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— Ce n’est pas vrai, répliquai-je, pensant à ces actes sublimes que je n’avais pas encore été autorisé à commettre ; le seul fait de les imaginer excluait toute possibilité d’appartenance à la catégorie des gens bien. Sans compter que la plupart des autres choupinets boutonneux aux hormones en furie, qui étaient en général considérés comme de bons gars, entretenaient autant de ressemblance avec moi que des orangs-outans. Mais Harry ne voulait rien savoir.

— Si, je t’assure. Et tu dois me croire. Tu as bon cœur, en fait, Dex…, dit-il. Et sur ces paroles il fut pris d’une quinte de toux absolument épique. Elle me sembla durer plusieurs minutes, puis il laissa aller faiblement sa tête contre son oreiller. Il ferma les yeux quelques instants, mais lorsqu’il les rouvrit c’était à nouveau les yeux bleu acier de Harry, plus vifs que jamais dans la pâleur verdâtre de son visage de mourant.

— Sois patient, dit-il, et il réussit à prononcer ces mots avec vigueur, malgré la terrible souffrance et la faiblesse qu’il devait éprouver. Tu as encore beaucoup à apprendre, et moi je n’en ai plus pour très longtemps, Dexter.

— Oui, je sais, répondis-je. Il ferma les yeux.

— C’est exactement ce que je cherche à t’expliquer, dit-il. Tu es censé dire : Non, ne t’inquiète pas, tu as encore plein de temps devant toi.

— Mais ce n’est pas vrai, rétorquai-je, ne sachant trop où il voulait en venir.

— Tu as raison. Mais les gens font semblant. Pour que je me sente mieux.

— Et ça te fait te sentir mieux ?

— Non, répondit-il en rouvrant les yeux. Mais tu ne peux pas recourir à la logique concernant le comportement des hommes. Tu dois être patient, observer et apprendre. Sinon, tu te planteras. Tu te feras prendre et… La moitié de mon héritage. Il ferma les yeux de nouveau, et je perçus l’effort dans sa voix. Ta sœur sera un bon flic. Toi… Il sourit lentement, d’un air un peu triste. Tu seras autre chose. La vraie justice. Mais seulement si tu es patient. Si la chance n’est pas de ton côté, Dexter, attends qu’elle le soit.

Tous ces conseils étaient véritablement accablants pour un apprenti monstre de dix-sept ans. Je ne souhaitais rien d’autre que de passer à l’Acte, quoi de plus simple ? Aller danser au clair de lune avec la lame luisante qui volait dans ma main – un acte si aisé, si naturel, si doux – afin d’en finir avec toute cette absurdité et d’en venir au vif du sujet. Mais je ne pouvais pas. Harry rendait les choses compliquées.

— Je ne sais pas ce que je ferai quand tu seras mort, dis-je.

— Tu te débrouilleras très bien.

— Il y a tellement de choses à se rappeler.

Harry tendit une main et appuya sur la sonnette qui pendait au bout d’un cordon près de son lit.

— Tu t’en souviendras, dit-il. Il lâcha le cordon, qui retomba mollement sur le côté du lit, semblant lui avoir arraché ses dernières forces. Tu t’en souviendras. Il ferma les yeux et l’espace d’un instant je me retrouvai seul dans la pièce. Puis l’infirmière entra d’un air affairé avec une seringue et Harry ouvrit un œil.

— On ne peut pas toujours faire ce qu’on estime devoir faire. Alors quand tu n’as pas le choix, tu attends, poursuivit-il, tout en tendant son bras à l’infirmière. Quelle que soit… la pression… que tu puisses ressentir.

Je le regardai, allongé là, supportant la piqûre sans broncher et n’ignorant pas que le soulagement qu’elle apportait serait temporaire, que sa fin était proche, qu’il n’y pouvait rien changer, et je savais qu’il n’avait pas peur, qu’il subirait cette épreuve comme il le devait, de la même façon qu’il avait toujours tout fait dans sa vie. Et je savais aussi que Harry me comprenait. Personne d’autre ne m’avait jamais compris, et personne d’autre ne me comprendrait jamais, pour le reste des temps. Il n’y avait que Harry.

