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À présent que nous avions un appât pour le Docteur Danco, la prochaine étape était de réussir à l’attirer dans un endroit précis au moment approprié, et la fête de Vince Masuoka était une trop belle coïncidence pour ne pas en tirer parti. Pendant les quelques heures qui suivirent, nous roulâmes à travers la ville chacun à bord de notre voiture et répétâmes le même message plusieurs fois, avec des variations subtiles, afin de mettre toutes les chances de notre côté. Nous nous étions également assuré le concours de deux unités de patrouille qui, d’après Doakes, étaient susceptibles de ne pas merder. J’interprétai ses paroles comme une marque d’humour discret, mais les policiers en question ne semblèrent pas saisir la plaisanterie et même s’ils n’allèrent pas jusqu’à trembler, ils manifestèrent un certain empressement à certifier au sergent Doakes qu’ils ne merderaient pas. C’était merveilleux de collaborer avec un homme qui inspirait une telle loyauté.

Notre petite équipe passa le reste de la journée à inonder les ondes de baratin sur la fête, donnant les indications pour s’y rendre, et rappelant aux gens l’heure à laquelle les réjouissances commençaient. Juste après le déjeuner, nous donnâmes le coup de grâce. Assis dans ma voiture devant un restaurant Wendy’s, je pris la radio portative pour appeler une dernière fois le sergent Doakes, et nous récitâmes notre dialogue soigneusement préparé à l’avance.

— Sergent Doakes, ici Dexter, vous me recevez ?

— Ici Doakes, dit-il après un court silence.

— Ça me toucherait beaucoup que vous puissiez venir à la fête ce soir.

— Je ne peux aller nulle part, répondit-il. Ce type est trop dangereux.

— Venez juste boire un verre. Vous n’êtes pas obligé de rester, insistai-je.

— Vous avez vu ce qu’il a fait à Manny, et Manny n’était qu’un troufion. Je suis celui qui l’a vendu à des salauds. S’il met la main sur moi, qu’est-ce qu’il va me faire ?

— Je vais me marier, sergent. Ça n’arrive pas tous les jours. Et puis il ne tentera rien avec tous ces flics partout.

Il y eut un long silence théâtral pendant lequel je savais que Doakes comptait jusqu’à sept, comme nous en avions convenu. Puis la radio crépita de nouveau.

— Bon, d’accord, dit-il. Je passerai vers neuf heures.

— Merci, sergent, répondis-je avant d’ajouter, ravi de me prêter à ce jeu : Ça me touche beaucoup. Terminé.

— Terminé.

J’espérais que quelque part dans la ville notre petite pièce radiophonique atteignait le public visé. Tandis qu’il se lavait minutieusement les mains avant d’entamer sa chirurgie, s’interromprait-il en dressant la tête pour écouter ? En entendant son scanner diffuser la belle voix mélodieuse du sergent Doakes, peut-être qu’il poserait sa scie et s’essuierait les mains afin de noter l’adresse. Puis il reprendrait joyeusement son ouvrage - Kyle Chutsky ? - avec la satisfaction de quelqu’un qui a une tâche à accomplir et la perspective, ensuite, d’une soirée bien remplie.

Pour ne rien laisser au hasard, nos amis des unités de patrouille avaient ordre de répéter le message plusieurs fois et sans merder, à savoir que le sergent Doakes en personne se rendrait à la fête aux alentours de neuf heures.

Quant à moi, ayant momentanément rempli ma mission, je pris la route de l’hôpital Jackson Memorial pour rendre visite à mon oiseau préféré qui s’était cassé une aile.

Deborah occupait une chambre du sixième étage ayant une superbe vue sur l’autoroute ; elle était assise dans son lit, le haut de son corps recouvert par un plâtre. Je ne doutais pas qu’elle fût sous calmants, et pourtant elle avait l’air tout sauf calmée lorsque j’entrai dans sa chambre.

— Bon sang, Dexter, me lança-t-elle en guise de bonjour. Dis-leur de me laisser sortir, bordel. Ou alors donne-moi mes fringues pour que je puisse partir.

— Je suis content de voir que tu vas mieux, ma chère sœur, répondis-je. Tu seras rétablie en un rien de temps.

