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Janusz ouvrit le pan de sa veste, dévoilant le manche de son couteau commando :

— J’ai mon couteau.

— T’as surtout un QI de mouche.

— Tu connais une autre planque ?

— Partis comme on est, vaut mieux rentrer au bercail. À la Madrague.

— Pas question. Tu connais pas un hôtel ?

— Un hôtel ?

— J’ai l’argent. Il doit bien y avoir des chambres à Marseille pour des gars comme nous.

— J’en connais bien un mais…

Janusz sortit un billet de 50.

— Fonce là-bas et donne-moi l’adresse.

Réflexe de méfiance, il ajouta :

— Y a un petit frère pour toi si tu m’attends dans la piaule.

Shampooing eut un sourire édenté et expliqua le chemin à suivre.

— Si demain matin, je suis pas là, avertit Janusz, tu préviens les keufs.

— Les keufs ? Et pis quoi encore ?

— Sinon, tu seras arrêté pour complicité.

— Complicité de quoi ? Qu’est-ce que je leur dis ?

— La vérité. Mon retour. L’agression. Ma volonté d’en savoir plus.

— T’étais pas déjà bien clair avant, mais maintenant, c’est carrément du jus de seiche.

— L’hôtel. Attends-moi là-bas.

Janusz s’élança sans attendre de réponse.

58

Il essayait de courir mais sa jambe blessée lui faisait mal. Par à-coups, il revoyait les crocs du chien plantés dans sa chair. La première chose à faire dans ces cas-là était d’immobiliser le membre touché. C’était réussi. Quant au traitement antibiotique, mieux valait oublier…

Il suivait toujours l’artère principale, ignorant les ruelles perpendiculaires. Une rivière et ses ruisseaux. Il était certain que les prédateurs avaient suivi le même chemin. Il commençait à désespérer de les rattraper quand la rue tourna d’un coup. Il se retrouva à découvert, sur une terrasse dominant la ville.

La surprise le fit reculer dans l’ombre.

Malgré lui, il admira le tableau.

Marseille brillait sous la pluie comme un ciel inversé, jonché d’étoiles. Au-delà, c’était la mer. On ne la voyait pas mais on la devinait, pleine, noire, sans limite.

Le torse en feu, il se pénétra du décor, de l’atmosphère — des ténèbres immergées. Il y cherchait la fraîcheur, l’apaisement. Pour l’instant, il avait l’impression qu’une hémorragie de lave brûlante coulait sous sa cage thoracique.

Des voix le rappelèrent au présent. Il baissa les yeux et découvrit un escalier du même genre que celui qu’il avait grimpé quelques minutes auparavant. En bas, les prédateurs étaient là, dans une flaque de lumière. Ils étaient cinq, sans compter les clébards. Il n’entendait pas ce qu’ils disaient mais il devinait leur colère, leur impuissance, leur essoufflement.

Janusz les examina. Nattes argentées, crêtes rouges ou bleues, crânes rasés portant des tatouages ésotériques. Partout sur leur sale gueule, des piercings. Ils tenaient encore leurs armes. Des battes. Des lames. Des pistolets d’alarme.

Il sourit. Il y avait quelque chose de jouissif à les observer ainsi sans être vu. Ils prirent la direction des docks. Il attendit qu’ils aient disparu de son champ de vision puis dévala l’escalier. La pluie s’était arrêtée mais elle avait laissé partout une pellicule graisseuse, froide et figée.

Ils s’orientèrent vers le nord, empruntant le boulevard surplombé par l’autoroute du littoral. Oubliant sa patte folle, Janusz les suivait à deux cents mètres de distance, passant d’un pilier à l’autre, toujours dans l’ombre. Ils marchèrent ainsi pendant plus d’un kilomètre — il n’était pas certain de ses évaluations. Le boulevard était toujours désert. Le mistral soufflait avec férocité, séchant les traces de l’averse, pétrifiant les flaques.

