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— John Edgar Hoover ? lui avais-je demandé.

— Tu y es presque. Carmen Miranda, avait-il répondu avant de nous conduire vers une fontaine de punch meurtrier. J’en avais bu une gorgée puis j’avais préféré m’en tenir aux boissons gazeuses, mais évidemment c’était avant ma conversion en un robuste mâle buveur de bière. Il y avait eu le martèlement continu d’une musique techno-pop monotone, dont le volume poussé à fond visait à induire une trépanation générale sans anesthésie, et la fête était devenue tout simplement délirante.

Autant que je sache, Vince n’en avait pas organisé d’autres depuis, ou en tout cas pas d’aussi importantes. Néanmoins, le souvenir avait dû rester gravé dans les mémoires car il n’avait eu aucun mal à rassembler une foule enthousiaste pour assister à mon humiliation avec un seul jour de préavis. Comme promis, des films cochons étaient projetés sur de multiples écrans vidéo qu’il avait disposés un peu partout, même dehors dans le patio. Et bien sûr, il y avait l’inévitable fontaine de punch.

Et parce que les rumeurs concernant la première fête étaient encore fraîches dans les esprits, celle-ci avait attiré un tas de gens tapageurs, surtout des hommes, qui attaquèrent le punch comme si l’on avait annoncé qu’un prix serait décerné à celui qui parviendrait le premier à des lésions cérébrales irréversibles. Je reconnaissais quelques-uns des fêtards. Angel-aucun-rapport était là, de même que Camilla Figg et une poignée d’hurluberlus du labo médico-légal, plus quelques flics que je connaissais, dont les quatre qui avaient réussi à ne pas merder pour le sergent Doakes. Le reste des participants semblait avoir été ramassé à South Beach ; on avait dû les choisir pour leur talent à émettre de grands « Wouhou ! » suraigus dès que la musique changeait ou que les écrans vidéo montraient des séquences particulièrement scabreuses.

Très vite, la soirée se transforma en quelque chose que nous regretterions tous pendant très longtemps. À neuf heures moins le quart, j’étais le seul à pouvoir encore tenir debout sans l’aide de personne. La plupart des flics étaient postés près de la fontaine de punch et formaient un triste cercle où les coudes se levaient les uns après les autres. Angel-aucun-rapport était allongé sous la table et dormait à poings fermés, le sourire aux lèvres. Il ne portait plus de pantalon, et quelqu’un lui avait rasé une bande de cheveux au milieu du crâne.

Il me sembla, dans ces circonstances, que c’était le moment idéal pour me glisser dehors sans me faire remarquer, afin de vérifier si le sergent Doakes était arrivé. Je me trompais. J’avais à peine esquissé un pas en direction de la porte qu’un énorme poids me tomba dessus. Je fis aussitôt volte-face pour constater que Camilla Figg tentait de s’enrouler autour de mon dos.

— Salut, me dit-elle avec un sourire joyeux mais étrangement flottant.

— Bonjour, répondis-je d’un ton jovial. Tu veux boire quelque chose ?

Elle fronça les sourcils.

— J’ai pas envie de boire. J’voulais juste dire bonjour. Elle fronça davantage les sourcils.

— Bon sang, ce que t’es mignon, ajouta-t-elle. J’ai toujours eu envie de te l’dire.

Bon, cette pauvre Camilla était de toute évidence soûle, mais quand même… Mignon ? Moi ? Je suppose que l’abus d’alcool peut troubler la vue, mais il y avait des limites. Que pouvait donc avoir de mignon quelqu’un qui était plus enclin à vous découper en rondelles qu’à vous serrer la main ? Et quoi qu’il en soit, avec Rita, j’avais déjà plus que ma dose en matière de femmes. Si ma mémoire était correcte, Camilla et moi n’avions encore jamais échangé plus de trois mots. C’était bien la première fois qu’elle témoignait le moindre intérêt à mon égard. Elle avait même plutôt paru m’éviter, préférant rougir et détourner le regard que me dire bonjour. Et maintenant elle était pratiquement en train de me violer. Où était la logique ?

