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- L'homme dont je parle a été condamné pour assassinat, précisa Seth. Il était jeune. C'est lui qui a provoqué l'incendie qui a détruit la prison, et il s'est évadé.

Le mendiant l'observa, mi-surpris, mi-amusé.

- Qui a provoqué l'incendie ! s'exclama-t-il, incrédule. L'incendie a pris dans les chaudières. C'est une valve d'huile qui a explosé. Je n'étais pas dans ma cellule, c'était mon jour de corvée. C'est ce qui m'a sauvé.

- Cet homme a préparé l'incendie, insista Seth. Et maintenant il veut tuer mes amis.

Le mendiant hocha la tête, sceptique, mais acquiesça.

- C'est possible, fiston, mais quelle importance aujourd'hui ? En tout cas, moi, je ne me ferais pas trop de souci pour tes amis. Cet homme, ton Jawahal, ne peut plus leur faire grand mal.

Seth fronça les sourcils, confondu.

- Pourquoi dites-vous ça, monsieur ?

Le mendiant rit.

- Fiston, la nuit de l'incendie, je n'avais même pas ton âge. J'étais le plus jeune de la prison. Cet homme, même s'il a existé, doit avoir aujourd'hui plus de cent ans.

Seth porta les mains à ses tempes, totalement perdu.

- Un moment ! C'est bien en 1916 que la prison a brûlé ?

- 1916 ?

Le mendiant rit de nouveau.

- Fiston, d'où sors-tu ? Curzon Fort a brûlé le matin du 26 avril 1857. Ça fait exactement soixante-quinze ans.

Bouche bée, Seth dévisagea le mendiant, qui l'observait avec curiosité et une certaine considération pour la consternation qu'il exprimait.

- Comment t'appelles-tu, fiston ?

- Seth, monsieur.

- Je suis désolé ne pas avoir pu t'aider, Seth.

- Vous l'avez fait. Et moi, est-ce que je peux vous aider en quelque chose, monsieur ?

Les yeux du mendiant brillèrent au soleil et un sourire amer affleura sur ses lèvres.

- Est-ce que tu connais un moyen de remonter le temps, Seth ? demanda-t-il en regardant ses paumes.

Seth fit lentement non de la tête.

- Alors, tu ne peux pas m'aider. Retourne maintenant avec tes amis, Seth. Mais ne m'oublie jamais.

- Soyez-en sûr, monsieur.

Le mendiant sourit une dernière fois et, levant la main en signe d'adieu, il fit demi-tour et rentra dans les ruines de la prison détruite. Seth le vit disparaître dans l'ombre et reprit sa route sous le soleil ardent de la matinée. Un voile de nuage noir approchait en serpentant à l'horizon, telle une tache de sang se répandant lentement dans un bassin.

Michael s'arrêta au pied de la rue qui conduisait à la maison d'Aryami Bosé et contempla, interdit, les restes fumants de ce qui avait été la demeure de la vieille dame. Depuis la cour, les curieux observaient silencieusement la police en train de fouiller dans les décombres et d'interroger les voisins. Il s'approcha rapidement et s'ouvrit un chemin dans le cercle de badauds et d'habitants consternés par l'incendie. Un officier de la police lui barra le passage.

- Désolé, mon garçon. On ne passe pas, l'informa-t-il sur un ton qui n'admettait pas de réplique.

Michael regarda, par-dessus les épaules de l'homme, deux de ses collègues soulever une poutre effondrée sur laquelle des petites flammes couraient encore.

- Et la femme qui vit ici ? demanda-t-il.

Le policier lui adressa un regard à mi-chemin entre le soupçon et l'ennui.

- Tu la connaissais ?

- C'est la grand-mère de mes amis. Où est-elle ? Elle est morte ?

L'officier l'observa pendant quelques secondes sans modifier son attitude. Finalement, il hocha la tête négativement.

- Il n'y a pas de trace d'elle. Un voisin prétend avoir vu quelqu'un descendre la rue en courant, peu après que les flammes eurent jailli du toit. Maintenant, fiche le camp. Je t'en ai déjà raconté plus que je ne devrais.

