Выбрать главу

– N'exagérons pas à présent. Tout au plus, ce sont eux les malades. On ne devient pas fou en étant infirmier dans un asile d'aliénés.

– Ça, c'est encore à prouver.

– Tu sais que je me suis toujours méfié des analogies. Mainte nant, je me trouve dans une fête d'analogies, une Coney Island, un Premier Mai à Moscou, une Année Sainte d'analogies, je m'aperçois que certaines sont meilleures que d'autres et je me demande si par hasard il n'y aurait pas une vraie raison.

– Poum, m'avait dit Lia, j'ai vu tes fiches, parce que c'est moi qui les remets en ordre. Quoi que découvrent tes diaboliques, c'est déjà ici, regarde bien », et elle se tapait le ventre, les flancs, les cuisses et le front. Assise comme ça, les jambes écartées qui tendaient sa jupe, de face, elle donnait l'impression d'une nourrice solide et florissante – elle si fine et flexueuse – parce qu'une sagesse paisible l'illuminait d'autorité matriarcale.

« Poum, il n'y a pas d'archétypes, il y a le corps. Dans le ventre, c'est beau, parce que l'enfant y grandit, que s'y enfile, tout joyeux, ton oiseau et y descend la bonne nourriture pleine de saveur, et voilà pourquoi sont beaux et importants la caverne, l'anfractuosité, la galerie, le souterrain, et même le labyrinthe qui est fait à l'image de nos bonnes et saintes tripes, et quand quelqu'un doit inventer quelque chose d'important, il le fait venir d'ici, parce que tu es venu d'ici toi aussi le jour où tu es né, et la fertilité est toujours dans un trou, où quelque chose d'abord pourrit et puis voilà, un petit Chinois, un dattier, un baobab. Mais le haut est mieux que le bas, car si tu es la tête en bas le sang te monte à la tête, car les pieds puent et les cheveux moins, car il vaut mieux grimper sur un arbre pour cueillir des fruits que finir sous la terre pour engraisser les vers, car on se fait rarement mal en se cognant en l'air (ou alors il faut se trouver au grenier) et d'ordinaire on se fait mal en tombant par terre, et voilà pourquoi le haut est angélique et le bas diabolique. Mais comme ce que j'ai dit avant sur mon joli petit ventre est vrai aussi, l'une et l'autre chose sont vraies : le bas et le dedans sont beaux, en un sens, en un autre sens, le haut et l'extérieur sont beaux, et l'esprit de Mercure et la contradiction universelle n'ont rien à y voir. Le feu te tient chaud et le froid te donne une broncho-pneumonie, surtout si tu es un savant d'il y a quatre mille ans, et donc le feu a de mystérieuses vertus, d'autant qu'il te cuit un poulet. Mais le froid conserve le même poulet et le feu, si tu le touches, te fait pousser une ampoule grosse comme ça, par conséquent si tu penses à une chose qui se conserve depuis des millénaires, comme la sapience, il faut que tu la penses sur une montagne, en haut (et nous avons vu que c'est bien), mais dans une caverne (qui est aussi bien) et au froid éternel des neiges tibétaines (qui est excellent). Et puis si tu veux savoir pourquoi la sapience vient de l'Orient et non pas des Alpes suisses, c'est parce que le corps de tes ancêtres, le matin, quand il s'éveillait et qu'il faisait encore sombre, regardait à l'est en espérant que se lève le soleil et qu'il ne pleuve pas, nom d'un chien.

– Oui, maman.

– Bien sûr que oui, mon petit. Le soleil est bon parce qu'il fait du bien au corps, et parce qu'il a le bon sens de réapparaître chaque jour, par conséquent tout ce qui revient est bon, pas ce qui passe et s'en va et disparaît de la circulation. La meilleure façon de revenir d'où on est passé sans refaire deux fois le même chemin c'est d'avancer en cercle. Et comme l'unique bête qui fait la gimblette est le serpent, de là viennent tous ces cultes et ces mythes du serpent, parce qu'il est difficile de représenter le retour du soleil en faisant faire la gimblette à un hippopotame. Par ailleurs, si tu dois procéder à une cérémonie pour invoquer le soleil, tu as intérêt à te déplacer en cercle, parce que si tu te déplaces en ligne droite tu t'éloignes de chez toi et il faudrait que la cérémonie soit très courte ; sans compter que le cercle est la structure la plus pratique pour un rite, et même ceux qui crachent le feu sur les places le savent, parce qu'en cercle tout le monde voit également qui se tient au centre, tandis que si une tribu entière se mettait en ligne droite comme une escouade de soldats, les plus éloignés ne verraient pas, et voilà pourquoi le cercle et le mouvement rotatoire et le retour cyclique sont fondamentaux dans tout culte et dans tout rite.

