BARTHOLO, avec joie. Ah! le digne époux qui me venge?
MARCELINE. On ne sait comment définir le Comte; il est jaloux et libertin.
BARTHOLO. Libertin par ennui, jaloux par vanité; cela va sans dire.
MARCELINE. Aujourd'hui, par exemple, il marie notre Suzanne à son Figaro, qu'il comble en faveur de cette union…
BARTHOLO. Que Son Excellence a rendue nécessaire!
MARCELINE. Pas tout à fait; mais dont Son Excellence voudrait égayer en secret l'événement avec l'épousée…
BARTHOLO. De monsieur Figaro? C'est un marché qu'on peut conclure avec lui.
MARCELINE. BAZILE assure que non.
BARTHOLO. Cet autre maraud loge ici? C'est une caverne! Eh? qu'y fait-il?
MARCELINE. Tout le mal dont il est capable. Mais le pis que j'y trouve est cette ennuyeuse passion qu'il a pour moi depuis si longtemps.
BARTHOLO. Je me serais débarrassé vingt fois de sa poursuite.
MARCELINE. De quelle manière?
BARTHOLO. En l'épousant.
MARCELINE. Railleur fade et cruel, que ne vous débarrassez-vous de la mienne à ce prix? Ne le devez-vous pas?
Où est le Souvenir de vos engagements? Qu'est devenu celui de notre petit Emmanuel, ce fruit d'un amour oublié, qui devait nous conduire à des noces?
BARTHOLO, ôtant son chapeau. Est-ce pour écouter ces sornettes que vous m'avez fait venir de Séville? Et cet accès d'hymen qui vous reprend si vif…
MARCELINE. Eh bien! n'en parlons plus. Mais, si rien n'a pu vous porter à la justice de m'épouser, aidez-moi donc du moins à en épouser un autre.
BARTHOLO. Ah! volontiers: parlons. Mais quel mortel abandonné du ciel et des femmes?…
MARCELINE. Eh? qui pourrait-ce être, docteur, sinon le beau, le gai, l'aimable Figaro?
BARTHOLO. Ce fripon-là?
MARCELINE. Jamais fiché, toujours en belle humeur; donnant le présent à la joie, et s'inquiétant de l'avenir tout aussi peu que du passé; sémillant, généreux! généreux…
BARTHOLO. Comme un voleur.
MARCELINE. Comme un seigneur. Charmant enfin: mais c'est le plus grand monstre!
BARTHOLO. Et sa Suzanne?
MARCELINE. Elle ne l'aurait pas, la rusée, si vous vouliez m'aider, mon petit docteur, à faire valoir un engagement que j'ai de lui.
BARTHOLO. Le jour de son mariage?
MARCELINE. On en rompt de plus avancés: et, si je ne craignais d'éventer un petit secret des femmes!…
BARTHOLO. En ont-elles pour le médecin du corps?
MARCELINE. Ah? vous savez que je n'en ai pas pour vous. Mon sexe est ardent, mais timide: un certain charme a beau nous attirer vers le plaisir, la femme la plus aventurée sent en elle une voix qui lui dit: Sois
belle, si tu peux, sage si tu veux; mais sois considérée, il le faut. Or, puisqu'il faut être au moins considérée, que toute femme en sent l'importance, effrayons d'abord la Suzanne sur la divulgation des offres qu'on lui fait.
BARTHOLO. Où cela mènera-t-il?
MARCELINE. Que, la honte la prenant au collet, elle continuera de refuser le Comte, lequel, pour se venger, appuiera l'opposition que j'ai faite à son mariage: alors le mien devient certain.
BARTHOLO. Elle a raison. Parbleu! c'est un bon tour que de faire épouser ma vieille gouvernante au coquin qui fit enlever ma jeune maîtresse.
MARCELINE, vite. Et qui croit ajouter à ses plaisirs en trompant mes espérances.
BARTHOLO, vite. Et qui m'a volé dans le temps cent écus que j'ai sur le coeur.
