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Sa curiosité commençait à prendre le pas sur l’instinct, aussi s’approcha-t-elle pour apprendre directement de quoi il était question. Toutefois les négociations paraissaient terminées car les hommes du village se détournèrent tandis que les deux autres revenaient près de leurs montures.

Ils repartirent immédiatement dans la direction d’où ils étaient venus. Elle resta plantée à les suivre des yeux, se demandant si elle n’allait pas partir à leur suite.

Quand ils disparurent parmi les arbres qui bordaient le ruisseau, elle se faufila entre deux maisons pour escalader la levée de terrain derrière le village. Quelques instants, puis elle vit les hommes émerger du bosquet. Ils arrêtèrent leurs chevaux.

Ils s’entretinrent pendant cinq minutes, regardant plusieurs fois vers le village.

Elle restait hors de vue, dans le haut taillis épais qui recouvrait toute la butte. L’un des hommes leva soudain la main à l’adresse de l’autre et tourna bride. Il partit au galop vers des collines lointaines, tandis que l’autre s’en allait en sens inverse, au pas tranquille de sa monture.

Elle retourna au village et alla trouver Luiz.

— Que voulaient-ils ?

— Ils ont besoin d’hommes pour certains travaux.

— Avez-vous donné votre accord ?

Il parut évasif :

— Ils reviendront demain.

— Paieront-ils ?

— En nourriture. Regardez.

Il lui tendit un morceau de pain qu’elle accepta. Il était frais et brun et sentait bon.

— Où se le sont-ils procuré ?

Luiz haussa les épaules :

— Ils ont aussi d’autres aliments.

— Vous en ont-ils remis ?

— Non.

Elle fronça les sourcils, se demandant à nouveau quels pouvaient être ces hommes.

— Rien d’autre ?

— Seulement ceci.

Il lui montra un petit sac, qu’elle ouvrit. À l’intérieur, il y avait une poudre blanche grossière qu’elle renifla.

— Ils prétendent que cela fait pousser les fruits.

— En ont-ils beaucoup ?

— Autant qu’il nous en faudra.

Elle reposa le sac sur le sol et retourna à l’atelier de l’église. Elle échangea quelques paroles avec le père Dos Santos puis se rendit rapidement aux écuries pour seller son propre cheval.

Elle sortit du village par le cours d’eau asséché et prit la même direction que le deuxième homme.

2

Derrière le village s’étendait une large zone de terrain buissonneux, parsemée d’arbres. Bientôt, elle aperçut le deuxième homme à quelque distance devant elle. Il menait toujours son cheval au pas vers une zone plus boisée au-delà de laquelle coulait une rivière.

Elle maintenait l’écart entre eux, ne voulant pas se faire voir avant d’avoir découvert où il allait. Quand il pénétra dans le sous-bois, elle le perdit de vue et mit pied à terre. Elle mena alors son cheval par la bride, aux aguets. Bientôt elle entendit le bruit de la rivière, peu profonde en cette saison et dont le lit était parsemé de cailloux.

Elle vit d’abord le cheval, attaché à un arbre. Elle immobilisa de même le sien et poursuivit son chemin à pied. L’air était tiède et calme sous les arbres ; elle se sentait couverte de poussière après la course. Elle se demanda soudain ce qui l’avait incitée à suivre cet homme alors que sa raison l’avertissait qu’elle courait des risques. Toutefois, le comportement de l’homme et de son compagnon au village avait paru mystérieux, mais pacifique.

Elle adopta la prudence pour s’approcher de la lisière du bois. Puis elle s’immobilisa, contemplant l’eau, de la berge peu élevée.

L’homme était là ; elle l’examina avec curiosité.

Il avait ôté sa cape. Elle reposait avec ses bottes, près d’un petit tas de vêtements. Il était entré dans le ruisseau et jouissait visiblement de la fraîcheur de l’onde. Totalement inconscient de la présence de la jeune femme, il donnait des coups de pied dans l’eau, soulevant des éclaboussures étincelantes. Peu après, il se pencha pour prendre de l’eau dans ses paumes et s’en asperger le visage et le cou.

Il fit demi-tour, sortit de la rivière et se pencha au-dessus de son équipement. Il tira d’un étui de cuir noir un objet qu’elle crut reconnaître comme une petite caméra vidéo, suspendit l’étui par la courroie à son épaule, et y relia l’appareil à l’aide d’un petit fil. Cela fait, il ajusta une saillie de métal sur le côté.

Il posa la caméra un instant pour dérouler un long morceau de papier qu’il posa sur le sol et étudia pensivement durant quelques secondes. Il ramassa la caméra et retourna au bord de l’eau.

Il braqua lentement l’appareil vers l’amont pendant une ou deux secondes, puis l’abaissa et pivota. Il le pointa vers la rive opposée, puis – lui causant une frayeur – dans sa direction à elle. Elle se laissa vivement tomber au sol et, comme il ne réagissait pas, pensa qu’il ne l’avait pas vue. Quand elle le regarda de nouveau, l’objectif était dirigé vers l’aval.

Il revint à son rouleau de papier et y inscrivit soigneusement quelques symboles.

Toujours sans se hâter, il remit la caméra dans l’étui, roula le papier et le rangea parmi son équipement.

Il s’étira longuement, puis se gratta l’occiput. Il retourna d’un pas négligent sur la berge, et s’assit, les pieds dans l’eau. Un moment, avec un long soupir, il s’étendit sur le dos, les yeux fermés.

Elle l’examina de près. Il paraissait assez inoffensif. Il était grand et bien musclé, le visage et les bras bien brunis. Il avait les cheveux longs, en broussaille, une grande crinière d’un auburn clair. Il portait la barbe. Elle estima qu’il avait dans les trente-cinq ans. Malgré sa barbe, son visage aux traits nets était jeune, souriant du bonheur purement animal de sentir ses pieds au frais par une chaude et sèche journée.

Des mouches tournoyaient autour de sa figure et de temps à autre il les chassait d’un geste paresseux.

Encore quelques instants, puis mi-marchant, mi-glissant, elle descendit la berge, déclenchant devant elle une minuscule avalanche de terre.

La réaction de l’homme fut instantanée. Il s’assit, jeta un coup d’œil circulaire et se releva. Ce faisant, il eut un geste maladroit, et, dérapant, tomba à plat ventre, les pieds battant l’eau.

Elle éclata de rire.

Il reprit pied et se précipita sur son matériel. Quelques secondes après il avait un fusil en main.

Elle cessa de rire… mais il n’épaula pas le fusil. Au contraire, il dit quelques mots dans un si mauvais espagnol qu’elle ne le comprit pas.

Elle ne parlait elle-même que très peu l’espagnol. Elle reprit donc dans la langue du village :

— Je n’avais pas l’intention de me moquer de vous.

Il secoua la tête, puis l’inspecta du regard. Elle ouvrit les mains pour montrer qu’elle n’était pas armée et lui adressa un sourire qu’elle espérait rassurant. Il parut comprendre qu’elle ne constituait pas une menace pour lui et posa son fusil à terre.