Enfin, ils prirent à droite et s’enfoncèrent dans des rues mal éclairées. Des blocs se dressaient contre le ciel de goudron. Janusz crut reconnaître le quartier de la Madrague. Ou peut-être celui de Bougainville ? Ils traversèrent des cités-dortoirs, des jardins pelés, des aires de jeux aux portiques rouillés.

Le décor se dégrada encore. Entrepôts condamnés. Fenêtres murées. Champs de terre battue. Au loin, des grues se découpaient, précises, cruelles comme des insectes. Ils marchaient maintenant dans un terrain vague. Des buissons de chiendent grelottaient dans le vent. Des papiers gras, des bouteilles en plastique, des cartons volaient dans l’ombre. Des odeurs d’essence planaient comme une menace. Janusz plissa les yeux et distingua l’objectif des zonards. Un mur couvert de tags, fermant le territoire en friche.

Il était à bout de souffle. Il lui semblait entendre son cœur cogner dans sa poitrine. Tom-tom… Tom-tom… Avec un temps de retard, il comprit qu’il s’agissait d’un bruit de machines se perdant dans l’air humide. Un chantier tournait quelque part. Des engins qui ne dormaient jamais.

Les zonards avaient disparu. Devant lui, il n’y avait plus que le mur aveugle. Les graffitis devaient dissimuler une porte qu’il ne distinguait pas. Il réfléchit à la meilleure stratégie. Il n’y en avait qu’une. Attendre qu’un des connards sorte pisser ou fumer à ciel ouvert. Alors il pourrait attaquer. L’effet de surprise lui donnerait peut-être l’avantage…

Il s’accroupit parmi les buissons. Le froid reprenait déjà le contrôle de son corps. Dans quelques minutes, il commencerait à grelotter puis à se figer. Alors sa température baisserait et…

La porte venait de claquer.

Doucement, tout doucement, il se redressa et observa la silhouette qui traversait l’obscurité. L’homme portait des dreadlocks. Il songea à la créature des films de la série Predator. Ce détail renforça sa trouille et, en même temps, déréalisa la scène. Il évoluait dans un jeu vidéo.

Le type marchait d’un pas incertain. Bourré ou défoncé. Il s’arrêta devant des taillis et soulagea sa vessie. Maintenant ou jamais. Janusz bondit. Ses yeux étaient voilés de larmes. Tout lui paraissait flou, étiré, distordu. Il se cramponna à son couteau, attrapa les nattes du mec à pleines mains et tira de toutes ses forces.

Prédator s’écrasa sur la terre glacée, épaules au sol. Janusz planta sa lame dans la braguette ouverte et murmura, un genou sur son torse, l’autre main sur la bouche du salopard :

— Tu gueules, j’te la coupe.

L’homme ne réagit pas. Son regard était vitreux, ses membres flasques. Complètement stone. Janusz enfonça son couteau plus profondément. Le guerrier réagit enfin, voulant hurler. Janusz lui balança un coup de coude dans le visage. L’homme se débattit encore. Nouveau coup de coude. Craquements. À nouveau, la main sur la bouche. Il sentait les débris de la cloison nasale, les mucosités sanglantes sous ses doigts serrés.

— Tu bouges plus. Tu réponds en secouant seulement la tête, compris ?

Prédator fit « oui ». Janusz cala sa lame sous sa gorge. Encouragé par cette première victoire il demanda :

— Tu m’reconnais ?

Les nattes s’agitèrent : oui.

— Ce soir, vous vouliez me buter ?

Nouveau oui de la tête.

— Pourquoi ?

L’homme ne répondit pas. Janusz comprit avec un temps de retard qu’il ne le pouvait pas : il lui écrasait toujours les lèvres. Il relâcha légèrement son emprise.

— Pourquoi vous vouliez me buter ?

— On… on nous a payés.

— Qui ?

Pas de réponse. Janusz leva le coude :

— QUI ?