Hilde avait finalement décidé d'attendre son père sur la jetée. Depuis que son père avait atterri sur le sol norvégien, elle s'était mentalement représenté, au quart d'heure près, ses moindres faits et gestes ainsi que ses réactions. Elle avait noté tous ses horaires sur un bout de papier qu'elle n'avait pas lâché de la journée.
Et s'il se mettait en colère? Mais il devait bien se douter qu'après lui avoir écrit un livre aussi étrange les choses ne pouvaient plus être comme avant.
Elle regarda encore une fois sa montre. Il était dix heures et quart. Il devait arriver d'un instant à l'autre.
Mais qu'est-ce que c'était? N'entendait-elle pas un faible souffle, tout comme dans le rêve de Sophie ?
Elle tourna rapidement la tête. Il y avait vraiment une pré sence, elle en était sûre. Mais une présence de quoi ?
N'était-ce que le charme mystérieux d'une soirée d'été?
L'espace de quelques secondes, elle se crut douée de voyance.
— Ma petite Hilde chérie !
Elle tourna la tête de l'autre côté. C'était son père ! Il l'attendait là-haut dans lejardin.
Hilde se leva et courut vers lui. Ils se retrouvèrent près de la balanœlle, il la souleva de terre et la fît tournoyer dans ses bras.
Hilde avait les larmes aux yeux et le major avait lui aussi du mal à retenir ses larmes.
— Comme tu as grandi, Hilde ! Une vraie petite femme, dis donc !
— Et toi, tu es devenu un vrai écrivain, répondit Hilde en s'essuyant les yeux avec la manche de sa robe jaune.
— Alors on est quittes ?
— On est quittes !
Ils se mirent à table. Hilde voulut savoir en détail tout ce qui s'était passé à l'aéroport de Copenhague et sur le chemin du retour. Ce fut une succession de fous rires.
— Alors tu n'as pas trouvé l'enveloppe dans la cafétéria?
— Je n'ai pas eu une minute pour m'asseoir et boire quelque chose, petite peste, va ! Je meurs littéralement de faim.
— Pauvre petit Papa !
— Le coup de la dinde farcie, c'était une blague, hein?
— Mais non ! J'ai tout préparé. Aujourd'hui, c'est Maman qui fait le service.
Puis il fut bien sûr question du grand classeur et de l'his toire de Sophie et d'Alberto. Pendant qu'ils dissertaient en long et en large, la dinde fut servie avec la salade Waldorf, du vin rose et le pain en forme de tresse.
Son père était en train de dire quelque chose à propos de Platon, quand il fut interrompu par Hilde :
— Chut!
— Qu'y a-t-il?
— Tu n'as pas entendu ? On aurait dit le cri d'une souris...
— Ah?
— Je suis sûre d'avoir entendu quelque chose. Bon, ce n'était peut-être qu'une souris.
— Mais, tu sais, Hilde, le cours de philosophie n'est pas tout à fait terminé.
— Qu'est-ce que tu veux dire?
— Cette nuit, je vais te parler de l'univers.
Avant d'attaquer le repas, il ajouta :
— Hilde est peut-être trop grande à présent pour être sur les genoux de son père, mais pas toi !
Et en disant cela, il attira sa femme Marit sur ses genoux. Elle dut rester là un bon moment avant d'avoir le droit de tou cher au repas.
— Et dire que tu vas avoir quarante ans...
En voyant Hilde courir rejoindre son père, Sophie eut les larmes aux yeux.
Elle ne pourrait jamais l'atteindre!
Elle enviait tellement Hilde d'être une vraie personne en chair et en os...
Au moment où Hilde et le major passèrent à table, elle enten dit Alberto klaxonner de la voiture.
Sophie leva les yeux. Et Hilde, ne faisait-elle pas de même ?
Elle sauta dans la voiture et s'assit à côté d'Alberto.
— On va rester là un petit moment pour voir quelle tournure prennent les événements, dit-il.
Sophie acquiesça
— Tu as pleuré ?
Sophie fît un nouveau signe de tête.
— Mais que se passe-t-fl?
— Elle en a de la chance d'exister réellement... Elle va gran dir et devenir une vraie femme. Elle pourra certainement un jour avoir des enfants...