Quoi qu’il en soit, j’avais d’autres priorités que tenter de décrypter le comportement humain.

— Merci beaucoup, répondis-je en essayant de me dégager sans causer de blessures sérieuses à aucun de nous deux. Elle avait noué ses mains autour de mon cou et je m’efforçai de les détacher, mais on aurait dit des crampons.

— Je crois que tu as besoin de prendre l’air, Camilla, dis-je, espérant qu’elle comprendrait l’allusion et s’éclipserait dehors. Au lieu de quoi, elle se rapprocha encore davantage, écrasant son visage contre le mien tandis que je reculais, pris de panique.

— J’ai assez d’air ici, répliqua-t-elle. Elle avança les lèvres en une grosse moue comme pour m’embrasser puis me repoussa des mains, si bien que je me cognai contre une chaise et manquai tomber.

— Ah… Tu veux t’asseoir ? demandai-je, plein d’espoir.

— Non, répondit-elle, en m’attirant vers son visage avec une force qui me parut multipliée par deux. Je voudrais baiser.

— Ah, tiens, balbutiai-je, choqué par cette audace absolue et par l’absurdité de la situation. Toutes les femmes étaient-elles donc folles ? Enfin, les hommes ne valaient guère mieux. La fête autour de moi ressemblait à un tableau de Jérôme Bosch, avec Camilla prête à m’entraîner derrière la fontaine, où un gang aux becs d’oiseaux devait attendre pour l’aider à me ravir. Mais il me vint brusquement à l’esprit que j’avais désormais une excuse parfaite pour contrecarrer ce projet.

— Je vais me marier, tu sais. J’avais beau avoir du mal à me faire à l’idée, il était normal que j’en tire quelque peu parti de temps en temps.

— Saaalaud, va, marmonna Camilla. Magnnnifique saaa-laud. Elle s’affaissa soudain et ses bras lâchèrent mon cou. Je réussis à la rattraper de justesse et à l’empêcher de tomber.

— Très certainement, dis-je. Mais en tout cas je crois que ça te fera du bien de t’asseoir un peu. Je m’efforçai de l’installer sur la chaise, mais c’était comme essayer de verser du miel sur une lame de couteau : elle se laissa couler au sol.

— Magnnnifique saaalaud, répéta-t-elle avant de fermer les yeux.

Il est toujours agréable de se savoir estimé de ses collègues, mais ce petit interlude romantique avait duré plusieurs minutes, et il me fallait à tout prix sortir pour aller voir le sergent Doakes. Aussi, laissant Camilla dormir paisiblement bercée par ses rêves d’amour innocents, je me dirigeai de nouveau vers la porte d’entrée.

… Mais je tombai aussitôt dans un autre guet-apens : cette fois c’est mon bras qui fut sauvagement attaqué. Vince en personne m’empoignait le biceps, me tirant vers l’intérieur de la maison et me replongeant aussitôt dans le surréalisme.

— Hé ! hurla-t-il sur un air de tyrolienne. Hé, le roi de la soirée. Où est-ce que tu vas ?

— Je crois que j’ai laissé mes clés dans la voiture, répondis-je, en essayant de me dégager de sa prise mortelle. Mais il serra plus fort encore.

— Non, non, non, dit-il, en me ramenant vers la fontaine. C’est ta fête, tu ne vas nulle part.

— C’est une fête fantastique, Vince, mais il faut vraiment que je…

— Que tu boives, répliqua-t-il, avant de plonger un verre dans la fontaine et de le pousser vers moi en éclaboussant ma chemise. Voilà ce qu’il te faut. Banzaï ! Il leva son propre verre et le vida d’un trait. Heureusement pour tout le monde, il s’étrangla à moitié et fut pris d’une quinte de toux ; je parvins alors à m’échapper tandis qu’il se pliait en deux et tentait vainement de reprendre sa respiration.