MARCELINE. Ah! quelle volupté!…
BARTHOLO. De punir un Scélérat…
MARCELINE. De l'épouser, docteur, de l'épouser!
Scène 5
MARCELINE, BARTHOLO; SUZANNE
SUZANNE, un bonnet de femme de chambre avec un large ruban dans la main, une robe de femme sur le bras.
L'épouser, l'épouser! Qui donc? Mon Figaro?
MARCELINE, aigrement. Pourquoi non? Vous l'épousez bien!
BARTHOLO, riant. Le bon argument de femme en colère! Nous parlions, belle Suzon, du bonheur qu'il aura de vous posséder..
MARCELINE. Sans compter Monseigneur, dont on ne parle pas.
SUZANNE, une révérence. Votre servante, madame; il y a toujours quelque chose d'amer dans vos propos.
MARCELINE, une révérence. Bien la vôtre, madame; où donc est l'amertume? N'est-il pas juste qu'un libéral seigneur partage un peu la joie qu'il procure à ses gens?
SUZANNE. Qu'il procure?
MARCELINE. Oui, madame.
SUZANNE. Heureusement, la jalousie de Madame est aussi connue que ses droits sur Figaro sont légers.
MARCELINE. On eût pu les rendre plus forts en les cimentant à la façon de Madame.
SUZANNE. Oh! cette façon, madame, est celle des dames savantes.
MARCELINE. Et l'enfant ne l'est pas du tout? Innocente comme un vieux juge?
BARTHOLO, attirant Marceline. Adieu, jolie fiancée de notre Figaro.
MARCELINE, une révérence. L'accordée secrète de Monseigneur.
SUZANNE, une révérence. Qui vous estime beaucoup, madame.
MARCELINE, une révérence. Me fera-t-elle aussi l'honneur de me chérir un peu, madame?
SUZANNE, une révérence. A cet égard, Madame n'a rien à désirer.
MARCELINE, une révérence. C'est une si jolie personne que Madame!
SUZANNE, une révérence. Eh mais! assez pour désoler madame..
MARCELINE, une révérence. Surtout bien respectable!
SUZANNE, une révérence. C'est aux duègnes à l'être.
MARCELINE, outrée. Aux duègnes! aux duègnes!
BARTHOLO, l'arrêtant. Marceline!
MARCELINE. Allons, docteur, Car je n'y tiendrais pas. Bonjour, madame.
Une révérence.
Scène 6
SUZANNE, seule.
Allez, madame! allez, pédante! je Crains aussi peu vos efforts que je méprise vos outrages. – Voyez Cette vieille sibylle! parce qu'elle a fait quelques études et tourmenté la jeunesse de Madame, elle veut tout dominer au château! (Elle jette la, robe qu'elle tient sur une chaise.)
Je ne sais plus ce que je venais prendre.
Scène 7
SUZANNE, CHÉRUBIN
CHÉRUBIN, accourant. Ah! Suzon, depuis deux heures j'épie le moment de te trouver seule. Hélas! tu te maries, et moi je vais partir..
SUZANNE. Comment mon mariage éloigne-t-il du Château le premier page de Monseigneur?
CHÉRUBIN, piteusement. Suzanne, il me renvoie.
SUZANNE le contrefait. Chérubin, quelle sottise!
CHÉRUBIN. Il m'a trouvé hier au soir Chez ta Cousine Fanchette, à qui je faisais répéter son petit rôle d'innocente, pour la fête de ce soir: il s'est mis dans une fureur en me voyant! – Sortez, m'a-t-il dit, petit… Je n'ose pas prononcer devant une femme le gros mot qu'il a dit: sortez, et demain vous ne coucherez pas au château. Si Madame, si ma belle marraine ne parvient pas à l'apaiser, C'est fait, Suzon, je suis à jamais privé du bonheur de te voir.
SUZANNE. De me voir! moi? C'est mon tour! Ce n'est donc plus pour ma maîtresse que vous soupirez en secret?
CHÉRUBIN. Ah! Suzon, qu'elle est noble et belle! mais qu'elle est imposante!