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— J’ai donné l’une de vos cartes à chacune de ces personnes, dit Paul.

— Pardon ? demanda Childan, toujours plongé dans ses préoccupations.

— Vos cartes commerciales. Pour qu’ils puissent aller vous voir et examiner d’autres spécimens.

— Je vois, dit Childan.

— Il y a plus. L’un d’eux veut discuter de l’ensemble de la question avec vous à son bureau. Je vous ai noté ici son nom et son adresse. (Et Paul lui remit un papier plié.) Il veut que ses collègues vous entendent. C’est un importateur. Il importe et exporte en grandes quantités. Spécialement avec l’Amérique du Sud. Des appareils de radio, de photo, des jumelles, des magnétophones et des appareils analogues.

Childan regardait le papier.

— Il traite, naturellement, par énormes quantités. Peut-être par dizaines de mille pour chaque article. Sa société a le contrôle de diverses entreprises qui fabriquent pour lui avec des frais généraux peu élevés et qui sont toutes situées en Orient, où la main-d’œuvre est meilleur marché.

— Pourquoi est-il… commençait Childan.

— Des pièces comme celle-ci… dit Paul qui prenait une fois de plus la broche à la main. (Il referma le couvercle et rendit la boîte à Childan.)… peuvent être produites en grande série. Soit en métal soit en plastique. D’après un moule. En n’importe quelles quantités.

— Et en ce qui concerne le wu ? demanda Childan au bout d’un instant. Est-ce qu’il subsisterait dans les articles ainsi fabriqués ?

Paul ne répondit rien.

— Vous me conseillez de le voir ? dit Childan.

— Oui, dit Paul.

— Pourquoi ?

— Fétiches, dit Paul. Childan paraissait stupéfait.

— Des fétiches porte-bonheur. À porter sur soi. Pour les gens relativement pauvres. Une série d’amulettes à répandre dans toute l’Amérique latine et en Orient. Les masses croient encore, pour la plupart, à la magie, vous savez. Les charmes. Les philtres. C’est un commerce important, d’après ce qu’on m’a dit. (Le visage de Paul était figé, sa voix sans intonation.)

— Il semblerait, dit Childan, qu’il y avait beaucoup d’argent à gagner là-dedans.

Paul fit signe que oui.

— C’est cela votre idée ? demanda Childan.

— Non, dit Paul et il resta silencieux.

Votre patron, pensa Childan. Vous avez montré cette pièce à votre supérieur, qui connaît cet importateur. Votre supérieur – ou quelque personnage important placé au-dessus de vous, quelqu’un qui exerce une autorité sur vous, quelqu’un de riche et d’important – a contacté cet importateur.

C’est pour cela qu’il m’a repassé le renseignement, réalisa Childan. Il ne veut aucune part dans cette affaire. Mais il sait ce que je sais : que je me rendrai à cette adresse et verrai cet homme. Il le faut. Je n’ai pas le choix. Je concéderai l’utilisation de ces dessins ou je les vendrai moyennant un pourcentage ; j’arriverai à un accord quelconque avec ces gens.

Cela n’est plus entre vos mains. Ce serait de mauvais goût de votre part de prétendre m’arrêter ou discuter avec moi.

— Il y a une occasion pour vous, dit Paul, de devenir extrêmement riche.

Il continuait à garder les yeux fixés stoïquement devant lui.

— Je suis frappé par le côté bizarre de l’idée, dit Childan. Faire des fétiches porte-bonheur avec de tels objets d’art. J’ai peine à l’imaginer.

— Parce que ce n’est pas votre genre d’affaires habituel. Vous vous êtes consacré à un ésotérisme raffiné. Je me trouve dans le même cas. De même que les gens qui viendront à bref délai visiter votre magasin, ceux dont je vous ai parlé.

— Que feriez-vous à ma place ? demanda Childan.