Ma seule raison d’avoir parfois souhaité être un être humain, c’était de lui ressembler davantage.

CHAPITRE XI

Alors je fus patient. Ce n’était pas facile, mais c’était ce qu’aurait voulu Harry. Je devais laisser tranquille le ressort en acier luisant, tendu et prêt à l’action, et attendre en silence, guetter, retenir la douce et tiède détente dans sa boîte froide bien close jusqu’à ce que ce soit le moment parfait « façon Harry » pour la laisser filer et virevolter dans la nuit. Tôt ou tard une ouverture apparaîtrait et nous pourrions nous faufiler dehors et entamer nos cabrioles. Tôt ou tard je découvrirais une manière de faire tiquer Doakes.

J’attendis.

Certaines personnes, bien sûr, trouvent l’attente plus difficile à supporter que d’autres, et à peine quelques jours plus tard, un samedi matin, mon téléphone se mit à sonner.

— Nom de Dieu ! s’écria Deborah sans préambule. J’étais presque soulagé d’entendre qu’elle avait retrouvé son bon vieux mauvais caractère.

— Bien, merci, et toi ? répondis-je.

— Kyle me fait tourner en bourrique, enchaîna-t-elle. Il me dit qu’il n’y a rien d’autre à faire qu’attendre, mais il ne veut pas m’expliquer ce qu’on attend. Il disparaît pendant dix ou douze heures d’affilée et refuse de me dire où il va. Puis on continue à attendre. Je suis tellement fatiguée d’attendre que j’en ai mal aux dents.

— La patience est une vertu, déclarai-je.

— M’en fous de la vertu, rétorqua-t-elle. Et j’en ai ras-le-bol du petit sourire condescendant de Kyle dès que je lui demande comment on peut attraper ce type.

— Ma pauvre Deb, je ne sais pas ce que je peux faire à part t’offrir ma compassion. Je suis désolé pour toi.

— Je crois que tu peux beaucoup plus que ça.

Je soupirai bruyamment, afin d’en faire profiter Deborah. Les soupirs passent très bien au téléphone.

— C’est l’inconvénient d’avoir une réputation de tireur d’élite, Deb. Tout le monde croit que je peux abattre l’ennemi du premier coup, et à chaque fois.

— Oui, c’est ce que je crois, répondit-elle.

— Ta confiance en moi me réchauffe le cœur, Deborah, mais je ne comprends absolument rien au genre d’aventure auquel nous sommes confrontés cette fois. Elle me laisse totalement froid.

— Il faut que je trouve ce type, Dexter. Je veux mettre le nez de Kyle dans son caca.

— Je croyais qu’il te plaisait. Elle émit un grognement.

— Bon Dieu, Dexter. Tu n’y connais vraiment rien aux femmes ! Bien sûr qu’il me plaît. C’est justement pour ça que je veux lui mettre le nez dedans.

— Ah, bon, tout s’éclaire !

Elle se tut quelques secondes puis, d’un ton ingénu, reprit :

— Kyle m’a appris plusieurs petites choses intéressantes à propos de Doakes.

Je sentis mon ami aux dents acérées s’étirer légèrement au fond de moi et se mettre à ronronner.

— Tu deviens très subtile tout à coup, Deborah. Tu n’avais qu’à me demander.

— C’est ce que j’ai fait, et tout ce que tu as trouvé à me dire c’est que tu ne pouvais pas m’aider, rétorqua-t-elle, soudain redevenue elle-même, cette chère Deb si directe. Bon, alors. Qu’est-ce t’as pour moi ?

— Rien pour l’instant, répondis-je.

— Merde, lâcha-t-elle.

— Mais je pourrais peut-être trouver quelque chose.

— Pour quand ?

Je dois avouer que j’étais un peu contrarié par l’attitude que Kyle avait eue envers moi. Qu’avait-il dit ? Que je serais dans la merde, et quelqu’un allait tirer la chasse d’eau. Non, mais sans rire, qui avait écrit son dialogue ? Et cet accès de subtilité de la part de Deborah, un domaine qui m’était traditionnellement réservé, n’arrangeait pas les choses. Alors je n’aurais pas dû lui faire ce plaisir, mais je répondis :