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Et c’est pourquoi, durant une seconde, des larmes perlèrent aux yeux de Davidson à la vue du vaisseau de sa patrie. Il n’en eut pas honte. C’était un patriote, voilà tout.

Mais il se mit bientôt à sourire, en descendant les rues de cette ville-frontière dont les larges extrémités ne débouchaient pas sur grand-chose. Car heureusement les femmes se trouvaient là, et l’on pouvait s’apercevoir que c’étaient des nouvelles. La plupart d’entre elles étaient vêtues de longues jupes moulantes, de grosses chaussures ressemblant à des galoches, rouges, violettes ou dorées, et elles avaient mis des chemisiers plissés, or ou argent. Plus de coups d’œil dans les décolletés. La mode avait changé, dommage. Elles portaient toutes la chevelure relevée sur le crâne, et ce devait être vaporisé avec leur espèce de colle. Vraiment affreux, mais c’était le genre de choses que seules les femmes osent faire à leurs cheveux, et cela en devenait donc provocant. Davidson sourit à une petite euraf aux seins plantureux, ayant plus de chevelure que de tête ; il ne reçut aucun sourire en retour, mais un mouvement de recul des hanches avait clairement répondu : Suis-moi suis-moi suis-moi. Mais il n’en fit rien. Pas encore. Il se dirigea vers le Q.G. de Central : Bâtiment Standard en vitopierre et plastiplaque, 40 bureaux, 10 distributeurs d’eau et un arsenal au sous-sol, et signala son arrivée au Commandement Central de l’Administration Coloniale de la Nouvelle Tahiti. Il rencontra quelques membres de l’équipe de la chaloupe, remplit une demande afin d’obtenir du Bureau Forestier un semirobo-écorceur neuf, et pria son vieux copain Juju Sereng de le retrouver au Bar du Luau à quatorze heures.

Il arriva au bar une heure plus tôt pour manger un morceau avant de commencer à boire. Lyubov s’y trouvait, assis en compagnie de quelques gars portant l’uniforme de la Flotte, des spécialistes qui avaient atterri avec la chaloupe du Shackleton. Davidson n’avait pas une très haute estime de la Flotte, une bande de saute-soleils farfelus qui laissaient à l’Armée le soin de se crotter en accomplissant le boulot sale et dangereux de surface ; mais il fallait tenir compte des galons, et de toute manière c’était plutôt drôle de voir Lyubov jouer au copain avec tous ceux qui portaient l’uniforme. Il discutait, agitait sans cesse les mains en faisant de grands gestes. En passant, Davidson lui tapota l’épaule et lui lança : « Salut, mon vieux Raj, quoi de neuf ? » et il poursuivit son chemin sans attendre le regard renfrogné de Lyubov, bien qu’il eût horreur de le manquer. C’était vraiment drôle comme Lyubov le détestait. Ce gars-là était sans doute efféminé, comme beaucoup d’intellectuels, et la virilité de Davidson devait l’irriter. De toute façon, Davidson n’avait pas l’intention de perdre son temps à détester Lyubov, il n’en valait pas la peine.

Le Luau lui servit un succulent steak de venaison. Qu’auraient-ils dit sur la vieille Terre en voyant un homme avaler un kilo de viande en un seul repas ? Ces pauvres mangeurs de soja ! Puis Juju arriva – comme Davidson l’avait secrètement espéré – en compagnie de la fine fleur des nouvelles Collies : deux beautés pulpeuses, pas des Épouses, mais des Récréatives. Oh, cette vieille Administration Coloniale avait parfois de bonnes idées ! L’après-midi fut long et chaud.

En revenant vers le camp, il traversa la mer au niveau du Détroit de Smith, et le soleil reposait au sommet d’un grand lit de brouillard doré qui s’étendait sur l’eau. Il chanta en se prélassant dans le siège du pilote. La Terre de Smith lui apparut brumeuse, et de la fumée s’élevait au-dessus du camp, en un épais nuage noir, comme si l’on avait mis du mazout dans le brûleur de déchets. Il ne pouvait même plus voir les bâtiments au travers. Ce ne fut qu’en se posant sur le terrain d’atterrissage qu’il aperçut les restes carbonisés, les puces démolies, le hangar qui se consumait.

