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— Vous êtes sûr ?

Deversat se racla la gorge :

— Un juge a été saisi.

Son cœur marqua un raté. Elle avait posé la question au hasard et elle lui revenait avec la violence d’un boomerang.

— Qui a été nommé ?

— Philippe Le Gall.

Elle aurait pu plus mal tomber. Un nouveau, à peine plus âgé qu’elle, tout juste sorti de l’école de la magistrature. Elle avait déjà bossé avec lui une fois. Il ressemblait au juge de l’affaire d’Outreau. Même tête de premier de la classe. Même jeunesse. Même inexpérience.

— On va me dessaisir ?

— Ce n’est pas de mon ressort. À vous de convaincre Le Gall.

— Sur ce dossier, on peut rien me reprocher.

— Anaïs, vous enquêtez sur un meurtre. Lié sans doute aux deux assassinats du Pays basque. Pour l’instant, vous n’avez aucun résultat. La seule chose concrète que vous ayez faite, c’est de laisser filer notre seul suspect.

Elle se remémora ses progrès dans l’affaire. Elle avait identifié la victime. Elle avait identifié un témoin — disons un suspect. Elle avait décrypté le modus operandi du tueur. Pas si mal en trois jours. Mais Deversat avait raison : elle n’avait fait que son boulot. Sérieusement, mais sans génie.

— Il y a autre chose, ajouta le commissaire.

Anaïs tressaillit. Elle s’attendait toujours à être saquée. Pas parce qu’elle était une femme ni parce qu’elle était jeune mais parce qu’elle était la fille de Jean-Claude Chatelet, bourreau du Chili, meurtrier présumé de plus de deux cents prisonniers politiques.

Mais Deversat frappa ailleurs :

— Il paraît que vous êtes liée au suspect.

— Quoi ? Qui a dit ça ?

— Peu importe. Vous avez vu Mathias Freire en dehors du cadre de l’enquête ?

— Non, mentit-elle. Je ne l’ai rencontré qu’une fois pour l’interroger sur un patient. Patrick Bonfils.

— Deux. Vous êtes allée chez lui, le soir du 15 février.

— Vous… vous m’avez fait suivre ?

— Bien sûr que non. C’est un hasard. Un de nos gars a croisé votre voiture devant le domicile de Mathias Freire.

— Qui ?

— Laissez tomber.

Tous des salauds. Tous des balances. Les flics étaient les pires. Le renseignement, c’était leur vice. Leur milieu naturel. Elle dit d’une voix blanche :

— Je l’ai interrogé une autre fois, c’est vrai.

— À 23 heures ?

Elle ne répondit pas. Elle savait maintenant pourquoi on allait lui retirer l’enquête. Les larmes lui montèrent aux yeux.

— Je garde l’affaire ou non ?

— Où en êtes-vous ?

— Je dois assister demain matin à la fouille en profondeur du domicile des deux victimes de Guéthary.

— Vous êtes sûre que c’est votre place ?

— Je rentre dans la matinée. Je vous rappelle que la voiture de Mathias Freire a été retrouvée sur les lieux.

— Les gendarmes sont d’accord ?

— Il n’y a pas de problème.

— Soyez au poste avant midi. Le juge veut vous voir demain après-midi.

— C’est un grand oral ?

— Appelez ça comme vous voudrez. Avant de vous voir, il veut un rapport détaillé sur toute l’affaire. Une synthèse. J’espère que vous n’avez pas sommeil parce qu’il le veut demain matin par mail.

Deversat allait raccrocher mais elle demanda :

— La société ACSP, vous connaissez ?

— Vaguement. Pourquoi ?

— Une de leurs bagnoles pourrait être impliquée dans l’affaire.

— Quelle affaire ?

Elle força un peu les connexions :

— Le massacre de la plage. Que pensez-vous de cette boîte ?

— On a eu affaire à eux dans un cambriolage aux Chartrons. Un hôtel particulier surveillé par leurs vigiles. Une sacrée bande de cons, à mon avis. Des anciens militaires. Vous les avez contactés ?

