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— Ils sont tous fous, dit le vieux Tubab, qui paraissait très déprimé. Lyubov n’était pas comme ça quand il venait à Tuntar. Il était ignorant, mais sensé. Mais ceux-là, ils se disputent, ils se moquent du vieil homme, et ils se détestent les uns les autres, comme ça, et il contorsionna son visage fourré de gris pour imiter les expressions des Terriens, dont bien sûr il n’avait pu suivre les paroles.

— C’est ce que tu leur as dit, Selver, qu’ils étaient fous ?

— Je leur ai dit qu’ils étaient malades. Mais enfin, ils ont été vaincus, et blessés, et enfermés dans cette cage de pierre. Après un tel traitement, n’importe qui serait malade et aurait besoin d’être soigné.

— Qui pourrait les soigner, dit la chef de Berre, leurs femmes sont toutes mortes. Dommage pour eux. Pauvres monstres – ce sont de grandes araignées nues, beuh !

— Ce sont des hommes, des hommes, comme nous, des hommes, répliqua Selver d’une voix aiguë et tranchante comme un couteau.

— Oh, mon cher seigneur dieu, je le sais, je voulais seulement dire qu’ils ressemblaient à des araignées, répondit la vieille femme en lui caressant la joue. Écoutez, vous autres, Selver est épuisé par tous ces allers et retours entre Endtor et Eshsen, asseyons-nous ici pour nous reposer un peu.

— Pas ici, dit Selver.

Ils se trouvaient encore dans les Terres Coupées, parmi les souches et les pentes herbues, directement sous le ciel.

— Quand nous serons sous les arbres…

Il trébucha, et ceux qui n’étaient pas des dieux l’aidèrent à marcher le long du chemin.

Sept

Davidson trouva une bonne utilisation du magnétophone du major Muhamed. Quelqu’un devait faire un enregistrement des événements qui se déroulaient sur la Nouvelle Tahiti, une histoire de la crucifixion de la Colonie Terrienne. Ainsi, quand les astronefs arriveraient de la Terre Mère, ils pourraient apprendre la vérité. Comme ça, les générations futures pourraient savoir à quel point les humains étaient capables de trahison, de folie et de lâcheté, et de courage face à l’adversité. Pendant ses moments libres – quelques instants seulement depuis qu’il avait pris le commandement – il enregistra toute l’histoire du Massacre du Camp Smith, et mit à jour les enregistrements concernant la Nouvelle Java, ainsi que King et Central, du mieux qu’il put en fonction du baratin hystérique et dénaturé qui constituait les seules nouvelles envoyées depuis le Q.G. de Central.

Personne ne saurait jamais ce qui s’était réellement passé là-bas, à part les créates, car les humains tentaient de couvrir leurs propres trahisons et leurs erreurs. Néanmoins, le canevas était clair. Une bande organisée de créates, menée par Selver, avait eu la possibilité de pénétrer dans l’Arsenal et dans les Hangars, et s’était servie de la dynamite, des grenades, des fusils et des lance-flammes pour détruire complètement la ville et abattre les humains. Il y avait eu des sabotages à l’intérieur, le fait que le Q.G. ait sauté le premier en était la preuve. Lyubov en était, bien sûr, et ses petits copains verts s’étaient montrés aussi reconnaissants qu’on pouvait s’y attendre, et ils lui avaient coupé la gorge comme aux autres. Du moins, Gosse et Benton affirmaient l’avoir vu mort le lendemain matin du massacre. Mais pouvait-on réellement croire un seul d’entre eux ? On pouvait penser que tous les humains encore en vie à Central cette nuit-là étaient plus ou moins des traîtres. Traîtres à leur race.

Ils affirmaient que toutes les femmes étaient mortes. C’était assez moche, mais le pire était qu’il n’y avait aucune raison de le croire. Il était facile aux créates de faire des prisonniers dans les bois, et rien ne devait être plus aisé que d’attraper une fille terrifiée s’enfuyant d’une ville en flammes. Et ces petits diables verts n’aimeraient-ils pas mettre la main sur une fille humaine pour faire des expériences sur elle ? Dieu seul savait combien il y avait encore de ces filles en vie dans les terriers à créates, attachée dans un de ces trous souterrains et puants, en train de se faire toucher, sentir, renverser et souiller par ces répugnants petits hommes-singes poilus. C’était impensable. Mais, bon Dieu, il faut parfois être capable d’imaginer l’impensable.

