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– Elles existent vraiment toutes ? demanda Belbo.

– Et davantage encore. Au travail, faites la liste définitive et puis nous expédions. Même s'il s'agit d'étrangers. Entre ces gens-là, les nouvelles voyagent. Maintenant, il ne reste plus qu'une chose à faire. Il faut circuler dans les bonnes librairies et parler non seulement avec les libraires mais aussi avec les clients. Laisser tomber dans vos propos qu'il existe une collection avec telles ou telles caractéristiques. »

Diotallevi lui fit remarquer qu'ils ne pouvaient pas, eux, s'exposer de la sorte, il fallait trouver des démarcheurs banalisés, et Garamond dit de les chercher : « Pourvu qu'ils soient gratis. »

Belle prétention, commenta Belbo une fois qu'ils furent revenus dans leur bureau. Mais les dieux du sous-sol nous protégeaient. Juste à cet instant Lorenza Pelligrini entra, plus solaire que jamais ; Belbo devint radieux ; elle vit les dépliants, qui piquèrent sa curiosité.

Quand elle sut le projet de la maison d'à côté, son visage s'illumina : « Magnifique, j'ai un ami super sympa, un ex-tupamaro uruguayen, qui travaille dans une revue appelée Picatrix, il m'emmène toujours aux séances de spiritisme. Je me suis liée d'amitié avec un ectoplasme fabuleux, désormais il me demande toujours, à peine il se matérialise ! »

Belbo regarda Lorenza comme pour savoir quelque chose, puis il y renonça. Je crois qu'il avait pris l'habitude de s'attendre de la part de Lorenza aux fréquentations les plus inquiétantes, mais qu'il avait décidé de s'inquiéter seulement de celles qui pouvaient jeter une ombre sur leur rapport d'amour (l'aimait-il ?). Et dans cette allusion à Picatrix, davantage que le fantôme du colonel, il avait entrevu celui de l'Uruguayen trop sympathique. Mais Lorenza parlait déjà d'autre chose et nous révélait comment elle fréquentait beaucoup de ces petites librairies où on vend les livres qu'Isis Dévoilée aurait voulu publier.

« Elles sont à voir, vous savez, était-elle en train d'expliquer. J'y trouve des herbes médicamenteuses, et les instructions pour faire l'homunculus, exactement comme Faust avec Hélène de Troie, oh, Jacopo faisons-le, j'aimerais tant un homunculus de toi, et puis nous le gardons comme un basset. C'est facile ; ce livre disait qu'il suffit de recueillir dans une fiole un peu de semence humaine, ça ne te sera pas difficile, j'espère, ne rougis pas idiot, ensuite tu le mélanges avec de l'hippomane, qui serait, paraît-il, un liquide... secrété... sécreté... comment on dit ?...

– Sécrété, suggéra Diotallevi.

– Possible ? En somme, ce que produisent les juments grosses par sécrétion, je comprends que ça c'est plus difficile, si j'étais une jument grosse je ne voudrais pas qu'on vienne me recueillir l'hippomane, surtout si ce sont des inconnus, mais je crois qu'on peut en trouver tout préparé, comme les agarbatties. Et puis tu mets le tout dans un vase et tu laisses macérer pendant quarante jours et petit à petit tu vois se former une figurine, un mini-fœtus, qui en deux autres mois devient un homunculus super gracieux, il sort et se met à ton service – je crois qu'ils ne meurent jamais, pense un peu il ira même t'apporter des fleurs sur ta tombe quand tu seras mort!

– Et qui d'autre vois-tu dans ces librairies ? demanda Belbo.

– Des gens fantastiques, des gens qui parlent avec les anges, qui font de l'or, et puis des magiciens professionnels avec une tête de magicien professionnel...

– Comment c'est une tête de magicien professionnel ?

– Ils ont d'habitude le nez aquilin, les sourcils comme un Russe et des yeux d'aigle ; ils portent les cheveux sur le cou, comme les peintres d'autrefois, et la barbe, mais pas drue, avec quelques plaques entre le menton et les joues ; et leurs moustaches retombent en avant et descendent sur la lèvre en touffes, et par force, parce que la lèvre est très soulevée sur les dents, les pauvres, et leurs dents débordent, se chevauchant toutes un peu. Ils ne le devraient pas avec ces dents-là, mais ils sourient avec douceur, cependant que leurs yeux (je vous ai dit qu'ils étaient d'aigle, non ?) vous regardent d'une manière inquiétante.

– Facies hermetica, commenta Diotallevi.

– Oui ? Vous voyez, donc. Quand il entre quelqu'un pour demander un livre, mettons, avec des prières contre les esprits du mal, ils suggèrent aussitôt au libraire le titre juste, et qui est celui que le libraire n'a pas. Mais si tu crées un lien d'amitié avec eux et que tu demandes si c'est un livre efficace, ils sourient de nouveau avec compréhension comme s'ils parlaient d'enfants et te disent que devant ce genre de chose il faut se méfier. Puis ils te citent des cas de diables qui ont fait des trucs horribles à leurs amis, toi tu prends peur et eux te rassurent en disant que bien des fois c'est seulement de l'hystérie. Bref, on ne sait jamais s'ils y croient ou pas. Souvent les libraires me font cadeau de baguettes d'encens ; un, une fois, il m'a donné une petite main en ivoire contre le mauvais œil.

– Alors, à l'occasion, lui avait dit Belbo, quand tu te balades par là-bas, demande s'ils sont au courant de cette nouvelle collection Manuzio, et tu pourrais même faire voir le dépliant. »

Lorenza s'en alla avec une dizaine de dépliants. J'imagine que dans les semaines qui ont suivi, elle a dû bien travailler elle aussi, mais je ne croyais pas que les choses pussent avancer si vite. Au bout de quelques mois madame Grazia n'arrivait déjà plus à faire front devant les diaboliques, comme nous avions défini les ACA avec des intérêts occultistes. Et, ainsi que le voulait leur nature, ils furent légion.

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Invoque les forces de la Table de l'Union en suivant le Suprême Rituel du Pentagramme, avec l'Esprit Actif et Passif, avec Eheieh et Agla. Retourne à l'autel et récite la suivante Invocation aux Esprits Énochiens : Ol Sonuf Vaorsag Goho lad Balt, Lonsh Calz Vonpho, Sobra Z-ol Ror I Ta Nazps, od Graa Ta Malprg... Ds Hol-q Qaa Nothoa Zimz, Od Commah Ta Nopbloh Zien...