Il fit redécoller la puce et vint survoler le camp à faible altitude, si bas qu’il faillit heurter le haut cône du brûleur, la seule chose qui demeurait encore debout. Le reste avait disparu, la scierie, le four, l’entrepôt de bois, le Q.G., les cabanes, les quartiers, l’enclos des créates, tout. Des carcasses et des débris noircis qui fumaient encore. Mais ce n’avait pas été un incendie de forêt. La forêt était encore là, bien verte, tout près des ruines. Davidson revint au terrain d’atterrissage, se posa et se mit à courir à la recherche de la moto, mais elle aussi n’était plus qu’une carcasse noire reposant parmi les ruines puantes et calcinées du hangar aux machines. Il redescendit au pas de course le chemin qui menait au camp. En passant devant ce qui avait été la cabane de radio, son cerveau s’enclencha. Sans hésiter une seconde, il changea de direction, sortit du chemin et fit le tour de la cabane effondrée. Là il s’arrêta. Pour écouter.

Il ne restait personne. Tout était silencieux. Les feux s’étaient éteints depuis longtemps ; seul le grand tas de billes continuait de se consumer, laissant apercevoir des taches rouge vif sous la cendre et le charbon. Ces tas allongés de cendres avaient valu plus cher que l’or. Mais aucune fumée ne s’élevait plus des squelettes noircis des cabanes et des baraquements ; et il y avait des os parmi les cendres.

Le cerveau de Davidson était remarquablement clair et actif, maintenant, et il s’accroupit derrière les restes de la radio. Il y avait deux possibilités. Un : une attaque d’un autre camp. Un officier de King ou de la Nouvelle Java était devenu dingue et tentait un coup de planète. Deux : une attaque de l’extérieur. Il revit la tour dorée sur le quai de Central. Mais si le Shackleton avait voulu passer à la piraterie, pourquoi aurait-il commencé par détruire un petit camp au lieu de prendre Centralville ? Non, ce devait être une invasion, des étrangers. Une quelconque race inconnue, à moins que les Cétiens ou les Hainiens n’aient décidé de s’emparer des colonies terriennes. Il n’avait jamais fait confiance à ces foutus humanoïdes bien trop malins à son gré. Ils avaient dû faire ça avec une bombe à chaleur. Les forces d’invasion, avec leurs avions, leurs véhicules aériens, leurs nuclés, avaient pu facilement se cacher sur une île ou un récif, n’importe où dans le Quart Sud-Ouest. Il devait retourner à sa puce pour donner l’alerte, puis tenter d’examiner les environs, en reconnaissance, pour pouvoir communiquer au Q.G. son évaluation de la situation. Il était en train de se relever lorsqu’il entendit des voix.

Pas des voix humaines. Un caquetage aigu et doux. Des étrangers.

Il se laissa tomber à quatre pattes, derrière le toit de plastique de la cabane, qui maintenant reposait sur le sol, déformé par la chaleur en une sorte d’aile de chauve-souris. Il resta immobile à écouter.

Quatre créates marchaient à quelques mètres devant lui, sur le chemin. C’étaient des créates sauvages, complètement nus à l’exception de leur ceinture de cuir lâche, à laquelle étaient accrochés des couteaux et des bourses. Aucun d’eux ne portait les shorts et le collier de cuir attribués aux créates domestiques. Les Volontaires de l’enclos avaient dû être brûlés en même temps que les humains.

Ils firent halte non loin de sa cachette, discutant dans leur lent caquetage, et Davidson retint son souffle. Il ne voulait pas qu’ils le découvrent. Que diable pouvaient bien faire des créates à cet endroit ? Ils ne pouvaient que servir d’espions ou d’éclaireurs à des envahisseurs.