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La musique s’était arrêtée, et la lumière ne brillait plus.

Je restai figé ainsi pendant plusieurs minutes. Rien ne se passa, si ce n’est que le paon cessa son bruit de clairon. Et, avec un dernier marmottement agressif dans ma direction, il remonta en haut de son arbre en battant des ailes. Puis les sons nocturnes revinrent : les cliquetis et le ronron des insectes, un autre grognement suivi d’un plouf du côté des alligators. Mais plus de Tito Puente. Je savais que le Docteur Danco observait et écoutait lui aussi, que chacun de nous attendait que l’autre se manifeste, sauf que je pouvais attendre plus longtemps. Il n’avait pas la moindre idée de ce qui le guettait dehors dans le noir – il pouvait tout aussi bien s’agir d’un commando armé que d’une chorale d’étudiants – tandis que je savais qu’il était seul. Je savais où il était ; lui ignorait s’il y avait quelqu’un sur le toit ou même s’il était encerclé. Il faudrait donc qu’il tente quelque chose le premier, et il n’y avait que deux solutions. Soit il attaquait, soit…

De l’autre côté de la maison s’éleva le ronflement soudain d’un moteur, et alors que je sentais mes muscles se raidir involontairement, le bateau à hélice s’éloigna de la jetée. Le moteur vrombit plus fort, puis l’embarcation fila le long du canal. En moins d’une minute, il avait disparu au détour d’un virage, emportant dans la nuit le Docteur Danco.

CHAPITRE XXV

Durant quelques minutes, je restai là où j’étais, à observer la maison, surtout par prudence : je n’avais pas vraiment vu le conducteur du bateau ; il était possible que le Docteur soit encore tapi à l’intérieur, attendant de voir ce qui se passe. Mais pour être parfaitement honnête, je ne souhaitais pas non plus me faire de nouveau attaquer par une espèce de gallinacé criard et vorace.

Au bout d’un moment, comme rien ne se produisait, j’estimai qu’il fallait que j’entre à l’intérieur pour jeter un coup d’œil. Alors, contournant le plus loin possible l’arbre où était perché l’oiseau de malheur, je m’approchai de la maison.

Elle était plongée dans la pénombre, mais pas complètement silencieuse. Tandis que je me tenais devant la porte à moustiquaire défoncée qui donnait sur l’aire de parking, j’entendis une sorte de frottement provenir de l’intérieur, suivi par un grognement rythmique entrecoupé de geignements. Cela n’avait pas l’air d’être le genre de bruits que ferait quelqu’un préparant une embuscade mortelle. C’était plutôt les sons qu’aurait émis une personne attachée essayant de se libérer. Le Docteur Danco, dans sa précipitation, avait-il abandonné le sergent Doakes ?

De nouveau, je sentis le tréfonds de mon cerveau envahi par un sentiment de tentation extatique. Le sergent Doakes, mon ennemi personnel, ligoté à l’intérieur, emballé comme un paquet-cadeau et laissé à mon intention dans des conditions parfaites. Il y aurait tous les instruments et le matériel dont je pouvais avoir besoin, personne à des kilomètres à la ronde et, quand j’aurais terminé, tout ce qu’il me suffirait de dire, c’était : “Désolé, je suis arrivé trop tard. Regardez ce que cet horrible Docteur Danco a fait au pauvre sergent Doakes.” C’était une pensée enivrante, et je crois même que je tanguai légèrement en y goûtant. Bien sûr, ce n’était qu’une idée comme ça ; je ne ferais jamais rien de tel, n’est-ce pas ? Hein, sérieusement ? Dexter ? Allô ? Comment se fait-il que tu salives, mon cher ami ?

Absolument pas. Mais enfin ! J’étais un modèle de vertu dans le désert spirituel qu’était le sud de la Floride. Presque toujours. J’étais un chevalier probe, à la tenue impeccable, monté sur son Destrier Noir. Dexter le Pur, accourant au secours des plus faibles. En théorie, du moins. Car tout bien considéré… J’ouvris la porte et entrai.