– Oui, maman.

– Bien sûr que oui. Et maintenant, passons aux nombres magiques qui plaisent tant à tes auteurs. Un c'est toi qui n'es pas deux, un c'est ton petit machin là, une c'est ma petite machine ici et uns sont le nez et le coeur et donc tu vois combien de choses importantes sont un. Et deux sont les yeux, les oreilles, les narines, mes seins et tes épaules, les jambes, les bras et les fesses. Trois est le plus magique de tous parce que notre corps ne le connaît pas, nous n'avons rien qui soit trois choses, et ce devrait être un nombre très mystérieux, très, que nous attribuons à Dieu, où que nous vivions. Mais si tu y réfléchis, moi j'ai une seule petite chose et toi tu as un seul petit truc – tais-toi et ne fais pas le malin – et si nous mettons les deux ensemble, il sort un nouveau trucmuche et nous devenons trois. Mais alors, il faut vraiment un professeur agrégé de l'université pour découvrir que tous les peuples ont des structures ternaires, trinités et choses de ce genre ? Mais les religions, ils ne les faisaient tout de même pas avec un computer, c'étaient tous des gens très bien, qui baisaient comme il faut, et toutes les structures trinitaires ne sont pas un mystère, elles sont le récit de ce que tu fais toi, de ce qu'ils faisaient eux. Mais deux bras et deux jambes font quatre, et voilà que quatre est aussi un beau nombre, surtout si tu penses que les animaux ont quatre pattes et qu'à quatre pattes vont les petits enfants, comme le savait le Sphinx. Cinq, n'en parlons pas, ce sont les doigts de la main, et avec deux mains tu as cet autre nombre sacré qui est dix, et forcément même les commandements sont au nombre de dix, sinon, s'il y en avait douze, quand le prêtre dit un, deux, trois et montre ses doigts, arrivé aux deux derniers il faut qu'il se fasse prêter une main par le sacristain. A présent, prends le corps et compte toutes les choses qui poussent sur le tronc : avec les bras, les jambes, tête et pénis, il y en a six ; mais pour la femme sept, raison pour quoi il me semble que parmi tes auteurs le six n'est jamais pris au sérieux sauf comme le double de trois, parce qu'il ne marche que pour les hommes, lesquels n'ont aucun sept, et quand ce sont eux qui commandent ils préfèrent le voir comme un nombre sacré, oubliant que mes tétons aussi poussent à l'extérieur, mais patience. Huit – mon Dieu, nous n'avons aucun huit... non, attends, si bras et jambes ne comptent pas pour un mais pour deux, à cause du coude et du genou, nous avons huit grands os longs qui bringuebalent dehors ; tu prends ces huit plus le tronc et tu as neuf, dix si par-dessus le marché tu ajoutes la tête. Mais à toujours tourner autour du corps, tu en tires les nombres que tu veux ; pense aux trous.

– Aux trous ?

– Oui, combien de trous a ton corps ?

– Eh bien... Je me comptais. Yeux narines oreilles bouche cul, ça fait huit.

– Tu vois ? Une autre raison pour laquelle huit est un beau nombre. Mais moi j'en ai neuf ! Et avec le neuvième je te fais venir au monde, et voilà pourquoi neuf est plus divin que huit ! Mais tu veux une explication d'autres figures récurrentes ? Tu veux l'anatomie de tes menhirs, dont tes auteurs parlent sans arrêt ? On est debout le jour et allongé la nuit – même ton petit machin, non, ne me dis pas ce qu'il fait la nuit ; le fait est qu'il travaille droit et se repose étendu. Par conséquent, la station verticale est vie, et se trouve en rapport avec le soleil, et les obélisques se dressent en l'air comme les arbres, tandis que la station horizontale et la nuit sont sommeil et donc mort, et tous adorent les menhirs, pyramides, colonnes, et personne n'adore les balcons et balustrades. As-tu jamais entendu parler d'un culte archaïque de la rampe sacrée ? Tu vois ? Et c'est aussi que le corps ne te le permet pas : si tu adores une pierre verticale, même si vous êtes une multitude, tout le monde la voit ; si, par contre, tu adores une chose horizontale, seuls ceux qui sont au premier rang la voient, et les autres poussent en disant et moi et moi, et ce n'est pas un beau spectacle pour une cérémonie magique...