Выбрать главу

— Vraiment, Deb, me plaignis-je. J’ai failli perdre une chaussure. Qu’est-ce qui presse autant ?

Deborah fronça les sourcils, accélérant pour s’insérer dans le tout petit espace qui séparait deux voitures, une manœuvre que seul un conducteur de Miami aurait tentée.

— Je ne sais pas, répondit-elle en actionnant la sirène.

Je clignai des yeux et tentai d’élever la voix au-dessus du vacarme.

— La personne au central ne t’a rien dit ?

— Est-ce que tu l’as déjà entendue bégayer ?

— Non, pourquoi, Deb ? C’était le cas ?

Après avoir dépassé un bus scolaire, Deb se déporta et s’engagea sur le 836 en faisant vrombir le moteur.

— Ouais, répondit-elle. Elle donna un coup de volant afin d’éviter une BMW remplie de jeunes qui lui firent tous des gestes obscènes.

— Je crois que c’est un homicide.

— Ah oui ?

— Ouais, répondit-elle, puis elle se concentra sur la conduite et je la laissai tranquille. La vitesse en voiture me rappelle toujours que je suis mortel, en particulier sur les routes de Miami. Quant à savoir pourquoi la personne au standard avait bégayé, nous le découvririons bien assez tôt, surtout à cette allure ; je suis toujours partant pour les émotions fortes.

En quelques minutes, Deb réussit à arriver à proximité du stade Orange Bowl sans avoir causé d’accident fatal en chemin, et nous rejoignîmes les rues du centre-ville ; la voiture tourna et vira plusieurs fois avant de venir terminer sa course sur le trottoir qui longeait une maison de NW 4th Street. Celle-ci était bordée de chaque côté d’habitations identiques, toutes petites et proches les unes des autres, chacune avec son propre mur ou sa clôture grillagée. La plupart étaient peintes de couleurs vives et avaient une cour pavée.

Deux voitures de police étaient déjà garées devant la maison, toutes lumières clignotantes. Deux agents en uniforme étaient en train de dérouler le ruban jaune pour délimiter la scène, et dès que je mis un pied par terre je vis un troisième flic assis au volant de l’une des voitures, la tête entre les mains. Sous le porche de la maison, un quatrième se tenait aux côtés d’une dame assez âgée. Il y avait deux petites marches menant à la porte d’entrée ; elle était assise sur celle du haut. Elle paraissait occupée tout à la fois à pleurer et à vomir. Non loin de là un chien hurlait, répétant la même note, indéfiniment.

Deborah marcha d’un pas décidé vers l’agent le plus proche. C’était un type brun, trapu, la quarantaine, dont l’expression suggérait qu’il aurait bien voulu lui aussi aller s’asseoir dans la voiture et se prendre la tête entre les mains.

— Quelle est la situation ? lui demanda Deb, en montrant son badge.

Le flic secoua la tête sans nous regarder et s’écria :

— Je ne retourne pas là-dedans, même si ça doit me coûter ma retraite. Et il se détourna, manquant se cogner contre l’une des voitures garées, puis continua à dérouler le ruban jaune comme si cela avait pu le protéger de ce qu’il avait vu à l’intérieur.

Deborah dévisagea le flic, puis se tourna vers moi. Pour être très franc, je ne trouvai rien d’utile ou d’intelligent à lui dire si bien que, pendant quelques secondes, nous restâmes plantés là à nous fixer sans échanger un mot. Le ruban bruissait dans le vent, et le chien continuait à hurler, une sorte de tyrolienne bizarre qui ne faisait que renforcer mon antipathie pour l’espèce canine. Deborah secoua la tête.

— Qu’est-ce qu’ils attendent pour faire taire ce putain de chien ? lâcha-t-elle, tout en se baissant vivement afin de passer sous le ruban jaune, avant de se diriger vers la maison. Je la suivis. Au bout de quelques pas, je m’aperçus que les cris du clebs se rapprochaient. Il devait être dans la maison ; c’était sans doute le chien de la victime. Il n’est pas rare qu’un animal réagisse mal au décès de son propriétaire.