Dès que je fus à l’intérieur, je m’aplatis contre le mur, juste au cas où, et cherchai à tâtons un interrupteur. J’en trouvai un et l’allumai.

Comme dans le premier lieu de débauche de Danco, il y avait très peu de meubles. De nouveau, la caractéristique essentielle de la pièce était une large table placée en son centre. Un miroir était accroché au mur d’en face. Sur la droite, un chambranle dépourvu de porte menait à ce qui devait être la cuisine ; et sur la gauche il y avait une porte, fermée, sans doute une chambre ou une salle de bains. En face de là où je me tenais se trouvait une autre porte à moustiquaire menant vers l’extérieur : c’était certainement par là que le Docteur Danco s’était enfui.

Et à l’extrémité de la table, se débattant furieusement à présent, j’aperçus quelque chose vêtu d’une combinaison orange clair. Cela avait une apparence humaine, même vu depuis l’autre bout de la pièce. “Par ici, oh, s’il vous plaît, aidez-moi, aidez-moi”, disait la forme. Je traversai la pièce et m’agenouillai à côté.

Ses bras et ses jambes, naturellement, étaient retenus par du ruban adhésif : c’était la méthode employée par n’importe quel monstre un tant soit peu expérimenté. Tout en coupant ses liens, je l’examinai, tandis qu’il se lançait dans une interminable jérémiade :

— Dieu soit loué, oh s’il te plaît, oh mon Dieu. Détache-moi, mon pote. Fais vite, fais vite, nom d’un chien, oh bordel. T’en as mis du temps, nom de Dieu. Merci, je savais que tu viendrais…

Ou quelque chose du genre. Son crâne était complètement rasé, ainsi que ses sourcils. Mais il aurait été impossible de ne pas reconnaître le fort menton viril et les cicatrices qui ornaient le visage. C’était Kyle Chutsky.

Avec juste quelques morceaux en moins.

Lorsque j’eus ôté tout le ruban adhésif et que Chutsky réussit à s’asseoir en se tortillant, je vis que son bras gauche avait été coupé au niveau du coude et que sa jambe droite s’arrêtait au genou. Les moignons étaient enveloppés dans de la gaze blanche impeccable ; rien ne suintait. Du très beau travail, encore une fois, même si je doutais que Chutsky apprécie le soin avec lequel Danco avait enlevé son bras et sa jambe. Quant à savoir s’il avait encore toute sa tête, il m’était difficile de le dire pour l’instant, mais ses pleurnicheries incessantes me donnaient à penser qu’il n’était peut-être pas tout à fait prêt pour prendre les commandes d’un jet.

— Oh, mon pote, s’exclama-t-il. Oh, bordel. Dieu soit loué, tu es venu. Et il laissa aller sa tête contre mon épaule puis se mit à pleurer. Ayant eu récemment une expérience similaire, je sus exactement que faire. Je lui tapotai le dos tout en répétant : « Allons, allons. » C’était encore plus gênant que lorsque je l’avais fait à Deborah parce que le moignon de son bras gauche n’arrêtait pas de cogner mon flanc et, du coup, j’avais plus de mal à feindre la compassion.

La crise de larmes de Chutsky dura juste quelques minutes. Mais lorsqu’il finit par me lâcher, luttant pour garder l’équilibre, ma superbe chemise hawaïenne était trempée. Il renifla un bon coup ; un peu tard pour ma chemise.

— Où est Debbie ? me demanda-t-il.

— Elle s’est cassé la clavicule, lui répondis-je. Elle est à l’hôpital.

— Oh, fit-il, avant de renifler à nouveau, un long bruit mouillé qui sembla se répercuter en lui. Puis il lança un bref regard derrière lui et essaya de se relever. On a intérêt à partir. Il pourrait revenir.

Il ne m’était pas venu à l’esprit que Danco pouvait revenir, mais il avait raison. C’est une tactique courante chez les prédateurs que de s’éloigner puis de rappliquer en douce pour voir qui est en train de flairer leur trace. Si le Docteur Danco faisait ça, il trouverait deux proies plutôt faciles.