— Ne sous-estimez pas l’éventualité présentée par cet estimable importateur. C’est un étrange personnage. Vous et moi – nous ne soupçonnons pas le nombre de gens non évolués qui peuvent exister. Ils peuvent se procurer au moyen d’objets moulés et identiques une joie qui nous serait refusée à nous. Nous devons pouvoir nous dire que nous sommes en possession d’un exemplaire unique, ou en tout cas de quelque chose de rare que peu de gens peuvent avoir. Et, bien entendu, quelque chose de parfaitement authentique. Non pas un moulage ou une copie. (Il continuait à regarder dans le vide, sans que ses yeux s’arrêtent sur Childan) Non pas quelque chose qui se trouve tiré à des dizaines de milliers d’exemplaires.

Childan se demandait s’il n’entrevoyait pas cette vérité, à savoir que certains des objets historiques qui se trouvaient dans des magasins tels que le sien – sans parler de nombreux échantillons de sa collection personnelle – étaient des imitations ? On pouvait peut-être en déceler la trace dans ses paroles. Comme s’il avait sous-entendu ironiquement un message tout à fait différent de ce qu’il paraissait être. Ambiguïté, comme celle qui se trouve un peu partout dans l’oracle… Qualité, comme on dit, de l’esprit oriental.

Childan pensait que l’autre était en train de lui demander : « Lequel des deux êtes-vous, Robert ? Celui que l’oracle appelle l’« homme inférieur », ou cet autre à qui tous les bons avis sont destinés ? C’est le moment de décider. Vous pouvez partir d’un côté ou de l’autre, mais pas des deux côtés à la fois. C’est le moment du choix. »

Et de quel côté ira l’homme supérieur ? se demandait Robert Childan. Du moins, selon Paul Kasoura. Et ce que nous avons devant nous n’est pas un concentré vieux de plusieurs milliers d’années de sagesse inspirée par la divinité ; c’est simplement l’opinion d’un mortel – d’un jeune homme d’affaires japonais.

Cependant, il y a un fondement à tout cela. Wu, comme aurait dit Paul. Le wu de la situation est celui-ci : quelle que soit notre répugnance personnelle, il n’y a aucun doute, la réalité se trouve du côté de l’importateur. C’est dommage pour ce qui entrait dans nos intentions ; nous devons nous adapter, comme le déclare l’oracle.

Et, après tout, les originaux peuvent encore se vendre dans mon magasin. À des connaisseurs, aux amis de Paul, par exemple.

— Vous luttez contre vous-même, lui fit remarquer Paul. C’est sans doute un moment où l’on préfère être seul. (Il était déjà parti vers la porte du bureau.)

— J’ai déjà pris ma décision.

Les yeux de Paul papillotèrent. En s’inclinant, Childan déclara :

— Je vais suivre votre conseil. Maintenant je prends congé pour aller rendre visite à cet importateur. (Il montra le papier plié.)

Chose étrange, Paul ne paraissait pas satisfait ; il se contenta d’émettre un grognement et de retourner à son bureau. Ils refrènent leurs réactions jusqu’au bout, se dit Childan, pensif.

— Tous mes remerciements pour l’aide que vous m’avez apportée dans mes affaires, dit Childan en se préparant à partir. J’espère pouvoir un jour vous payer de retour. Je n’oublierai pas.

Mais le jeune Japonais ne bronchait toujours pas. Ce n’est que trop vrai, ce qu’on dit, pensait Childan : ils sont impénétrables.

En l’accompagnant à la porte, Paul semblait plongé dans des réflexions profondes. Soudain, il ne put s’empêcher de dire :

— Les artisans américains ont fait cet objet entièrement à la main, c’est exact ? C’est un travail de leur corps ?

— Oui, depuis le dessin original jusqu’au dernier polissage.

— Monsieur ! Est-ce que ces artisans vont marcher ? J’imaginerais qu’ils rêvent d’autre chose pour leur travail.

— Je me risquerai à dire qu’on pourra les persuader, dit Childan. (Le problème lui apparaissait comme mineur.)