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Le colonel avait bu une autre gorgée d'eau. Il était enroué. « Et venons-en à la troisième étape, le Refuge. C'est le Tibet.

– Et pourquoi le Tibet ?

– Mais, avant tout, parce que von Eschenbach raconte que les Templiers abandonnent l'Europe et transportent le Graal en Inde. Le berceau de la race aryenne. Le refuge est Agarttha. Vous avez dû entendre parler d'Agarttha, siège du roi du monde, la cité souterraine d'où les Seigneurs du Monde dominent et dirigent les vicissitudes de l'histoire humaine. Les Templiers ont constitué un de leurs centres secrets là, aux racines mêmes de leur spiritualité. Vous devez connaître les rapports entre le royaume d'Agarttha et la Synarchie...

– A dire vrai, non...

– Ça vaut mieux, il y a des secrets qui tuent. Ne nous égarons pas. En tout cas, tout le monde sait qu'Agarttha a été fondée il y a six mille ans, au début de l'époque du Kali-Yuga, dans laquelle nous vivons encore actuellement. La tâche des ordres chevaleresques a toujours été de maintenir le rapport avec ce centre secret, la communication active entre la sagesse d'Orient et la sagesse d'Occident. Alors, il est clair que le quatrième rendez-vous doit avoir lieu, et dans un autre des sanctuaires druidiques, la cité de la Vierge, c'est-à-dire la cathédrale de Chartres. Chartres, par rapport à Provins, se trouve de l'autre côté du fleuve principal de l'Ile-de-France, la Seine. »

Nous ne parvenions plus à suivre notre interlocuteur : « Mais que vient faire Chartres dans votre parcours celtique et druidique ?

– Mais d'où croyez-vous que sort l'idée de la Vierge ? Les premières vierges qui apparaissent en Europe sont les Vierges noires des Celtes. Le jeune saint Bernard était à genoux dans l'église de Saint-Voirles, devant une Vierge noire et celle-ci pressa de son sein trois gouttes de lait qui tombèrent sur les lèvres du futur fondateur des Templiers. D'où les romans du Graal, pour procurer une couverture aux croisades, et les croisades pour retrouver le Graal. Les bénédictins sont les héritiers des druides, tout le monde sait ça.

– Mais où sont-elles donc ces Vierges noires ?

– Ceux qui voulaient corrompre la tradition nordique et transformer la religiosité celtique en religiosité méditerranéenne, en inventant le mythe de Marie de Nazareth, les ont fait disparaître. Ou bien les ont déguisées, dénaturées, telles les si nombreuses madones noires qu'on expose encore au fanatisme des masses. Mais si on prend la peine de lire les images des cathédrales, comme a fait le grand Fulcanelli, on voit que cette histoire est racontée en lettres claires et en lettres claires est représenté le rapport liant les vierges celtiques à la tradition alchimique d'origine templière, qui fera de la Vierge noire le symbole de la matière première sur quoi travaillent les chercheurs de cette pierre philosophale laquelle, on l'a vu, n'est autre que le Graal. Et maintenant, réfléchissez : d'où est venue l'inspiration à cet autre grand initié par les druides, Mahomet ? Par la pierre noire de La Mecque. A Chartres, quelqu'un a muré la crypte qui met en communication avec le site souterrain où se trouve encore la statue païenne originelle, mais à bien chercher vous pouvez encore découvrir une Vierge noire, Notre-Dame du Pillier, sculptée par un chanoine odiniste. La statue serre dans sa main le cylindre magique des grandes prêtresses d'Odin, et à sa gauche est sculpté le calendrier magique où apparaissaient – je dis malheureusement apparaissaient, car ces sculptures n'ont pas été sauvées du vandalisme des chanoines orthodoxes – les animaux sacrés de l'odinisme, le chien, l'aigle, le lion, l'ours blanc et le loup-garou. Par ailleurs, il n'a échappé à aucun des spécialistes de l'ésotérisme gothique qu'à Chartres toujours se présente une statue qui porte dans sa main la coupe du Graal. Eh, mes bons messieurs, si on savait encore lire la cathédrale de Chartres, non pas selon les guides touristiques catholiques, apostoliques et romains, mais en sachant voir avec les yeux de la Tradition, la véritable histoire que cette forteresse d'Erec raconte...

– Et maintenant nous arrivons aux popelicans. Qui sont-ils ?

– Ce sont les Cathares. Une des appellations données aux hérétiques était popelicans, a, n, s, ou popelicants, a, n, t, s. Les Cathares du Midi ont été détruits, et je ne serai pas ingénu au point de penser à un rendez-vous au milieu des ruines de Montségur, mais la secte n'est pas morte, il y a toute une géographie du catharisme occulte d'où naissent même Dante, les poètes du Dolce Stilnovo, la secte des Fidèles d'Amour. Le cinquième rendez-vous est quelque part dans l'Italie septentrionale ou dans la France méridionale.

– Et le dernier rendez-vous ?

– Mais quelle est la plus ancienne, la plus sacrée, la plus stable des pierres celtiques, le sanctuaire de la divinité solaire, l'observatoire privilégié d'où, parvenus à la fin du plan, les descendants des Templiers de Provins peuvent confronter, désormais réunis, les secrets cachés par les six sceaux et découvrir enfin la façon d'exploiter l'immense pouvoir accordé par la possession du Saint Graal ? Voyons ! C'est en Angleterre, c'est le cercle magique de Stonehenge ! Et quoi encore ?

– O basta là », dit Belbo. Seul un Piémontais peut comprendre l'esprit avec lequel on prononce cette expression de stupéfaction polie. Aucun de ses équivalents en d'autres langues ou dialectes (non mi dica, dis donc, are you kidding?) ne peut rendre le souverain sentiment de désintérêt, le fatalisme avec lequel elle reconfirme l'indéfectible persuasion que les autres sont, et irrémédiablement, les enfants d'une divinité maladroite.

Mais le colonel n'était pas piémontais, et il eut l'air flatté de la réaction de Belbo.

« Eh oui. Voilà le plan, voilà l'ordonation, dans son admirable simplicité et cohérence. Et remarquez, si vous prenez une carte de l'Europe et de l'Asie, et que vous tracez la ligne de déroulement du plan, du nord, où se trouve le Château, à Jérusalem, de Jérusalem à Agarttha, d'Agarttha à Chartres, de Chartres aux bords de la Méditerranée et de là à Stonehenge, il en résultera un tracé, une rune à peu près de cette forme.

– Et alors ? demanda Belbo.

– Et alors, c'est la même rune qui relie idéalement certains des principaux centres de l'ésotérisme templier, Amiens, Troyes, royaume de saint Bernard, à l'orée de la Forêt d'Orient, Reims, Chartres, Rennes-le-Château et le Mont-Saint-Michel, lieu de très ancien culte druidique. Et ce même dessin rappelle la constellation de la Vierge !

– Je fais de l'astronomie en dilettante, dit timidement Diotallevi, et, autant qu'il m'en souvienne, la Vierge a un dessin différent et compte, me semble-t-il, onze étoiles... »

Le colonel sourit avec indulgence : « Messieurs, messieurs, vous le savez mieux que moi : tout dépend de la manière de tracer les lignes, et on peut avoir un chariot ou une ourse, à volonté, et vous savez comme il est difficile de décider si une étoile se trouve en dehors ou en dedans d'une constellation. Revoyez la Vierge, fixez l'Épi comme point inférieur, correspondant à la côte provençale, identifiez seulement cinq étoiles, et la ressemblance entre les tracés sera impressionnante.

– Il suffit de décider quelles étoiles écarter, dit Belbo.