— Je serai rétablie dès qu’ils me rendront mes putains de vêtements, rétorqua-t-elle. Merde, ça en est où maintenant ? Qu’est-ce que vous avez fait ?

— J’ai mis en place avec Doakes un piège assez subtil, et c’est Doakes qui sert d’appât, expliquai-je. Si Danco mord à l’hameçon, on l’attrapera ce soir lors de, euh, ma fête. La fête de Vince, rectifiai-je. Et je m’aperçus que je cherchais à occulter le plus possible cette histoire de fiançailles. Je m’y prenais de manière vraiment stupide, mais j’en éprouvais tout de même un certain réconfort, ce qui apparemment n’était pas le cas de Deb.

— La fête de tes fiançailles, dit-elle avant de poursuivre d’un ton hargneux : Bravo. Tu t’es démerdé pour que Doakes accepte de se laisser piéger pour toi.

Et j’avoue que présentée comme ça, ma stratégie ne manquait pas de classe, mais je ne voulais pas qu’elle aille s’imaginer des choses : les gens malheureux guérissent plus lentement.

— Non, Deborah, sérieusement, dis-je, de ma voix la plus rassurante. On fait ça pour arrêter le Docteur Danco.

Elle me regarda longuement d’un air furieux puis, à ma grande surprise, elle renifla et essuya une larme.

— Je suis obligée de te croire, dit-elle. Mais je déteste cette situation. Je passe mon temps à me demander ce qu’il est en train de faire à Kyle.

— Ça va marcher, Deb. On va le récupérer, répondis-je et, parce que, malgré tout, c’était ma sœur, je n’eus pas le cœur d’ajouter : avec juste quelques morceaux en moins peut-être.

— Putain, je déteste être coincée ici, lâcha-t-elle. Vous avez besoin que je vous couvre.

— On va s’en sortir, Deb. Il y aura une douzaine de flics à la fête, tous armés et très dangereux. Et je serai là aussi, dis-je, un peu vexé qu’elle sous-estime ainsi ma présence.

Mais elle ne tint aucun compte de ma remarque.

— Ouais. Si Doakes choppe Danco, on récupère Kyle. Si c’est Danco qui choppe Doakes, tu es tiré d’affaire. Très astucieux, Dexter. Dans tous les cas, tu es gagnant.

— Ça ne m’avait pas traversé l’esprit, mentis-je. Je le fais pour la bonne cause. De toute manière, Doakes est censé être très fort à ce genre de truc. Et il connaît Danco.

— Nom de Dieu, Dex, ça me rend folle. Et si… Elle s’interrompit et se mordit la lèvre. Y’a intérêt à ce que ça marche. Il a Kyle depuis trop longtemps.

— Ça va marcher, Deborah, la rassurai-je.

Mais ni elle ni moi n’étions réellement convaincus.

* * *

Les docteurs insistèrent fermement sur la nécessité de garder Deborah en observation vingt-quatre heures de plus. Aussi après avoir chaleureusement pris congé de ma sœur, je partis au galop dans le soleil couchant et regagnai mon appartement pour prendre une douche et me changer. Qu’allais-je me mettre ? J’ignorais totalement ce qui se portait cette saison-là pour participer à une fête qui vous était imposée, afin de célébrer des fiançailles dont vous ne vouliez pas et qui, en outre, risquait de se transformer en une confrontation violente avec un fou épris de vengeance. Les chaussures marron étaient exclues, évidemment. Mais à part ça, rien ne me semblait vraiment de rigueur. Après mûre réflexion, je me laissai simplement guider par le bon goût, et finis par choisir une chemise hawaïenne vert jaune ornée de guitares électriques rouges et de voitures de course roses. Sobre mais élégant. Un pantalon kaki et des baskets, et me voilà fin prêt.

Mais il me restait encore une heure avant de devoir m’y rendre, et je me surpris à repenser à Cody. Mon intuition à son sujet était-elle juste ? Si oui, comment pourrait-il faire face, tout seul, à son Passager naissant ? Il avait besoin de mes conseils, et je m’aperçus que j’avais hâte de les lui donner.