Nous nous arrêtâmes devant les marches, et Deborah leva les yeux vers l’agent, lisant son nom sur l’uniforme.

— Coronel. Cette dame est un témoin ?

— Ouais, répondit-il sans nous regarder. C’est Mrs. Medina. C’est elle qui a appelé le commissariat. Sur quoi la vieille dame se pencha en avant et eut un haut-le-cœur.

Deborah fronça les sourcils.

— Qu’est-ce qu’il a ce chien ? demanda-t-elle au flic.

Coronel émit un son à mi-chemin entre le rire et le renvoi, mais il ne répondit pas et ne nous regarda pas non plus.

Je suppose que Deborah avait eu sa dose et on pouvait difficilement lui en vouloir.

— Qu’est-ce qui se passe là-dedans, bordel ? s’écria-t-elle.

Coronel tourna la tête vers nous. Son visage était totalement dénué d’expression.

— Allez voir vous-même, dit-il, puis il se détourna à nouveau. Deborah fut sur le point de répondre quelque chose, mais elle changea d’avis. Au lieu de quoi, elle me regarda et haussa les épaules.

— On n’a qu’à aller jeter un coup d’œil, lui dis-je, en espérant que ma voix ne trahissait pas mon impatience. En réalité, j’étais pressé de voir ce qui pouvait provoquer une telle réaction de la part des flics de Miami. Le sergent Doakes pouvait très bien m’empêcher de créer mes propres œuvres, mais il ne pouvait pas m’interdire d’admirer la créativité des autres. Après tout, c’était mon travail : n’est-il pas normal d’aimer son métier ?

Deborah, quant à elle, affichait une certaine répugnance à entrer, ce qui ne lui ressemblait pas. Elle lança un regard vers la voiture où l’agent se tenait toujours immobile, la tête entre les mains. Puis elle regarda de nouveau Coronel et la vieille dame, avant de se tourner vers la porte d’entrée de la petite maison. Elle prit une profonde inspiration, expira l’air d’un coup puis lança : « O.K. Allons-y. » Mais elle ne bougea pas, alors je me faufilai sur le côté, passai devant elle et poussai la porte.

La pièce du devant était plongée dans l’obscurité, tous les rideaux et les stores ayant été tirés. Il y avait un vieux fauteuil qui avait l’air de provenir de chez un chiffonnier. Sa housse était si sale qu’il était impossible de dire de quelle couleur elle était censée être. Il trônait devant une petite télé posée sur une table de jeu pliante. En dehors de ces quelques meubles, la pièce était vide. Une porte située en face de l’entrée laissait passer un filet de lumière, et les cris du chien paraissaient provenir de là, alors je m’avançai dans cette direction, vers l’arrière de la maison.

Les animaux ne m’aiment pas, ce qui prouve qu’ils sont bien plus intelligents que l’on ne croit. Ils semblent sentir ma vraie nature, et ils manifestent leur objection, exprimant souvent leur opinion de façon très appuyée. J’étais donc un peu réticent à approcher un chien qui, de toute évidence, était déjà si contrarié. Mais je m’avançai vers la porte, lentement, restant optimiste. « Gentil toutou ! » appelai-je. Ça n’avait pas vraiment l’air d’un gentil toutou ; on aurait plutôt dit un pitbull décérébré et enragé. Mais je m’efforce toujours de faire bonne contenance, même avec nos amis les chiens. Arborant l’expression avenante de quelqu’un qui adore les animaux, je m’approchai de la porte battante qui, visiblement, menait à la cuisine.

Au moment où je touchai la porte, je perçus un frémissement inquiet de la part du Passager Noir et je marquai un temps d’arrêt. Quoi ? demandai-je. Mais je n’obtins pas de réponse. Je fermai les yeux quelques secondes, mais la page était vierge : aucun message secret ne vint s’imprimer sur l’envers de mes paupières. Je haussai les épaules, poussai la porte et pénétrai dans la cuisine.