, et le liquide est jaune foncé mêlé de filaments rouges. Il ne peut garder sans vomir que quelques cuillerées de gruau ; on l'alimente légèrement chaque fois qu'il accepte de manger.

– L'as-tu saigné aujourd'hui ?

– Non, hakim. Ce serait une souffrance inutile... A la nuit tombante il mourra. »

Rob n'aurait pas ajouté cela s'il avait songé aux tumeurs de porc, qui rongeaient peut-être le corps d'Ismail Ghazali.

« D'où te vient cette idée ? »

Tous les regards étaient sur lui, mais il préféra éviter une explication.

« Je le sais », dit-il enfin, et Fadil, oubliant sa nouvelle dignité, éclata de rire.

Al-Juzjani avait rougi de colère, mais Ibn Sina l'apaisa d'un geste et continua la visite. Cet incident vint à bout du courage de Rob. Impossible de travailler ce soir-là. Il avait commis une erreur. Il n'était sans doute pas fait pour être médecin.

Le lendemain matin, à l'école, il suivit trois cours et se força l'après-midi à accompagner al-Juzjani dans son inspection. Ibn Sina les rejoignit comme la veille. Dans la section des tumeurs, un jeune homme occupait la paillasse près de la porte.

« Où est Ismail Ghazali ? demanda al-Juzjani à l'infirmier.

– Emporté cette nuit, hakim. »

Il n'y eut aucun commentaire et, pendant le reste de la visite, Rob fut traité avec un mépris glacial, comme un dhimmi étranger qui a deviné juste, par hasard. Mais, une fois le groupe dispersé, une main se posa sur son bras et, se retournant, il croisa le regard inquisiteur du vieux maître.

« Tu viendras partager mon dîner », lui dit Ibn Sina.

Ce soir-là, il était impatient et nerveux en suivant, selon les indications du médecin-chef, l'avenue des Mille-Jardins, qui conduisait à sa demeure. C'était une vaste maison de pierre, à deux tours jumelles, au milieu de vergers et de vignes en terrasses. Ibn Sina, lui aussi, avait reçu un calaat, mais, vu sa notoriété et son prestige, le don avait été princier. Un portier, qui attendait Rob, l'introduisit dans la propriété et prit son cheval. Le gravier de l'allée était si fin que ses pas y faisaient à peine plus de bruit qu'un souffle.

Comme il approchait de la maison, une porte s'ouvrit et il en sortit une femme jeune et gracieuse, vêtue d'un manteau de velours rouge bordé de paillettes, sur une robe souple en coton imprimé de fleurs jaunes ; toute menue, elle avait une démarche de reine. Des bracelets de perles ornaient ses chevilles, où la culotte bouffante finissait en franges sur ses jolis talons nus. La fille d'Ibn Sina, si c'était elle, le dévisagea de ses grands yeux sombres, avec autant de curiosité qu'il l'observait lui-même, avant de détourner son visage voilé comme l'ordonnaient les lois islamiques en présence d'un homme. Derrière elle, parut un eunuque enturbanné, monstrueusement gros, la main sur la garde ouvragée de son poignard, qui suivit Rob d'un regard meurtrier jusqu'à ce que la belle eût disparu à l'intérieur d'un jardin. Alors, la porte de la maison, une simple dalle de pierre, s'ouvrit en tournant sur ses gonds huilés, et un serviteur introduisit Rob dans une pièce spacieuse et fraîche.

« Ah ! Mon jeune ami, tu es le bienvenu chez moi. »

Ibn Sina le précéda à travers une série de grandes salles tendues de tapisseries aux couleurs de terre et de ciel, avec des sols de pierre couverts de tapis épais comme un gazon. Dans un jardin intérieur, au cœur de la maison, une table était dressée auprès d'une fontaine. On apporta du pain non levé et le maître psalmodia une invocation islamique.

« Veux-tu dire tes propres prières ? proposa-t-il avec bienveillance.

– Sois béni, Seigneur notre Dieu, récita Rob en brisant le pain, Roi de l'Univers, Toi qui fais venir notre pain de la terre.

– Amen. »

Le repas fut simple et délicieux : concombres à la menthe et au caillé, pilah léger avec de l'agneau et du poulet, compotes de cerises et d'abricots, sherbet rafraîchissant au jus de fruits. Un esclave apporta ensuite des linges humides pour le visage et les mains, tandis que d'autres débarrassaient la table et allumaient des torches afin d'éloigner les insectes. Enfin ils s'assirent tous deux et se mirent ensemble à croquer des pistaches.

« Alors », commença Ibn Sina – ses yeux étonnants où passaient tant de choses brillaient dans la lumière –, « dis-moi comment tu as su qu'Ismail Ghazali allait mourir. »

Rob raconta ce qui s'était passé à la mort de sa mère, puis de son père, quand il avait tenu leurs mains, et toutes les autres personnes dont le contact lui avait transmis la bouleversante révélation. Il répondit à toutes les questions, fouillant sa mémoire pour n'oublier aucun détail. Le doute s'effaçait peu à peu du vieux visage.

« Montre-moi comment tu fais. »

L'étudiant prit les mains du maître en le regardant dans les yeux, et presque aussitôt il sourit.

« Pour l'instant, vous n'avez rien à craindre de la mort.

– Toi non plus », dit calmement le médecin.

Un moment passa et, tout d'un coup, Rob comprit.

« Vous le sentez, vous aussi, maître ?

– Pas comme toi. En moi, c'est une certitude profonde et forte qu'un patient va mourir ou non. J'en ai parlé avec d'autres médecins qui partagent cette intuition ; c'est une confrérie plus importante que tu ne l'imagines. Mais je n'ai jamais rencontré un don aussi fort que le tien. C'est une responsabilité et tu ne l'assumeras qu'en devenant un excellent médecin. »