Le petit Edgar Cayce était très malade. Le médecin de campagne était à son chevet. Il n'y avait rien à faire pour tirer le garçonnet hors du coma. Or, brusquement, la voix d'Edgar s'éleva, claire et tranquille. Et pourtant, il dormait. « Je vais vous dire ce que j'ai. J'ai reçu un coup de balle de base-ball sur la colonne vertébrale. Il faut me faire un cataplasme spécial et me l'appliquer à la base du cou. » De la même voix, le garçonnet dicta la liste des plantes qu'il fallait mélanger et préparer. « Dépêchez-vous, sinon le cerveau risque d'être atteint. »
À tout hasard, on obéit. Le soir, la fièvre était tombée. Le lendemain, Edgar se levait, frais comme l'œillet. Il ne se souvenait de rien. Il ignorait la plupart des plantes qu'il avait citées.
Ainsi commence l'une des histoires les plus étonnantes de la médecine. Cayce, paysan du Kentucky, parfaitement ignorant, peu enclin à user de son don, se désolant sans cesse de n'être pas « comme tout le monde », soignera et guérira, en état de sommeil hypnotique, plus de quinze mille malades, dûment homologués.
Ouvrier agricole dans la ferme d'un de ses oncles, puis commis dans une librairie de Hopkinsville, propriétaire enfin d'un petit magasin de photographie où il entend passer paisiblement ses jours, c'est contre son gré qu'il va jouer les thaumaturges. Son ami d'enfance, Al Layne, et sa fiancée Gertrude useront leurs forces à le contraindre. Nullement par ambition, mais parce qu'il n'a pas le droit de garder son pouvoir pour lui seul, de refuser d'aider les affligés. Al Layne est malingre, toujours souffrant. Il se traîne. Cayce accepte de s'endormir : il décrit les maux de base, dicte des remèdes. Quand il se réveille : « Mais ce n'est pas possible, je ne connais pas la moitié des mots que tu as notés. Ne prends pas ces drogues, c'est dangereux ! Je n'y entends rien, tout cela est de la magie ! » Il refuse de revoir Al, s'enferme dans son magasin de photos. Huit jours après, Al force sa porte : il ne s'est jamais si bien porté. La petite ville s'enfièvre, chacun demande une consultation. « Ce n'est pas parce que je parle en dormant que je vais me mettre à soigner les gens. » Il finit par accepter. À condition de ne pas voir les patients, de crainte que, les connaissant, son jugement soit influencé. À condition que des médecins assistent aux séances. À condition de ne pas recevoir un sou, ni même le plus mince cadeau.
Les diagnostics et les ordonnances faits en état d'hypnose sont d'une telle précision et d'une telle acuité, que les médecins sont persuadés qu'il s'agit d'un confrère camouflé en guérisseur. Il se limite à deux séances par jour. Ce n'est pas qu'il redoute la fatigue : il sort de ces sommeils très reposé. Mais il tient à rester photographe. Il ne cherche absolument pas à acquérir des connaissances médicales. Il ne lit rien, demeure un enfant de paysans, doté d'un vague certificat d'études. Et il continue à s'insurger contre son étrange faculté. Mais dès qu'il décide de renoncer à l'employer, il devient aphone.
Un magnat des chemins de fer américains, James Andrews, vient le consulter. Il lui prescrit, en état d'hypnose, une série de drogues, dont une certaine eau d'orvale. Ce remède est introuvable. Andrews fait publier des annonces dans les revues médicales, sans résultat. Au cours d'une autre séance, Cayce dicte la composition de cette eau, extrêmement complexe. Or, Andrews reçoit une réponse d'un jeune médecin parisien : c'est le père de ce Français, également médecin, qui avait mis au point l'eau d'orvale, mais en avait cessé l'exploitation cinquante ans plus tôt. La composition est identique à celle « rêvée » par le petit photographe.
Le secrétaire local du Syndicat des Médecins, John Blackburn, se passionne pour le cas Cayce. Il réunit un comité de trois membres, qui assiste à toutes les séances, avec stupéfaction. Le Syndicat Général Américain reconnaît les facultés de Cayce, et l'autorise officiellement à donner des « consultations psychiques ».
Cayce s'est marié. Il a un fils de huit ans, Hugh Lynn. L'enfant, en jouant avec des allumettes, fait exploser un stock de magnésium. Les spécialistes concluent à la cécité totale prochaine et proposent l'ablation d'un œil. Avec terreur, Cayce se livre à une séance de sommeil. Plongé dans l'hypnose, il s'élève contre l'ablation et préconise quinze jours d'application de pansements imbibés d'acide tannique. C'est une folie pour les spécialistes. Et Cayce, en proie aux pires tourments, n'ose désobéir à ses voix. Quinze jours après, Hugh Lynn est guéri.