Une puce de King avait lancé aux prisonniers de Central un émetteur-récepteur le lendemain du massacre, et Muhamed avait dès lors enregistré toutes ses conversations avec Central. La plus incroyable était un dialogue entre lui et le colonel Dongh. La première fois qu’il l’avait passée, Davidson avait arraché la bande de la bobine et l’avait brûlée. Maintenant, il aurait aimé l’avoir conservée, pour l’inclure dans le dossier comme preuve parfaite de la totale incompétence des chefs de camp de Central et de la Nouvelle Java. Il avait cédé à son emportement, et l’avait détruite. Mais comment pouvait-il rester assis là en écoutant les enregistrements du colonel et du major en train de discuter leur reddition totale aux créates, acceptant de ne pas tenter les moindres représailles, de ne pas se défendre, d’abandonner toutes leurs armes lourdes, de se presser tous ensemble sur un petit bout de terrain que les créates clôtureraient pour eux, comme une réserve concédée par leurs généreux vainqueurs, les petites bestioles vertes. C’était incroyable. Littéralement incroyable.

Sans doute le vieux Ding Dong et Mu ne trahissaient-ils pas volontairement. Ils étaient devenus dingues, tout simplement, ils avaient craqué. C’était cette foutue planète qui leur avait fait ça. Il fallait posséder une très forte personnalité pour la supporter. Il y avait quelque chose dans l’air, peut-être les pollens de tous ces arbres, agissant peut-être comme une sorte de drogue, qui rendait les humains ordinaires aussi stupides et désaxés que les créates. Alors, submergés comme ils l’étaient par le nombre des ennemis, ils étaient mûrs pour se faire balayer.

C’était dommage d’avoir dû éliminer Muhamed, mais il n’aurait jamais voulu accepter les plans de Davidson, c’était évident ; il était complètement foutu. Quiconque aurait écouté cet incroyable enregistrement l’aurait aussitôt reconnu. Mieux valait pour lui d’avoir été abattu avant de comprendre réellement ce qui se passait, et aucune honte ne s’attacherait à son nom, comme elle s’attacherait à celui de Dongh et à ceux des autres officiers encore en vie à Central.

Dongh n’était pas venu à la radio ces derniers temps. C’était généralement Juju Sereng, l’ingénieur. Davidson et Juju se voyaient souvent avant son départ pour Java, et il l’avait considéré comme son ami, mais on ne pouvait plus faire confiance à personne désormais. Et Juju était aussi un asiatiforme. C’était vraiment bizarre qu’ils aient été aussi nombreux à échapper au Massacre de Centralville ; de tous ceux auxquels il avait parlé, le seul non-asiate était Gosse. Ici, à Java, les cinquante-cinq hommes fidèles qui étaient restés après la réorganisation étaient des eurafs comme lui-même, quelques afros et afrasiens, mais pas un seul asiate pur. Le sang parle, après tout. On ne peut pas être complètement humain si l’on n’a pas dans les veines un peu de sang du Berceau de l’Humanité. Mais ça ne l’empêcherait pas de sauver ces pauvres salauds jaunes de Central, cela aidait seulement à comprendre que leur moral se fût effondré à cause de la tension.

— Est-ce que tu ne peux pas te rendre compte du genre de problèmes que tu nous crées, Don ? avait demandé Juju Sereng de sa voix monocorde. Nous avons formellement établi une trêve avec les créates. Et la Terre nous a directement interdit de nous occuper des evis et de lancer des représailles. Et de toute façon, comment diable pourrions-nous lancer des représailles ? Maintenant, tous les gars de King et de Central Sud sont ici avec nous et nous sommes encore moins de deux mille, et combien êtes-vous sur Java, environ soixante-cinq, pas vrai ? Tu crois vraiment que deux mille hommes peuvent lutter contre trois millions d’ennemis intelligents, Don ?