— Leur directeur, oui. Jean-Michel Saez.

— Qu’est-ce qu’il a dit ?

— Qu’on leur avait volé la bagnole avant les faits. Je vais vérifier.

— Faites attention. Si je me souviens bien, ils ont des connexions haut perchées.

Elle songea à Le Coz : il allait droit au casse-pipe. Une perquisition illégale, fondée sur de simples conjectures. Dans la même seconde, elle décida de ne pas l’appeler. Il lui fallait ces renseignements. Son instinct lui soufflait que quelque chose sortirait de ce côté. Après, il serait toujours temps d’essuyer les plâtres…

Elle descendit se faire un café dans le hall puis remonta au pas de course. Elle ouvrit un nouveau fichier sur son Mac et se mit en devoir de rédiger sa synthèse. Après tout, c’était une bonne occasion de faire le point sur sa propre enquête.

45

La douleur le réveilla en sursaut.

Un noyau de souffrance irradiait ses tripes. Des sillons brûlants partaient de son pubis et montaient jusqu’à ses côtes. L’onde touchait aussi son dos au point de cisailler ses vertèbres.

Il ouvrit les yeux. Les lumières étaient éteintes. L’étage plongé dans le silence. Qu’est-ce qui lui arrivait ? Un gargouillis lugubre dans son estomac lui répondit. Accompagné d’une brûlure précise autour de l’anus. La chiasse. Le fait d’avoir bu du mauvais rouge toute la journée. Ou simplement une gastro-entérite. Ou, plus simplement encore, la trouille. Une trouille qui le hantait depuis la veille et explosait maintenant dans ses entrailles.

Il roula sur le côté, mains sur le ventre, et posa les pieds par terre. La tête lui tournait. Ses jambes tremblaient. La seule urgence : se soulager aux chiottes. Plié en deux, il glissa son couteau dans sa poche et tituba vers la porte du dortoir. Chaque pas provoquait un regain de souffrance.

Il stoppa sur le seuil, s’accrochant au chambranle. Il se souvenait d’avoir repéré des toilettes à l’entrée du couloir. Il n’était même pas sûr de tenir jusque-là…

Il plongea dans l’ombre, en s’appuyant contre le mur, bras repliés contre l’abdomen. Des toux. Des pets. Des ronflements. Il parvint jusqu’aux sanitaires. Pour découvrir une corrida nocturne. Deux assistants tentaient de maîtriser un homme qui se cramponnait à deux mains à un robinet. Janusz ne vit que ses yeux. Infectés de folie. Le gars ne bronchait pas, ne criait pas, il était seulement concentré sur sa prise. Les deux agents non plus, tirant de toutes leurs forces vers l’arrière.

Pas question de se soulager dans cette foire d’empoigne.

Les douches. Elles étaient dotées de toilettes. Il poussa la porte vitrée. Tourna à droite. Se retrouva dans la cour. Un bref instant, l’air glacé l’arracha à sa souffrance. Tout était pétrifié. Même les chiens, sur le toit du premier bloc, s’étaient calmés.

Janusz n’avait aucune idée de l’heure. Il était au cœur de la nuit. Au cœur de son mal. Il se traîna et remonta le bâtiment des marginaux. La salle des douches était éteinte. Il retrouva les portes rouges, le carrelage blanc. Tout avait été nettoyé. Une forte odeur d’eau de Javel flottait. Il poussa une porte. Occupée. Gémissements et flatulences s’en échappaient avec puissance.

La suivante était libre. Il ouvrit la porte d’un coup de tête. Pénétra maladroitement dans l’espace et se retourna. Baissa son froc. S’assit sur la cuvette sans prendre la peine de verrouiller sa porte. La colique lui transperçait le fondement.

Le soulagement lui coupa le souffle.

Il ferma les yeux sous l’effet de la jouissance. Il se vidait. Se libérait du mal… Malgré la douleur qui courait encore, c’était une bénédiction.