Un jour, après une consultation, il demeure endormi, et dicte coup sur coup quatre consultations, très précises. On ne sait à qui elles peuvent s'appliquer : elles ont quarante-huit heures d'avance sur les quatre malades qui vont se présenter.
Au cours d'une séance, il prescrit un médicament qu'il nomme Codiron, et indique l'adresse du laboratoire, à Chicago. On téléphone : « Comment pouvez-vous avoir entendu parler du Codiron ? Il n'est pas encore en vente. Nous venons de mettre au point la formule et de trouver le nom. »
Cayce, atteint d'une maladie incurable qu'il était seul à connaître, meurt au jour et à l'heure qu'il avait fixés : « Le cinq au soir, je serai définitivement guéri. » Guéri d'être « quelque chose d'autre ».
Interrogé en état de sommeil sur la façon de procéder, il avait déclaré (pour ne se souvenir de rien au réveil, comme d'habitude) qu'il était en mesure d'entrer en contact avec n'importe quel cerveau humain vivant et d'utiliser les informations contenues dans ce cerveau, ou ces cerveaux, pour le diagnostic et le traitement des cas qu'on lui présentait. C'était peut-être une intelligence différente, qui s'animait alors en Cayce, et utilisait toutes les connaissances circulant dans l'humanité, comme on utilise une bibliothèque, mais quasi instantanément, ou tout au moins à la vitesse de la lumière et de l'électromagnétique. Mais rien ne nous permet d'expliquer le cas d'Edgar Cayce, de cette façon ou d'une autre. Tout ce que l'on sait fermement, c'est qu'un photographe de bourgade, sans curiosité ni culture, pouvait, à volonté, se mettre dans un état où son esprit fonctionnait comme celui d'un médecin de génie, ou plutôt comme tous les esprits de tous les médecins à la fois.
III – BOSCOVITCH
Un thème de science-fiction : si les relativistes ont raison, si nous vivons dans un univers à quatre dimensions, et si nous étions capables d'en prendre conscience, ce que nous appelons le sens commun éclaterait. Des auteurs d'anticipation s'efforcent de penser en termes d'espace-temps. À leurs efforts correspondent, sur un plan de recherche plus pure et dans un langage théorique, ceux des grands physiciens-mathématiciens. Mais l'homme est-il capable de penser en quatre dimensions ? Il lui faudrait des structures mentales autres. Ces structures seront-elles réservées à l'homme d'après l'homme, à l'être de la prochaine mutation ? Et cet homme d'après l'homme est-il déjà parmi nous ? Des romanciers de l'imaginaire l'ont affirmé. Mais ni Van Vogt, dans son beau livre fantastique sur les Slans, ni Sturgeon dans sa description des Plus qu'Humains n'ont osé imaginer personnage aussi fabuleux que Roger Boscovitch.
Mutant ? Voyageur du Temps ? Extra-terrestre camouflé derrière ce Serbe mystérieux ?
Boscovitch serait né en 1711 à Dubrovnik : c'est tout au moins ce qu'il déclara, à quatorze ans, en s'inscrivant comme étudiant libre au collège jésuite de Rome. Il y étudia les mathématiques, l'astronomie et la théologie. En 1728, ayant achevé son noviciat, il entre dans l'ordre des jésuites. En 1736, il publie une communication sur les taches du Soleil. En 1740, il enseigne les mathématiques au Collegium Romanum, puis devient conseiller scientifique de la Papauté. Il crée un observatoire, entreprend l'assèchement des marais Pontins, répare le dôme de Saint-Pierre, mesure le méridien entre Rome et Rimini, sur deux degrés de latitude. Puis il explore diverses régions d'Europe et d'Asie et fait des fouilles sur les lieux mêmes où Schliemann, plus tard, découvrira Troie. Il est nommé membre de la Société Royale d'Angleterre, le 26 juin 1760, et à cette occasion publie un long poème latin, sur les apparences visibles du soleil et de la lune, dont les contemporains disent : « C'est Newton dans la bouche de Virgile. » Il est reçu par les grands érudits de l'époque, et entretient notamment une correspondance importante avec le docteur Johnson et avec Voltaire. En 1763, la nationalité française lui est offerte. Il prend la direction du département des instruments d'optique de la Marine Royale, à Paris, où il vivra jusqu'en 1783. Lalande le considéra comme le plus grand savant vivant. D'Alembert et Laplace seront effrayés par ses idées avancées. En 1785, il se retire à Bassano et se consacre à l'impression de ses œuvres complètes. Il meurt à Milan en 1787.