- Merci, monsieur, dit Michael en s'extrayant de la masse humaine qui se pressait, dans l'attente d'éventuelles découvertes macabres.

Une fois libéré de la foule des curieux et des voisins, Michael examina les maisons contiguës en quête de possibles indices susceptibles de lui suggérer où la vieille dame avait pu fuir, emportant avec elle le secret dont Seth et lui venaient tout juste de comprendre l'existence. Les deux extrémités de la rue se perdaient dans l'entassement de maisons, de bazars et de palais de la ville noire. Aryami Bosé pouvait être n'importe où.

Pendant quelques instants, le garçon considéra diverses possibilités, puis il décida d'aller vers l'ouest, en direction des rives du Hooghly. Là, des milliers de pèlerins entraient dans les eaux sacrées du delta du Gange pour obtenir la purification du ciel et n'y gagner, la plupart du temps, que des fièvres et des maladies.

Sans se retourner vers les ruines de la maison dévorée par les flammes, Michael marcha en plein soleil, se faufilant dans la foule qui peuplait les rues et les submergeait dans un brouhaha d'appels de marchands, de discussions agitées et de prières que personne n'écoutait. La voix de Calcutta. Derrière lui, à une vingtaine de mètres, une forme enveloppée dans une cape noire sortit des méandres d'une ruelle et lui emboîta le pas dans la multitude.

Ian ouvrit les yeux dans la lumière de midi avec la claire certitude que son insomnie chronique n'était pas prête à lui concéder davantage que ces quelques heures de répit pour répondre à la fatigue éprouvée après les derniers événements. À en juger par la consistance de la lumière qui baignait la chambre de la tour ouest de la maison de l'ingénieur Chandra, il calcula qu'on devait croiser le méridien de la mi-journée. L'appétit tenace qui l'avait assailli à l'aube revint se manifester impitoyablement et le fit grincer des dents. Comme plaisantait parfois Ben en parodiant les propos du maître Tagore, dont le château se trouvait à peu de mètres de là, quand le ventre parle, l'homme sage écoute.

Il sortit silencieusement de la chambre et vérifia que Sheere et Ben continuaient de jouir d'un enviable repos dans les bras de Morphée. Il soupçonnait qu'à leur réveil, même Sheere ne serait pas mécontente de régler son compte à la première denrée comestible qu'elle trouverait à portée de main. En ce qui concernait Ben, aucun doute n'était permis. En ce moment, son ami devait rêver d'un plateau couvert de délices culinaires et d'un somptueux gâteau de Chhana, ainsi que du mélange de jus de citron vert et de lait brûlant dont les gosiers bengalis étaient fous.

Conscient que le sommeil avait déjà été plus charitable avec lui qu'il ne l'espérait, Ian décida de s'aventurer au-dehors, à la recherche de provisions capables de satisfaire son appétit et celui de ses compagnons. Il songea qu'avec un peu de chance il serait de retour avant même qu'ils aient eu tous les deux le temps de bâiller.

Il traversa la salle de la grande maquette et se dirigea vers l'escalier en spirale, constatant avec satisfaction qu'à la lumière du jour la maison était considérablement moins inquiétante. Le rez-de-chaussée n'avait pas changé et les murs l'isolaient de la température extérieure avec une prodigieuse efficacité. Il n'avait pas de mal à imaginer la chaleur suffocante qui devait imposer sa loi au-dehors, pourtant, on avait l'impression que la demeure de l'ingénieur se trouvait au pays de l'éternel printemps. Il traversa sur la mosaïque plusieurs galaxies d'un pas léger et ouvrit la porte, sûr de ne pas oublier la combinaison de la serrure originale qui scellait le sanctuaire privé de Chandra Chatterghee.

Le soleil frappait impitoyablement l'épais jardin, et le petit lac qui, dans la nuit, lui était apparu comme une plaque d'ébène poli renvoyait à présent un éclat intense sur la façade de la maison. Il se dirigea vers la sortie du tunnel secret sous le pont de bois et, un moment, se laissa bercer par l'illusion que, à la lumière d'une journée resplendissante et brûlante comme celle-là, les menaces qui l'avaient tourmenté pendant la nuit pouvaient s'évanouir avec la même facilité qu'une statue de glace dans le désert.